Posté par imsat le 13 septembre 2010
Quand on m’en a parlé la première fois, je me suis senti frustré. Frustré de ne pas l’avoir connue, de n’en savoir pratiquement rien et de ne pouvoir en dire quelque chose de personnel. C’est devenu un mythe pour moi. Je continue de penser que ceux qui l’ont connue ont eu beaucoup de chance. Une ferme, c’est toute une aventure, des senteurs, un territoire, la nature à portée de main, le labeur au jour le jour. Celle qui m’intéresse en particulier a été le point de départ d’un parcours exceptionnel, celui de jeddi Ali.
Ma mère m’a dit qu’elle y allait de temps à autre, le dimanche en général. On y organisait des repas de famille. Elle en garde un souvenir flou. Les détails ont déserté sa mémoire. Pour moi, cela fait partie de ces tranches du passé que j’ai ratées et qui me manquent d’une certaine façon. Je n’ai pu combler ce vide. Est-ce totalement indépendant de ma volonté? je ne le crois pas. J’aurais pu, j’aurais dû, sur ce fragment de notre histoire, interpeller ceux qui ont connu la ferme lorsque j’en avais l’opportunité. La plupart ne sont plus de ce monde; les autres ont une mémoire chancelante. Je sais que les circonstances n’ont pas toujours favorisé cette connaissance, cette proximité de l’autre, aujourd’hui impossible. On ne peut pas revenir en arrière.
Je me rappelle être allé faire un tour du côté d’El Madher (au printemps 1984 ?) en compagnie de MA et Mourad sans cependant parvenir à localiser l’endroit où la ferme avait été exploitée par mon arrière grand-père. Nous n’avions pas jugé utile de nous renseigner; ce n’était d’ailleurs pas notre but. Il faisait doux; tout était vert et silencieux; dans mon esprit, cette atmosphère apaisante venait valider, a posteriori pour ainsi dire, la décision que jeddi Ali avait prise près d’un siècle et demi auparavant d’entamer ses activités à El Madher avant d’aller s’établir et prospérer à Batna.
El Madher, c’est un nom dans mon imaginaire; j’en rêvais mais les images étaient elles -mêmes construites à partir d’éléments épars, sommaires, imparfaits. Je ne pouvais appréhender la ferme que par ce biais.
Lamine Bey Chikhi
PS: voir le commentaire de Chafik Chikhi et les précisions de Ferid au sujet d’Azrou Kollal
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Posté par imsat le 7 septembre 2010
Le présent ne me paraît pas constituer une alternative crédible au passé. En parler ne me tente pas vraiment car ce serait décrire un délabrement général, une perpétuelle descente aux enfers, une régression effarante. Il n’y a rien d’autre. Si je devais relater le quotidien, je ne ferais qu’exprimer une détestation qu’on ne comprendrait pas ou qu’on trouverait excessive. Il me serait difficile voire impossible de dire du bien de ce que le présent me donne à voir là où je me trouve sauf à travestir la vérité. De toute manière, à chaque fois que j’essaie de l’investir, il me pousse à aller chercher ailleurs, et cet ailleurs touche immanquablement au temps jadis.
Dans nombre de mes souvenirs, j’ai évoqué les personnes qui ont le plus compté pour moi; je les trouvais intéressantes d’abord au regard de leurs valeurs morales. Le présent n’offre rien de comparable. Je m’inquiète d’ailleurs (même si la préoccupation reste abstraite) à l’idée de ne plus avoir à dire le bonheur d’autrefois. Ce tarissement potentiel de la nostalgie est un risque que je prends en compte. Ne plus avoir à parler du passé parce que je crois en avoir tout dit ou presque serait problématique ( j’allais dire terrible). Je me rassure comme je peux. Parfois, il me suffit d’aligner des mots pour déclencher le souvenir : ville natale, époque, quartier, passé, soleil, neige, parents, vacances, famille, grands espaces…
Des mots, certes, mais pas seulement: des moments aussi de convivialité inoubliables comme cette après-midi de décembre 1966 que M, K, T et moi avions passée à écouter de la musique en dégustant des petits fours, avant d’aller voir les Beatles dans Help au cinéma Casino. Au balcon, nous étions le seul groupe mixte. La salle était à moitié vide. Belle journée.
23 heures : » les quatre ombres se dissipent sur la route » (*) . Les références au passé sont légion. Tout transite par le passé; les choses, les êtres, les scènes de rue, le temps qu’il fait, les humeurs, les postures, les regards naturellement et tout le reste…
Lamine Bey Chikhi
(*) Dans Nedjma, Kateb Yacine parle de deux ombres.
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Posté par imsat le 4 septembre 2010
Que pourrais-je dire du passage à Batna au printemps 1960 du grand cirque de Paris alors que je n’en ai conservé qu’un vague souvenir ? Je me rappelle le dompteur de lions mais j’ai surtout retenu les claquements stridents et puissants de son fouet. C’est cela que ma mémoire a enregistré; une série de claquements; le reste s’est évaporé. Pour moi, les claquements du fouet, c’était peu et beaucoup à la fois; je percevais à peine les lions; j’étais mal installé, assis dans la partie des gradins la plus éloignée de la piste et la moins confortable; j’aurais aimé aller une seconde fois au cirque mais les places étaient toutes réservées.
La chorégraphie du dompteur de lions, c’était une sorte de quintessence du spectacle; En tout cas, je la concevais ainsi; je la considérais en outre comme un acquis; il me fallait quelque chose; j’étais mal assis et de surcroît contrarié par l’hilarité déclenchée dans l’assistance par la prestation des clowns; les clowns ne m’ont jamais fait rire. Je devais malgré tout pouvoir me raconter et raconter à mes proches quelque chose de crédible et de séduisant d’un spectacle que j’avais suivi en grande partie dans l’inconfort et la frustration. Et ce quelque chose s’était focalisé sur les coups de fouet du dompteur de lions, son et image qui mirent sous l’éteignoir tout le reste y compris les acrobaties des trapézistes ou encore celles des cavaliers. Cela dit, je me souviens aussi d’avoir assisté avec plaisir et curiosité à l’installation du chapiteau derrière notre maison, sur les terrains vagues où, jusqu’en 1964, avait lieu périodiquement la fête foraine.
Lamine Bey Chikhi
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