En quête de réponses

Posté par imsat le 25 avril 2010

Pourquoi, parmi les Chikhi qui ont quitté la Kabylie à partir des années 1870, jeddi Ali, mon arrière grand-père paternel, est-il allé jusqu’à Batna ? Je m’interroge quelquefois sur les tenants et aboutissants de cette trajectoire ainsi que sur les évolutions plausibles de notre famille dans l’hypothèse où il se serait arrêté avant Batna, par exemple à Béjaia, Sétif ou Bordj Bou Arreridj. Je ne suis pas le seul à tenter de comprendre les raisons qui le conduisirent à « émigrer » de sa Kabylie natale vers les Aurès.

Nous en parlons (B, M, F, Babi, MA et moi) mais nos échanges plus ou moins récurrents autour de ce thème sont généralement vagues, approximatifs, insuffisamment étayés. Parfois, les réponses esquissées sont affirmatives ou formulées dans l’absolu alors que ce qui touche à des faits soumis à l’épreuve du temps est censé inciter à la pondération, aux suppositions.

Je reconnais pour ma part n’avoir jamais été en mesure de poser les bonnes questions ou plutôt d’en structurer l’énoncé, soit parce que le contexte ne s’y prêtait pas soit parce que je n’y pensais pas en temps opportun. Pourtant, je me suis promis bien des fois de les proposer à Babi de façon cohérente et en insistant pour que lui-même fasse l’effort d’y répondre compte tenu de ce dont il disposerait comme éléments d’appréciation. Je n’y ai pas renoncé mais peut-être gagnerais-je aussi à en discuter avec d’autres membres de la famille; je pense en particulier à Hamid et Tahar mais depuis près de 2 ans, ils se font rares. Hamid, Tahar et Babi sont de la même génération; ce serait intéressant de rapprocher leurs points de vue même si cela me semble improbable.

En attendant, je vais tenter de décliner les questions susceptibles de baliser un cheminement en quête d’éclaircissements sur une migration familiale peu ordinaire.

Jeddi Ali avait-il des informations sur Batna avant son départ de Ain El Hammam (ex Michelet) en 1848 ? Etait-il en relation avec des gens de la région des Aurès ? Qui l’aurait orienté sur Batna plutôt que sur d’autres endroits de la région ou du pays ? Aurait-il pu aller plus à l’est plus au sud ? S’il a été aiguillé, l’a t-il été à partir de la Kabylie et, dans l’affirmative, par qui ? Par des membres de sa famille restés à Azrou Kollal, par des amis? Le départ de Kabylie fut-il conçu, préparé et organisé comme une démarche transitoire ou définitive ?  Nombre de faits avérés suggèrent que la relation de cette branche de la famille avec la Kabylie n’était pas du tout rompue. Jeddi Ali aurait-il choisi les Aurès (région berbérophone) pour des raisons culturelles, identitaires, linguistiques ?

On a souvent parlé de motivations socio économiques pour expliquer sa décision de quitter la Kabylie; pourtant, à l’origine, Batna n’avait rien d’attractif; elle venait d’être fondée. Si jeddi Ali a quitté la Kabylie pour ce type de raisons, comment et sur quelles bases peut-on soutenir qu’il ait choisi les Aurès et précisément Batna pour les mêmes motifs ?

Peu après son arrivée dans la région, il s’installa à El Madher pour y exploiter une ferme : engagea t-il directement des moyens financiers pour cette exploitation (auquel cas il disposait de ressources à son départ de Kabylie) ou bien le fit-il progressivement après y avoir d’abord travaillé ?

Pour MA, tout cela est le fruit du mektoub (le destin). Dans son esprit, le mektoub est la seule explication. On peut voir les choses ainsi mais dans ces conditions on cesse d’en parler. Je lui ai indiqué que, sans remettre en cause la suprématie, la transcendance du mektoub, on peut aussi faire l’effort d’inventorier les motifs possibles à l’origine sinon d’une rupture du moins d’un éloignement, d’une autonomisation par rapport à la région natale, à la tribu (celle des Béni Menguellet). Elle m’a conseillé d’aller rendre visite à mon oncle Brahim; il pourrait se souvenir; il pourrait avoir capté des choses intéressantes dans son adolescence. L’idée n’est pas mauvaise mais j’ai perdu tout contact avec lui. Elle n’a pas manqué de me rappeler que j’avais toute latitude de le faire à l’époque (années 1980) où il venait à la maison une fois par semaine.   » Tu as sans doute raison, lui ai-je répondu, mais lui ne voulait parler que de Hocine Ait Ahmed, de son action au service de la révolution, de son inlassable combat pour l’instauration de la démocratie en Algérie; c’était son sujet préféré, et de surcroît il tenait toujours à faire prévaloir le propos qu’il développait à cet égard… »

Quoi qu’il en soit,  je ne cherche pas à entreprendre une démarche de type historique ni à adopter la méthode y afférente; mon objectif n’a rien à voir avec l’Histoire; je reste dans l’échafaudage d’idées toutes simples pour tenter de comprendre ce qui inspira profondément jeddi Ali dans sa décision de s’établir à Batna.

Enfin et partant de l’axiome selon lequel l’individu peut être tenté d’imputer certains aspects de son évolution et de sa façon de percevoir le monde aux choix stratégiques de ses aïeux, je m’intéresse aussi aux points d’impact d’une décision individuelle, en l’occurrence celle de jeddi Ali, autant sur l’itinéraire de celui-ci que sur celui d’un groupe, d’une famille, de notre famille.

Lamine Bey Chikhi

7 Réponses à “En quête de réponses”

  1. nadira chikhi dit :

    Bonjour Lamine,

    C’est M qui m’a suggéré d’aller sur ton blog, que je trouve passionnant. Enfin, me dis-je, quelqu’un qui fédère nos ressentis familiaux !

    Ton article « en quête de réponses » sur l’antériorité familiale, m’a interpellée en ce sens que je me suis, par le passé, souvent interrogée sur le déterminisme prévalant aux choix individuels.

    Au delà même de l’histoire familiale et de la place de chacun au sein du groupe, on se demande : »mais quelle est donc ma mission dans ce monde? ».
    Selon sa sensibilité, chacun se forge un projet et tente de le suivre, sans trop s’éloigner de la trame initiale. Mais parfois des ressentis inconscients en décident autrement, et nous entrainent là où on rencontre l’épreuve, qu’on ne surmontera que lorsqu’on aura compris le message de notre inconscient. D’aucuns disent que « l’épreuve est là pour nous Enseigner ».

    Concernant le choix de jeddi Ali de s’établir à Batna, je garde le souvenir, raconté par mon père ou ma mère, d’un commerçant parcourant les montagnes de Kabylie aux Aures, et transportant des marchandises à dos de mulet, jusqu’au jour où il a fini par se fixer plutôt dans les Aures que dans sa Kabylie natale.
    En dehors des influences probables quant au choix final des Aures, n’est ce pas d’abord un Elan Intérieur qui oriente un individu vers tel ou tel parcours?
    L’important pour jeddi Ali n’est il pas dans le fait de quitter le berceau natal, de s’éloigner, de se projeter, de construire ailleurs, faire peau neuve, tenter sa chance et se dire « je l’ai fait grâce à mes seules force ! ». Un défi en somme qu’on se lance pour parvenir à la rencontre de SOI.
    N’est ce pas là la quête la plus essentielle?

    Je me surprends à rêvasser aux motivations de jeddi Ali, pensant que s’il a atteind son but il devait être content de lui, et ce succès profite à toute sa lignée, qu’elle soit ascendante ou descendante.

    Dans le cas contraire, un autre de ses descendants poursuivra cette quête et obtiendra les réponses cherchées, ce qui permettra de dénouer les noeuds qui peuvent s’être accumulés et épaissis dans notre inconscient généalogique.

    Affectueusement.
    Nadira Chikhi.

  2. Lamine dit :

    Bonjour Nadira,
    Merci pour ton commentaire très fouillé.
    Entièrement d’accord avec les explications complémentaires que tu verses au « débat » relatif aux motivations de jeddi Ali.
    Sur l’aspect économique de ces motivations, je crois qu’il y a un consensus familial même si le point de chute (pourquoi Batna précisément et pas une ville voisine ?)reste diversement interprété.

    Sur le reste, les lignes de démarcation que tu poses au plan analytique enrichissent l’approche de la question et incitent à des bifurcations intéressantes.

    L’élan intérieur auquel tu fais référence a probablement déterminé bien des choses de même que le désir de se construire ailleurs ou plutôt dans l’autonomie.
    Elan intérieur, mektoub, déterminisme, inconscient généalogique… : il y a certainement de l’interaction dans tout cela et c’est innovant de le mettre en exergue, comme tu le fais.

    Je sais par M que tu as beaucoup écrit. Peut-être, l’élan intérieur que tu évoques fera t-il en sorte que tes textes soient visibles un jour…
    Bien le bonjour,
    Lamine

  3. Mady Budjeia dit :

    bonjour Lamine
    Sur tes conseils,j’ai lu le commentaire de Nadira et d’ailleurs je vous ai lus tous les deux avec beaucoup d’intérêt. On pourrait débattre pendant des heures tellement tu évoques… J’ai lu au moins trois fois ton récit sur notre arrière Grand-Père et ce qu’il a poussé à quitter sa Kabylie natale,mais voilà on ne peut qu’émettre des suppositions car je pense que les raisons pour lesquelles on quitte sa région ou son pays sont diverses. En fait je pense que lui c’est un choix qu’il a fait pour des raisons x et qu’il lui appartenait à l’époque. Dans tous les cas,je pense que c’était dit comme ça, c’était le destin, moi j’y crois au destin.Voilà ceci étant dit, je continue à te lire même mon mari trouve tes récits très captivants.

    Je suppose que Nadira est aussi une cousine, mais qui sont ses parents?

    Voilà Lamine pour aujourd’hui, j’arrête là ma conversation et à une prochaine fois!

    bien le bonsoir

    Mady

  4. lamine dit :

    Salut Mady,
    Je partage ton point de vue sur le rôle (capital, déterminant, majeur) du destin dans le parcours de chacun. Je l’avais d’ailleurs souligné dans le texte concerné. Mais c’est toujours bien de s’interroger pour comprendre, imaginer, rêver.
    Nadira est notre cousine germaine; c’est la soeur de Narrimane.Son commentaire ouvre des pistes intéressantes sur ce qui peut pousser l’individu à changer de région, de ville, de pays.
    Ferid aussi tente de développer une démarche en ce sens, à partir du constat qu’il fait (beaucoup de membres de la famille vivent aujourd’hui en Europe, en Amérique du Nord); Ferid laisse entendre qu’ils ont quitté le pays un peu comme jeddi Ali était parti de sa région natale…
    Bonne journée et salutations aux proches,
    Lamine

  5. nadira chikhi dit :

    salutations à Mady, cousine que j’ai connue enfant. Tu dois te souvenir plutôt de Faiza qui était au lycée Laverand à Constantine.
    Notre père est Abderahmane, l’aîné des enfants de Larbi.

  6. Mady Budjeia dit :

    Bonjour cousine Nadira!

    Je suis ravie de te lire et en partie grâce à Lamine puisque toutes les deux allons consulter toutes ses nouvelles sur son blog. Effectivement je me souviens très bien de Faiza qui allais au lycée Laveran à Constantine comme moi, moi j’étais en 6ème, elle je pense en 3ème. D’ailleurs je vais te raconter une annecdote de cette époque!!

    Comme Faiza était interne au lycée, elle venait passer le week-end à la maison et tu sais quoi??

    Tous les dimaches après-midi nous allions au ciné-club sous les arcades de la rue roledefleurie (je crois que ça s’écrivais comme ça) voir les bons westerns de l’époque et comme mon père la considérait comme étant une grande fille, il nous laissait Camille mon frère et moi-même aller voir tous ces films avec Faiza. Je m’ en souviens comme si c’était hier, s’en souvient-elle également? Tu vois Nadira,tout comme Lamine j’ai un côté très nostalgique et ça me fait un bien fou de te raconter tout ça! En tous cas ça me ferait très plaisir d’avoir des nouvelles de Faiza et j’espère qu’un jour vous viendrez me rendre visite à Aix-en-Provence les uns et les autres avant que je ne sois trop vieille!! car figure-toi la première qui a fait le grand saut c’est notre cousine Dalida, elle est venue nous rendre visite en Mars dernier et autant te dire que les retrouvailles ce fut formidable et très intense, on a beaucoup parlé du passé……

    Si tu veux on pourra communiquer sur nos adresses mail si tu as internet comme on le fait avec Dalida Anis Férid et Beida.

    Voilà, cousine pour ce soir je te laisse je te dis à +++++ et je me permets de te faire de grosses bises

    Mady

  7. nadira chikhi dit :

    Bonjour cousine Mady,

    j’ai lu avec plaisir ton anecdote sur la période passée, un peu comme « la petite madeleine » de Proust.

    Grace à Lamine la nostalgienfance s’exprime dans la bienveillance, tout en nous reliant à nos aïeux qui vivent à travers tout ce qu’ils ont imprimé en nous.

    ma « petite madeleine » à moi a pour scène la piscine de Batna, quant nous y allions pendant les étés suffocants, et que notre grand frère Y nous transportait sur son dos d’un bout à l’autre du bassin, car nous ne savions pas encore nager à l’âge de 5 ans.

    Et ce qui m’en reste c’est surtout l’odeur du chèvrefeuille qui bordait la piscine. chaque fois que je sens cette odeur , inévitablement je revois cette période de l’enfance.

    j’habite en région parisienne, et un jour on pourra venir te voir.

    Bises.

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