La femme voilée

Posté par imsat le 28 mars 2010

Il n’a jamais su qui elle était. Il la croisait tous les matins entre 7h30 et 8h; elle entrait à l’école maternelle par la porte de service; elle y faisait des ménages; en tout cas, il le supposait. Elle avait des yeux clairs.

Qui était cette femme élancée à qui la mlaya (voile noir) allait à merveille ? Il sortait de la maison toujours à la même heure juste pour l’apercevoir. Cela avait duré toute l’année 1964. L’année d’après, plus rien, plus de femme voilée; elle s’était volatilisée.

Il avait bien essayé de la retrouver en allant faire la queue certains samedis devant les guichets de la mairie où beaucoup de femmes également voilées et dégageant une odeur de parfum élémentaire allaient retirer des pièces d’état civil. Mais celle qu’il cherchait restait introuvable.

Il en fit le personnage central d’une de ses nouvelles. C’était en 1988. Il avait indiqué à Ouzif que ce qu’il voulait dire par parfum élémentaire, c’était simplement parfum bon marché même si, au fond, il pensait à plus que cela en lui en parlant. Il se souvient de lui avoir demandé s’il préférait qu’il mette parfum élémentaire plutôt que parfum bon marché dans sa nouvelle. En essayant d’être plus explicite à cet égard, il se rendait compte qu’il lui décrivait avec moult détails les femmes qu’il allait voir à la mairie, lui précisant par là même qu’il le faisait pour combler d’une certaine manière l’absence de celle qu’il ne rencontrait plus rue du Soleil et se maintenir au contact de ce qui pouvait lui redonner quelque espoir de la revoir. En même temps, il savait qu’il était dans l’illusion et que tout ce qui la concernait devait passer par la mémoire dès lors qu’elle n’était plus là.

Il y avait dans le parfum des femmes en question quelque chose de particulier, un mélange de subtilité, de distinction et de discrétion à la fois.

Avec Ouzif, il avait longuement épilogué autour de cette mixture qui conférait un charme supplémentaire aux femmes voilées; il complétait ses commentaires par d’autres détails parmi ceux qui n’étaient pas cachés : cela pouvait être une bague, elle aussi bon marché, des bracelets, une mèche de cheveux, une main ajustant la voilette…

Lamine Bey Chikhi

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L’accident (printemps 1963)

Posté par imsat le 24 mars 2010

La veille de notre retour à Batna, nous avions vu Divorce à l’italienne au studio cinéma de l’Aletti. Nous étions à Alger depuis trois jours; nous avions pris des chambres à l’hôtel Victoria, non loin du palais de justice. Un hôtel modeste mais pourvu des commodités essentielles. Nous avions engrangé pas mal d’images d’Alger. Il m’en reste deux ou trois, notamment la photo prise au CHU Mustapha où j’étais allé subir une visite de contrôle. Nous avions également pris des poses le long du trajet Alger-Sétif, en particulier dans les gorges de Kherrata où nous nous étions arrêtés pour voir les singes.

Le temps était splendide. Nous roulions à vitesse moyenne. Tout était vert alentour, nous étions seuls sur la route; ma tante était de bonne humeur, dada Rabah interférait par moments dans la conversation qu’elle avait avec Aicha. Il le faisait moins pour y participer vraiment que pour les taquiner toutes les deux. Il était joyeux.

Nous n’étions plus très loin d’El Eulma (ex Saint-Arnaud). Soudain et alors qu’il prenait la bouteille d’eau que ma tante lui tendait, dada Rabah s’aperçut qu’il perdait le contrôle du véhicule : dérapage, deux ou trois tonneaux, quelques cris…

Le choc !

Tout ou presque est encore dans ma tête : une mare de sang à l’endroit où se trouvait ma tante, le silence abyssal de la campagne, notre immense solitude face à cette lourde traction Citroën renversée, dada Rabah implorant l’aide de dieu dans un arabe décousu, prononçant des mots que je ne comprenais pas (hormis celui d’Allah), essayant vainement de redresser le véhicule… j’étais prostré, inerte; Aicha et Chérifa étaient elles aussi figées dans leur stupeur.   

Immobilité du temps. Je vivais le drame sans pour autant en prendre toute la mesure. Ebranlement intérieur, sourd…

Au bout d’une heure, deux ou trois personnes sorties de nulle part accourent vers nous; quelques instants plus tard, une camionnette de marque Peugeot arrive sur les lieux suivie d’une ambulance. Ensuite, direction hôpital d’El Eulma où Djamel et MA (ma mère) venus de Batna, nous rejoignent en début de soirée.

Tata Lola avait rendu l’âme. Elle avait 28 ans. Lorsqu’il nous arrive de parler d’elle, c’est souvent pour dire qu’elle était belle et généreuse, qu’elle aimait la vie…

Lamine Bey Chikhi 

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Soliloques

Posté par imsat le 20 mars 2010

Lorsque, dans certaines circonstances, on s’exprime sans prendre de gants, on le fait en général maladroitement, ce qui génère un malaise, une susceptibilité, une incompréhension. L’autre jour, quelqu’un m’a parlé de fardeau en rapport avec certaines disparitions. Sur le coup, je n’ai pas prêté attention à l’indélicatesse du propos. Je n’y ai songé qu’en rentrant chez moi, en fin d’après-midi. J’ai essayé de comprendre. Un moment, j’ai pensé qu’on ne faisait preuve au fond d’aucune originalité en parlant de la sorte et que la plupart des gens réagiraient de la même façon dans un contexte similaire. Ensuite, je me suis demandé si en l’occurrence on ne faisait que dire une vérité, une évidence. En moi-même, je donnais souvent raison à ceux qui faisaient ce constat froidement mais je ne voulais pas qu’ils le disent ou plutôt je refusais de les entendre l’exprimer. En somme, j’étais pour que la chose (la contrainte que représente pour son entourage immédiat un être se trouvant à l’article de la mort) puisse être pensée mais pas dite.

Un de mes cousins s’était lui aussi exprimé crûment lors des funérailles en 2007 de Djeff; il m’avait dit : « c’est mieux ainsi, pour lui et pour sa famille ».  Cet avis formulé sans états d’âme m’avait un peu choqué même si je savais que Djeff était dans un processus irréversible.

S à qui j’en ai parlé dernièrement m’a dit cautionner ces sentences post mortem, ajoutant que ce type de formule était consacré dans toutes les sociétés.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » . Cet aphorisme de Camus prend tout son sens, toute son importance par rapport au sujet que je soulève. Je le comprends comme une exhortation à ne rien dire si on ne sait pas dire.

Pendant longtemps, je me suis demandé si mon refus d’abonder dans le sens de ceux qui ne font pas dans la nuance n’était pas dû à la peur que je pouvais avoir de l’événement relaté. Je reste indécis sur ce point. En revanche, je suis sûr d’une chose : je ne perçois plus les citations d’auteurs comme je le faisais en terminale ou à l’université. Autrefois, elles me permettaient, comme à bien d’autres camarades, de frimer, de conforter un argument, d’épater;  je m’abstenais d’en approfondir la signification, la portée; je ne savais pas qu’elles pouvaient aussi déstabiliser, susciter la crainte, créer un stress, donner à réfléchir non pas seulement théoriquement mais concrètement, dans le faits, au présent, faire prendre conscience du réel, de la fragilité de l’homme.

Lamine Bey Chikhi

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Ecole Jules Ferry (1961-1962)

Posté par imsat le 17 mars 2010

Qu’elle soit ponctuelle ou systématique, qu’elle résulte d’un effort de volonté ou qu’elle soit spontanée, l’évocation de l’enfance ne renvoie pas seulement à des images gaies, joyeuses. Elle s’adosse aussi à des moments plus ou moins désagréables.

En le disant, je pense notamment aux coups que le directeur de l’école, monsieur Arouas, m’a donnés sur les doigts à l’aide d’une règle en fer parce que j’avais importuné, sans raison particulière je le confesse, mon camarade de classe Martin en tapant du pied la chaise sur laquelle il était assis.

J’avais d’abord opposé une résistance quasi héroïque face à cette règle qui me faisait d’autant plus mal que mes mains souffraient déjà terriblement du rigoureux hiver batnéen, avant de céder au 7ème coup et de commencer à verser quelques larmes. Monsieur A n’attendait que cela pour mettre un terme à mon calvaire.

Après quoi, il crut devoir me consoler en me tenant des propos quelque peu équivoques sur le courage des kabyles ( ???) et subséquemment sur le mien.

Il prit peur; enfin, c’était mon impression; peur que j’en parle autour de moi, à mes parents (il savait que mon père était décédé), à mes oncles ou aux autres Chikhi à l’époque fort nombreux à Batna.

Mais personne dans la famille n’a jamais rien su de la punition disproportionnée qu’il m’avait infligée ni de son appréciation ambiguë et implicitement discriminatoire de la diversité ethnique algérienne.

Lamine Bey Chikhi

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Jours de fête

Posté par imsat le 14 mars 2010

Nombre de mes souvenirs retentissants sont liés à des jours de chaleur, aux moments chatoyants de certaines saisons. Je ne songe pas exclusivement au printemps ou à l’été, bien que les images visées s’y concentrent, mais à des périodes intercalaires, porteuses d’espérances par quelques-uns de leurs signes. Ainsi, en plein hiver, des éclaircies ont pu s’insérer dans ce que ma mémoire a enregistré de façon indélébile.

Toutes les saisons donnent à méditer sur le bonheur, sur ce qui pourrait le sublimer ou, au contraire, le relativiser, mais jamais uniformément.

Cela dit, il m’arrive de trouver insensé (suis-je dans l’exagération en le soutenant ?) que le temps de la fête puisse être maussade, couvert, gris.  Les jours de fête devraient être programmés de telle sorte qu’ils tombent entre mai et juillet !

Quand, dans cette optique, je pense à l’hiver, c’est inévitablement un certain Aid El Fitr qui émerge, celui, pluvieux, de l’année 1966; j’étais irrité parce qu’il faisait un temps épouvantable, ce qui m’avait dissuadé de sortir et de montrer mes habits neufs. J’étais adolescent mais j’avais conservé de l’enfance quelque envie de paraître, au moins les jours de fête.

Le lendemain, ma frustration s’était estompée mais l’atmosphère n’avait pas vraiment changé, elle était restée glaciale en dépit de l’apparition de quelques rayons de soleil. Ce fut un Aid presque totalement gâché.

Je dis « presque » parce que,  la veille, quelques minutes à peine après leur cuisson chez le boulanger du quartier, j’avais été le premier à goûter aux délicieux makrouds et baklawa de MA.

Lamine Bey Chikhi

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Anagramme

Posté par imsat le 7 mars 2010

J’ai d’abord évoqué avec Yabb, quoique superficiellement, certains problèmes majeurs de notre pays avant de bifurquer vers des interrogations sur le temps qui passe. Je lui ai parlé d’un texte que je préparais et que je voulais intituler : « parler entre nous ». Il n’en a pas tout de suite saisi le sens. J’ai dû me montrer plus explicite pour qu’il comprenne mon propos. Je lui ai ainsi demandé s’il estimait avoir suffisamment conversé avec D avant que celui-ci ne décède. Il semblait comme soudainement intéressé par la question, par sa nouveauté, son caractère inattendu.

J’avais en face de moi un nomade, un extraverti intégral, un communicant tous azimuts. Cet aspect de sa personnalité m’intéresse, j’aimerais en dire un peu plus un jour. Je n’ai jamais  imaginé Yabb rentrant en lui-même, vivant dans le silence, la solitude, le repli sur soi, l’écoute intérieure.

Je ne lui ai pas livré le fond de ma pensée; j’aurais voulu lui parler de certaines intrusions, de celles précisément qui faussent ou dénaturent une conversation, un moment de partage privilégié. Je me suis gardé de le faire car il aurait cherché à comprendre, et je ne tenais pas à personnaliser les choses ni à céder à la stigmatisation.

Je lui ai dit qu’il devenait difficile de nos jours non pas de débattre ou de convaincre mais de converser dans la sérénité, la détente.

Le téléphone portable de Yabb sonne; Selma, à l’autre bout du fil, lui annonce le décès de tante M. Je me suis rappelé mon rêve de la veille; je l’avais senti annonciateur d’un éloignement, d’une perte. Je n’en ai parlé à personne; au reste, je ne raconte jamais ce genre de rêves, par superstition. Ces dernières années, j’ai la hantise des mauvaises nouvelles.

Après avoir pris congé de Yabb, je me suis demandé si la question que je lui avais posée au sujet de son frère était vraiment utile. Ensuite, je suis allé au cyber non sans m’être interrogé au préalable sur l’opportunité de le faire alors qu’un proche venait de disparaître. J’ai pensé que la vie devait continuer malgré tout, qu’en insérant un texte nostalgique sur mon blog  je restais dans la méditation sur le passé, dans l’hommage mérité aux êtres chers, voire dans une résilience créatrice.

Faut-il à cet égard dire l’essentiel ou se contenter du minimum? Qu’est-ce qui importe le plus ?

Se poser, respirer, s’entendre respirer, peser les mots, les décrypter. Les autres prétendent le faire mais ils donnent l’impression d’être dans la contrariété, la fébrilité la contradiction.

C’est cela que je voulais dire à Yabb ce matin. Je sais que lui-même est dans cette configuration du tout express, dans la mouvance, le mouvement continu, autrement dit dans le contraire de la pause, à l’opposé de cette réflexion qui ne me paraît décisive qu’articulée non pas autour de considérations matérielles mais de ce à côté de quoi on risque de passer d’un point de vue philosophique.

Lamine Bey Chikhi

 

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