La photo retrouvée
Posté par imsat le 10 avril 2010
Lorsque j’ai dit à Mà que son frère, oncle Mahieddine, allait bientôt m’envoyer une photo de leur mère, elle m’a répondu: « ah, c’est bien, c’est même formidable, ça me permettra de voir comment elle était, je ne l’ai pas connue ». J’ai senti dans la formulation de cette phrase une réelle émotion et une joie presque enfantine. On aurait dit que Mà était en attente de cette nouvelle, de ce signe depuis longtemps et qu’elle n’avait jamais fait l’impasse sur la possibilité de retrouver un jour quelque trace même formelle, visuelle, de sa mère. En même temps, cette réaction m’a conforté dans l’idée que je me faisais de la photo en général, de sa place dans l’identification et la reconstitution des repères, dans leur décodage.
La photo n’est pas qu’un vecteur à remonter le temps, un miroir qui incite à regarder en arrière, à se retourner pour se souvenir. C’est plus que cela. Celle exhumée par mon oncle permettrait à Mà de découvrir enfin le visage de celle qui l’a mise au monde : un visage qu’elle n’a pu mémoriser puisqu’elle a perdu sa mère alors qu’elle n’avait que 2 ans.
Comment vit-on quand on n’a pas connu sa mère? Où Mà a t-elle trouvé ce qu’il lui fallait mentalement, psychologiquement pour compenser ce qu’elle n’a pas eu de sa mère, pour évoluer harmonieusement dans la vie ?
Je sais bien (elle me l’a dit) qu’elle n’a manqué de rien matériellement, qu’elle était très entourée et qu’elle a bénéficié des enseignements moraux et culturels les plus pertinents d’abord de son père, cadi successivement à Ain Oulmène (ex Colbert) et à Oued Zenati, puis, après le décès de celui-ci, auprès de son oncle sidi H’ssen Boulahbel muphti de Bougie dans les années 1930 (son nom figure dans le livre d’or de l’Algérie, année 1937).
Cette histoire de photo retrouvée m’a conduit à d’autres questionnements sur les ressorts dont dispose l’être humain pour surmonter des absences majeures, en particulier celles qui ont pu affecter sa prime enfance; elle m’a aussi permis d’enrichir ma réflexion sur les succédanés de nature à répondre à certains manques.
La photo est précisément l’un de ces substituts en ce qu’elle suggère de chercher ce qu’il y a derrière, de projeter le regard au-delà de ce qu’elle donne à voir a priori. La photo est donc porteuse d’une dynamique qui crée par une espèce d’effet placebo l’illusion du rattrapage, comble artificiellement mais utilement un vide, remplit des cases.
Lamine Bey Chikhi
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