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Consensus

Posté par imsat le 30 novembre 2010

Autrefois, il me suffisait de décliner mon identité pour être reconnu et respecté. Je pense ici à la reconnaissance entendue au sens physique et socioculturel. Je n’en ai pris la juste mesure que depuis 2 ou 3 ans.

Jusqu’à la fin des années 1960, lorsqu’il m’arrivait de dire mon nom à quelqu’un, pour une raison ou une autre, il me demandait systématiquement si j’étais le fils de tel ou tel membre de la famille en énonçant les prénoms de mon père, de mes oncles paternels, de certains de mes grands cousins. Mais on nous reconnaissait aussi de visu comme faisant partie de la famille Chikhi; on disait nous repérer à nos traits distinctifs.  Personnellement, j’en tirais quelque fierté. Cela me rassurait aussi. Je trouvais (mais je crois n’avoir pas été le seul dans ce cas) que cette reconnaissance était naturelle, qu’elle allait de soi. Je sentais vaguement que quelque chose de particulier induisait cette notoriété sans savoir de quoi il s’agissait au juste. Certes, une cité importante de la ville de Batna portait notre nom depuis des lustres mais cela me permettait à peine de supposer l’existence d’un lien entre cet endroit, son histoire et le charisme de la famille.

Ce qui importait à mes yeux, c’était l’impact, le rayonnement de notre nom patronymique même si je ne pouvais encore saisir ce que nos aînés, les anciens, avaient dû entreprendre, investir et construire pour parvenir à lui conférer ainsi qu’à notre famille et de façon durable, honorabilité et respectabilité.

Je ne pouvais pas non plus imaginer que ma perception du nom changerait un jour radicalement sous le rouleau compresseur de l’Histoire et des bouleversements  de la structure sociale et économique du pays, et qu’elle me pousserait à m’interroger sur la notion même de famille.

Un jour, voulant me taquiner après m’avoir questionné sur Azrou Kollal, le village natal de mes aieux, mon teinturier m’a dit:  »qu’est-ce qu’un nom en définitive sinon un alignement horizontal de lettres.. ».  Après quoi, il a pris un bout de papier sur lequel il a inscrit mon nom en français en espaçant nettement les lettres et en  les épelant;    il me l’a mis sous les yeux :  »tu vois, m’a t-il fait observer, ce ne sont que des lettres de l’alphabet, il n’y a rien d’extraordinaire, c’est tout à fait banal, c’est même presque absurde ».  Je n’ai pas rebondi sur son propos formulé de façon quelque peu narquoise même si, au fond de moi, j’étais tenté de lui dire quelques vérités sur les origines et l’itinéraire de la famille ou encore sur le rapport de chacun au nom qu’il porte, à ses ancêtres.  Et d’ailleurs, quelles chances aurais-je eu de convaincre quelqu’un pour qui le patronyme était réductible à une simple juxtaposition de signes, de lettres alphabétiques ?

Mon teinturier considérait que tout le monde valait tout le monde et que l’important était ailleurs. J’aurais aimé lui dire plein de choses : que même circonscrit à une suite de lettres, mon nom était sympathique, agréable à entendre, étonnant, séduisant, facile à prononcer et à retenir;  que le H qui s’intercale entre le K et le I lui donnait de la consistance mais aussi une flexibilité; que cette structure ajoutait au charme de sa déclinaison en arabe aussi bien qu’en d’autres langues (français, anglais…).

J’ai souvent pensé que ces caractéristiques positionnaient mon nom à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Mon teinturier ne l’aurait pas compris. Cela  l’aurait même agacé. Pourtant, exprimée simplement, l’idée de positionnement au carrefour des civilisations renvoie justement à ce que je disais de cette reconnaissance qui faisait consensus en dépit des conjonctures qui prévalaient à ce moment-là.

Lamine Bey Chikhi

NB: les réserves que j’ai émises sur les risques liés à l’homonymie (cf ma réflexion du 10.07.2010 intitulée Bifurcations) restent évidemment applicables à ce texte.

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J’ai peur de l’oublier

Posté par imsat le 28 novembre 2010

Ne suis-je pas en train de l’oublier peu à peu, non pas délibérément mais bien malgré moi ? La question est déstabilisante.

Je regarde sa dernière photographie et je me dis : « S’il n’y avait pas les photos, comment ferions-nous pour nous rappeler, pour ne pas oublier ceux qui ne sont plus de ce monde ? » .  Ma crainte porte sur quelque chose de global qui prend sa signification par rapport aux traits physiques de ma mère, à son visage, ses yeux, sa voix, ses postures mais également eu égard à ce qu’elle symbolise pour moi.

Il ne me reste que les mots pour dire mon anxiété face à une situation de parfaite force majeure qui me paraît induire un oubli graduel (que je sens comme irréversible) de l’être cher à travers un effacement, une néantisation des apparences. Cette sensation me fait prendre conscience des répercussions imparables de la mort dans son acception physique, sur les images, sur tout ce que l’on a cru pouvoir mémoriser, en définitive sur le réel.

J’ai peur d’oublier ma mère. Le fait même que je prenne la mesure de cette crainte que j’essaie en même temps de contenir, m’apparaît précisément comme une preuve non plus seulement de la potentialité mais de la réalité du risque dont il s’agit.

Je n’inscris pas mon appréhension dans un raisonnement philosophique; je me contente juste de rendre compte de ce que je ressens par moments.

Lamine Bey Chikhi

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Lettres d’autrefois

Posté par imsat le 21 novembre 2010

Rima m’a dit que Mà était bénie des dieux du fait qu’elle a pu nous transmettre des valeurs inestimables, qu’elle est restée lucide jusqu’au bout, qu’elle a bien vécu, qu’elle est partie dans la sérénité. Dans sa lettre, Rima m’a écrit bien d’autres choses réconfortantes en référence à la foi, à l’espérance, à la confiance dans la vie.

Je n’ai pas reçu de correspondance aussi touchante depuis la fin des années 1960, hormis bien sûr celles de mon oncle Mahieddine.  A l’époque, nombre de circonstances nous incitaient à prendre la plume, par devoir ou par exigence morale : naturellement, la maladie ou la disparition d’un proche mais aussi un différend, un malentendu. En réalité, nous étions fréquemment enclins à écrire juste pour nous raconter, demander des nouvelles, en donner, nous confier, solliciter un avis…

Je relis toujours avec intérêt les lettres d’autrefois. Celle adressée à Mà par tante L en Avril 1961 est restée mémorable pour moi et sans doute aussi pour ceux de mes proches qui en avaient pris connaisance.

A la maison, on parlait de ce courrier de 9 ou 10 feuillets foisonnant de détails et écrits dans un style naïf et imagé, comme d’un journal.  Ma tante paternelle y évoquait sa vie de tous les jours, faisant des confidences, racontant ses rêves, relatant ses contraintes, celles liées à l’entretien de la maison, à l’éducation de ses enfants, avant de questionner Mà sur son quotidien, son état de santé;  elle lui demandait aussi comment elle s’en sortait depuis le décès de mon père deux mois auparavant, exprimant l’admiration qu’elle avait pour le courage dont Mà faisait preuve dans l’adversité, insistant pour que nous acceptions d’aller passer l’été chez elle, dans sa villa de Saint-Cloud à Bône, pour nous changer les idées.

Mà a t’elle répondu à tante L ? Je ne me rappelle pas le lui avoir demandé. Certes, nous en avons parlé quelquefois mais c’était surtout pour nous remémorer nos belles années batnéennes, le plaisir que nous éprouvions à écrire des lettres, les occasions que nous saisissions ou que nous pouvions créer pour le faire.

Connaissant l’importance que Mà attachait à la bienséance et au savoir-vivre en général, je peux au moins présumer qu’elle a assuré une réponse à la fameuse lettre, soit en la rédigeant elle-même (elle en était parfaitement capable) soit en la dictant à B. Je ne crois donc pas qu’elle ait laissé un tel courrier sans suite d’autant que ses relations avec tante L étaient respectueuses, sincères et très complices.

Lamine Bey Chikhi

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Extrapolation

Posté par imsat le 14 novembre 2010

Ses appréciations me galvanisaient. Un jour, je lui ai dit que son opinion sur les questions littéraires ressemblait un peu à celle de Marguerite Duras pour qui écrire ce n’est pas nécessairement écrire des livres ni même en publier; c’est aussi écrire des lettres à des proches, des réclamations à l’administration, un mot gentil à quelqu’un de bien, etc.

Elle n’est plus de ce monde; son point de vue a toujours été précieux pour moi; il me manque même si je suis convaincu qu’il serait resté ouvertement complaisant à mon égard.

L’extrapolation ne s’arrête pas là; elle me permet aussi de replonger dans l’atmosphère que nos échanges généraient à propos de notre histoire, de celle de la famille, du pays…

Lamine Bey Chikhi 

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Emotions

Posté par imsat le 13 novembre 2010

En vérité, mon inspiration me venait d’elle, de tout ce qu’elle représentait pour moi. Ce que j’écrivais lui était d’abord destiné soit parce qu’elle était toujours présente dans mes évocations soit parce que dans ma relation des souvenirs liés aux années 1950-1960, j’étais particulièrement intéressé par la dimension historique de son avis dont je savais par ailleurs qu’elle le formulerait globalement en connaissance de cause.

Cependant et indépendamment de ce que je devais préciser ou nuancer pour que mes réminiscences restent de ce point de vue crédibles, j’étais surtout curieux de voir l’effet que mes textes pouvaient lui faire. En constatant la même heureuse attention qu’elle prêtait régulièrement à mes écrits, il m’arrivait quelquefois de penser que je tenais là un moyen de renouveler à l’infini en les recréant les conditions d’autres instants de bien-être, de sérénité.

Ces derniers jours, en songeant à la possibilité que j’avais alors d’égayer notre existence de la sorte, je me suis rappelé trois moments exceptionnels à la faveur desquels j’avais éprouvé des sensations comparables tout en les lui faisant partager : la première fois en lui annonçant en juin 1966 ma réussite au brevet, la seconde en novembre 1988 en lui montrant ma première nouvelle publiée dans le journal Horizons, la troisième fois en lui faisant part en janvier 2006 de ma décision de prendre une retraite anticipée pour passer plus de temps avec elle.

A travers la lecture que je lui faisais de mes projets de textes, je cherchais peut-être  inconsciemment à susciter chez elle les mêmes émotions sachant pertinemment que si ma démarche pour ce faire aboutissait, j’en tirerais également le même ravissement.

Durant près de trois ans, chaque soir avant le JT de 20 heures, je lui lisais ce que je venais d’écrire; elle me regardait, elle m’écoutait; je lisais lentement et distinctement, m’arrêtant quelques secondes après chaque phrase pour tenter de capter un peu plus que son regard, un peu plus que son écoute. Quand je finissais de lire, elle me disait :  » Ah, cette fois aussi tu l’as bien amené, c’est formidable ! « .

Notre bonheur, c’était aussi cela.

Lamine Bey Chikhi 

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Les premières pluies sans elle

Posté par imsat le 7 novembre 2010

J’aimais sa façon de s’essuyer la bouche après avoir dégusté un yaourt. J’aimais ses regards. J’aimais la regarder pétrir la pâte à l’époque où elle pouvait encore le faire ou découper un plateau de baklawas la veille de l’Aid.  J’aimais quand elle m’écoutait parler ou quand elle me disait en diverses circonstances: « que dieu te protège ».  J’étais heureux quand elle rentrait à la maison après un week-end passé chez S ou chez A;  je l’étais aussi quand elle préparait la tamina. J’aimais la voir plier, avant de les ranger dans l’armoire, au reste toujours soigneusement, des draps, des serviettes, des pulls ou même des chaussettes.

J’aimais quand, dans les années 1960-1970, elle m’appelait Manouche. J’aimais la regarder prendre son petit-déjeuner; j’étais toujours bien lorsqu’elle me tendait la moitié d’une pomme qu’elle venait d’éplucher.

Ce que je dis ici n’a pas vocation à remplacer le vécu, ne la fera pas revenir; je pense à elle pour être avec elle, pour en avoir l’illusion en tout cas; je m’arrête souvent devant sa dernière photographie, celle qui devait servir à lui confectionner une nouvelle carte d’identité et dont j’avais fait un agrandissement.

J’aimais quand elle me disait, solennelle : « écoute moi bien Lamine, je vais te faire une recommandation… ».

C’est l’automne, il pleut abondamment sur Alger. Ce sont les premières pluies sans ma mère.

Lamine Bey Chikhi

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Remises en question

Posté par imsat le 6 novembre 2010

Ce qui continue de m’occuper l’esprit, c’est bien sûr ce que nous aurions voulu réaliser alors qu’elle était encore parmi nous mais qui, du fait de son décès, va rester inachevé, imparfait; c’est aussi ce que je crois n’avoir pas accompli pour concrétiser en son temps une partie au moins des idées dont il s’agit.

Comme je ne parviens pas à qualifier précisément ce sentiment, je ne peux que conjecturer : « c’est comme si elle m’avait filé entre les doigts » ou bien : « j’aurais dû voir venir les choses » ou encore : « je n’ai pas su interpréter comme il fallait et au bon moment ce qui risquait de concourir à sa disparition ».

En pensant de la sorte, je m’interroge en même temps sur ce qui échappe à l’être humain en dépit de toutes les précautions qu’il estime avoir prises pour tenter de contrôler des situations dont il sait au fond qu’elles ne relèvent pas de son domaine.

« Dans ces conditions, pourquoi s’en préoccuper ? » se demandent ceux qui préfèrent tourner la page et regarder vers l’avenir. Pourtant, il ne me paraît pas superflu d’essayer d’améliorer ou de réajuster la façon dont on considère la vie, en particulier ce qui touche aux relations humaines, au temps, à l’histoire, à partir d’événements individuels ou familiaux particuliers, retentissants.

En définitive, comment tirer le maximum d’enseignements d’une disparition qui induit des regrets de divers ordres, et se remettre positivement en question ?

Lamine Bey Chikhi

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Je pense à elle tous les jours

Posté par imsat le 4 novembre 2010

Chacun de nous ressent à sa manière la perte d’un être cher.

J’aimerais à cet égard reprendre le propos développé sur la question du deuil par l’immunologiste Jean Claude Ameisen, Président du comité d’éthique de l’Inserm. Ce scientifique considère que la personne disparue a vécu et qu’à partir de cette réalité on peut reconstituer son parcours, son itinéraire ou juste des fragments de son histoire. On la fait ainsi de nouveau exister.

Penser la mort de cette façon permet d’en relativiser l’impact, de le dédramatiser. Il y aurait une espèce de continuité dans l’entretien du lien initial pour peu que l’on consente à s’engager dans ce processus de reconstitution.

L’écriture de souvenirs (qui n’est pas la seule démarche possible) contribue à « faire revivre » les êtres disparus. Ainsi, la mort n’est plus perçue uniquement comme un fait définitif; plus précisément si elle l’est dans sa dimension physique, elle ne l’est ni sur le plan moral ni d’un point de vue intellectuel et encore moins dans la mémoire. Le devoir de mémoire, c’est aussi cela.

La position de l’acteur Roland Giraud s’inscrit dans la même trajectoire. Lorsqu’on lui demande s’il parvient avec le recul à faire le deuil de sa fille Géraldine, morte assassinée, le comédien répond : « C’est quoi cette expression ? Pour moi, ça n’existe pas; je ne veux pas faire le deuil de ma fille, je pense à elle tous les jours ! »

Lamine Bey Chikhi

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