Posté par imsat le 31 août 2010
Cette histoire n’est toujours pas réglée dans ma tête. Ai-je réellement vu ou seulement imaginé la micheline rouge ? J’étais sur le quai de la gare de Constantine : formidable ambiance de vacances, joie de vivre, ciel bleu, estivants heureux. Je devais monter dans le train en partance pour Batna. Mais était-ce bien le cas ? Je me pose la question car ce souvenir se confond avec un autre, celui du voyage Constantine-Annaba que Yazid, Mourad et moi avions effectué en train, en juillet 1964. Dans notre compartiment, il y avait une algérienne et une française (une bonne soeur). L’algérienne avait de grands yeux noirs; ses cheveux aussi étaient noirs; elle ressemblait un peu à madame A, mon institutrice de l’école Jules Ferry. Je l’ai croisée à Alger, rue Ben Mhidi, dans les années 1970; elle ne m’a pas reconnu; j’aurais aimé l’aborder; je n’ai pas osé; je l’ai regretté. Je voulais surtout lui renouveler mes remerciements pour les pommes qu’elle nous avait offertes spontanément dans le train, et converser un peu avec elle. En l’évoquant ainsi, je ne peux m’empêcher de songer à cette micheline rouge dont je crois aujourd’hui encore avoir capté l’image à la sortie de la ville tandis qu’elle serpentait sous un soleil de plomb entre des collines jaunes et sèches, avant de disparaître complètement de ma vue, me plongeant dans une inexplicable mélancolie.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 28 août 2010
Côté cour, il y avait tout ce que je pouvais imaginer en jouant à l’accordéon Les enfants du Pirée de Mélina Mercouri ou encore Bambino de Dalida.
Côté jardin, il y avait notre figuier, les escaliers menant à la terrasse, le poulailler, Dick notre chien, mais aussi la buanderie où Khédidja et Khemssa faisaient la lessive en papotant et en riant de tout, irradiant la maison de leur joie de vivre. Il m’arrivait de jeter un oeil sur la cour des voisins; D et N s’en apercevaient mais ne disaient rien. Elles me regardaient, me saluaient puis vaquaient à leurs occupations. Où voulais-je en venir au juste ? eh bien à l’espace, le nôtre, celui d’autrefois.
» S’il te plaît, laisse moi voir ne serait-ce que la squifa (couloir) de votre maison « . Ma conception de l’espace, de sa configuration, de son impact psychologique et culturel est intimement liée à cette sollicitation faite à Soraya par Warda, une camarade de Faiza. Cela remonte à loin mais c’est encore dans ma tête. Ce dont je parle m’interpelle dans sa combinaison, son interaction avec le mot squifa que je comprends comme une sorte d’édulcorant de l’espace propement dit et auquel il confère plus qu’une cohérence, une âme. Notre longue squifa bénéficiait de multiples accès à la lumière du jour; elle dégageait une fraîcheur, une douceur; aujourd’hui, je pense à cette douceur comme à celle de la soie. Mais l’idée d’espace me ramène aussi aux endroits de la cour de notre maison où, par beau temps, ma mère déployait sa chaîse longue pour lire La Dépêche de Constantine et nous en résumer quelques nouvelles.
Ce que je pense de cette réalité géométrique, palpable et mesurable, est indissociable de la perception que j’en avais ou des sensations qu’elle suscitait en moi jadis. La « confrontation » entre mon espace d’hier et celui d’aujourd’hui est inévitable. Je ne la subis pas, je l’entretiens. Et je l’entretiens plus pour essayer de comprendre l’évolution des choses, y compris celle de la famille globalement considérée, que pour marquer ma différence de vision bien que les deux motifs ne soient pas antinomiques.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 24 août 2010
La canicule brouille t-elle la vision des choses ? Déjà, en période normale, lorsque le temps est clément, il me semble que les choses tiennent à peine; enfin, le dire de cette façon c’est user d’un euphémisme pour signifier que c’est un miracle qu’elles tiennent encore. Tout paraît se dévaluer, se déprécier quand il fait excessivement chaud et que les vêtements collent à la peau. L’an dernier, à la même époque, je portais un chapeau. En y pensant ce matin, je me suis remémoré les casques coloniaux que Ferid et moi portions à la fin des années 1950. Le mien me serrait le front, il me faisait même un peu mal mais il me protégeait du soleil et c’était ce qui comptait. J’ignore si ces casques étaient à la mode mais je ne me rappelle pas avoir vu des enfants de notre âge en porter dans la ville. Le désir de remplacer le casque par la casquette, je l’éprouvai plus tard, après le décès de mon père; j’en achetai une de couleur orange; ma bicyclette aussi était orange. Attirance réelle pour cette couleur ou simple coïncidence ? je ne saurais le dire.
La canicule de ce jour fait surgir une autre image, celle de Jouda, le voisin qui tenait un petit atelier de mécanique dans le garage de ses parents et que je voyais toujours en bleu de Chine, les mains dans la graisse. Jouda, je ne pourrais l’imaginer autrement, l’ayant tellement vu « décortiquer » des moteurs de voiture avec une patience et une minutie qui laissaient les enfants du quartier admiratifs et pantois. Il était très courtois avec nous. Il nous dépassait de 4 ou 5 ans mais il paraissait davantage que son âge sans doute parce qu’il avait des gestes et des postures d’adulte et qu’il était déjà dans la vie active. Il y avait toujours devant son garage une voiture au capot relevé, même le week-end. J’avais l’impression que c’était le même véhicule que Jouda tentait de réparer. N’était-ce pas d’ailleurs le cas? Je me le demande. Tout le monde connaissait le nom de famille de Jouda mais personne ne savait quel était son vrai prénom.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 21 août 2010
Dans le sillage de mon propos sur le docteur D, je ne pouvais logiquement pas faire l’impasse sur maître G, le conseil juridique de mon père dans les années 1940-1950. Je ne l’ai pas connu mais j’ai pu lire ses conclusions liées à deux affaires dans lesquelles mon père avait fini par obtenir gain de cause après moult procédures et recours. En prenant connaissance de quelques unes de ses notes d’honoraires, le mot transparence m’est venu à l’esprit; j’y ai d’ailleurs songé de façon concrète et en tenant compte des mutations qui ont bouleversé la profession d’avocat, la tirant même vers le bas dans nombre de pays.
Evidemment, parler de transparence en la matière c’est mettre en exergue des valeurs morales comme la probité, l’honnêteté. Cela fait belle lurette que je n’ai pas vu ni entendu parler autour de moi de notes d’honoraires, hormis celle par laquelle un mandataire nous avait réclamé son dû pour avoir simplement récupéré un document dont nous avions besoin. C’était dans les années 1970. Aujourd’hui, l’opacité ronge et dénature la profession.
Dès lors, comment un avocat peut-il justifier de sa situation au triple plan fiscal, comptable et juridique s’il encaisse des honoraires non facturés ?
Tel n’était pas le cas de maître G dont on savait qu’il exerçait son métier dans les règles de l’art. J’ai été quelquefois tenté de penser qu’il ne pouvait pas agir autrement dans ses rapports avec mon père qui était lui aussi formaliste et pointilleux. Mais je crois en définitive que la plupart des avocats étaient comme maître G. Ils avaient une éthique.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 16 août 2010
Je revenais de Quérigut. Ma mère me demanda d’aller voir nanna et féliciter par là même mon oncle Abdelaziz qui venait de convoler en justes noces. J’étais satisfait des tongues vertes que j’avais achetées en France; elles m’allaient bien; c’était l’été; il devait être 16 heures; il faisait encore chaud; j’étais heureux. Heureux de tout, de mon retour de vacances, de l’été, du short bleu et de la chemisette blanche que je portais, heureux aussi de retrouver les miens, le quartier, la maison, de marcher sur des trottoirs uniformes et bien faits, d’imaginer nanna surprise de me voir. J’étais heureux oui, mais en étais-je conscient ? Ce que je sais parce que je m’en souviens parfaitement, c’est que je me sentais bien dans ma peau; j’en étais d’ailleurs convaincu puisque non seulement je le ressentais physiquement mais je me disais : » je suis en forme, j’ai pris un bon bain, je suis propre, je suis bien ».
Je ne sais pas si l’on court (avec l’âge) le risque de perdre tout ou partie de cette conscience des petites choses positives de la vie, ces instants de bien être, de légèreté physique, de totale insouciance. En même temps, je me demande si, avec le recul et en s’intéressant un tant soit peu à l’écriture, on ne se met pas en condition de réaliser ce que l’on recherche (inconsciemment ?) à savoir la jonction, la soudure entre ce que l’on a pu vivre ou ressentir enfant et ce que l’on peut en dire avec des mots quelques décennies plus tard.
Des mots ou des images ? Le souhait de continuer à évoquer le passé se trouve parfois concurrencé par celui, moins exigeant, de faire seulement défiler des images dans sa tête et de s’en contenter. Il y a encore une foultitude de réminiscences en réserve mais il n’est pas rare que la mémoire comme idée ou souvenir l’emporte sur la tentation de la formalisation écrite. Il arrive que la phrase à peine entamée soit balayée, chassée par une émotion. Je reste alors rivé sur des atmosphères, des odeurs. Et je m’interroge: » les odeurs précèdent-elles les images ? Qu’en est-il des atmosphères, de leur influence ? « .
Aujourd’hui, ce sont des odeurs de piscine et d’ambre solaire qui me submergent, peut-être parce que c’est l’été. Piscine municipale-Batna 1962-1963. Mer-Alger (Moretti), années 1970 : Ce qui m’intéresse à l’évocation de ces endroits, ce sont les personnes avec qui je m’y trouvais. Penser à ces lieux, ces années-là, c’est penser à ces êtres. Il y a quelques jours, l’idée de décrocher de ces souvenirs m’a traversé l’esprit. « Pourquoi le ferais-je ? » me suis-je demandé.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 11 août 2010
C’est après avoir vu Quand passent les cigognes de Mikhail Kalatozov que je me suis inscrit au centre culturel soviétique d’Alger. C’étaient les années 1970. Je voulais apprendre les rudiments de la langue russe, caressant même l’espoir de décrocher à plus ou moins brève échéance une bourse pour un séjour linguistique à Moscou. L’idéologie communiste n’était pas du tout ma tasse de thé mais le lyrisme russe, littéraire ou artistique, me fascinait complètement.
La musique du film m’avait marqué. Depuis, je n’allais plus devoir apprécier les qualités d’une oeuvre cinématographique sans au préalable y avoir déterminé le rôle et la place accordés par le réalisateur à la musique. Celle de Quand passent les cigognes est puissante, enivrante; elle accompagne merveilleusement la fin poignante de l’histoire.
Bucarest : après-midi du 23 août 1973 (je crois que c’était le jour de la fête nationale Roumaine), je pris une passante pour Tatiana Samoïlova, l’héroïne du film. C’était son sosie. Je le lui fis remarquer; apparemment flattée de cette comparaison, elle me sourit et me remercia. En début de soirée, même confusion, même (heureuse) méprise sur le campus de la ville. Cette fois, c’était une étudiante de Duchanbe, Tadjikistan. Elle, aussi, ressemblait beaucoup à l’actrice principale du film. Comme moi, Elle avait vu et aimé le film; nous en avions longuement parlé ainsi que du cinéma soviétique. Pour moi, à cette époque-là, les européennes de l’Est étaient toutes des Tatiana Samoïlova.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 7 août 2010
Dans les années 1930, mon oncle maternel, Mahmoud Boutaleb, était interne au lycée Luciani de Philippeville. Il passait ses week-ends à la maison. Mon grand-père maternel qui résidait alors à Colbert, aujourd’hui Ain Oulmane, où il exerçait comme cadi (juge de droit musulman), demandait toujours que le déjeuner et le dîner fussent servis à table, dans le salon, et non sur la meïda. Pour lui, Mahmoud, sur la réussite scolaire duquel il avait énormément misé, devait être traité comme il l’était au lycée; il ne fallait donc pas rompre avec le rituel auquel il s’était habitué.
A ma mère qui me rapportait cela, j’ai dit que si mon grand-père tenait à considérer Mahmoud un peu comme un invité de marque, c’était probablement pour montrer que l’on pouvait, dans le milieu qui était le sien, s’adapter aisément aux circonstances et passer sans encombre par exemple de la meïda (petite table basse) à la grande table, de la tradition à la modernité et vice versa.
Je crois qu’il y avait chez lui le souci à la fois de conférer un cachet spécial aux visites hebdomadaires de Mahmoud et d’en profiter pour déployer, parce que cela lui plaisait, les passerelles reliant la modernité incarnée en l’espèce par le lycée, lieu d’acquisition de la connaissance, du savoir, à celle dont on pouvait faire montre à la maison, à travers les bonnes manières, la façon de servir et de converser à table, sans perdre une once de ses us et coutumes.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 3 août 2010
Nous étions dans son bureau. Yabb s’était lancé dans un discours quelque peu confus et rébarbatif sur l’environnement et les économies d’énergie, évoquant au passage l’acquisition par le pays de je ne sais combien de millions d’ampoules électriques économiques. Il me demanda mon avis sur la question; je lui répondis en lui parlant des réprimandes que mon père nous faisait lorsqu’il nous arrivait de laisser une lampe allumée dans un endroit de la maison où il n’y avait personne. Nous nous faisions d’ailleurs également gronder quand nous ne fermions pas bien les robinets d’eau. C’était il y a un peu plus de 50 ans.
Yabb abonda dans mon sens, soulignant notamment que son père aussi lui faisait, ainsi qu’à ses frères, des remontrances pour les mêmes raisons. Il dit comprendre un peu mieux le lien que j’essayais de mettre en évidence entre l’enfance et l’incrustation de certaines manies, comme celle qui consiste à bien s’assurer que les lampes ne restent pas allumées pour rien et que l’eau ne coule pas inutilement des robinets.
Les mises en garde de mon père se suffisaient à elles seules; elles n’avaient pas besoin d’être expliquées; nous en saisissions immédiatement la pertinence et la légitimité.
Aujourd’hui, j’en parle en opposant volontiers cette pédagogie préventive efficace à la démarche plutôt carentielle que des responsables de la société de l’électricité déploient de façon décalée et peu inspirée pour inciter les citoyens à ne pas gaspiller l’énergie électrique afin de limiter les risques de blackout. Là aussi, je revois inévitablement mon père; je réentends en souriant ses injonctions à répétition : » éteignez la lumière ! éteignez la lumière ! « . Il nous le rappelait régulièrement même s’il savait que nous appliquions à la lettre et systématiquement ses instructions. Il n’attendait pas l’hiver pour le faire.
Lamine Bey Chikhi
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