J’ai peur de l’oublier
Posté par imsat le 28 novembre 2010
Ne suis-je pas en train de l’oublier peu à peu, non pas délibérément mais bien malgré moi ? La question est déstabilisante.
Je regarde sa dernière photographie et je me dis : « S’il n’y avait pas les photos, comment ferions-nous pour nous rappeler, pour ne pas oublier ceux qui ne sont plus de ce monde ? » . Ma crainte porte sur quelque chose de global qui prend sa signification par rapport aux traits physiques de ma mère, à son visage, ses yeux, sa voix, ses postures mais également eu égard à ce qu’elle symbolise pour moi.
Il ne me reste que les mots pour dire mon anxiété face à une situation de parfaite force majeure qui me paraît induire un oubli graduel (que je sens comme irréversible) de l’être cher à travers un effacement, une néantisation des apparences. Cette sensation me fait prendre conscience des répercussions imparables de la mort dans son acception physique, sur les images, sur tout ce que l’on a cru pouvoir mémoriser, en définitive sur le réel.
J’ai peur d’oublier ma mère. Le fait même que je prenne la mesure de cette crainte que j’essaie en même temps de contenir, m’apparaît précisément comme une preuve non plus seulement de la potentialité mais de la réalité du risque dont il s’agit.
Je n’inscris pas mon appréhension dans un raisonnement philosophique; je me contente juste de rendre compte de ce que je ressens par moments.
Lamine Bey Chikhi
Bonjour,
Permettez-moi de vous dire ce qui suit en tant que lectrice et relation de Ferid dont je suis le bliog régulièrement et jeme permets d’aller sur le lien de votre blog.
Je vous lis et à chaque phrase, chaque mot et chaque expression de vos écrits me l;aissent penser que vous ne voulez pas admettre la perte de votre mère. Au regard de votre capacité à exprimer vos sentiments, chose que d’autres ne peuvent pas faire. Je dois aussi vous dire que j’ai ressenti les mêmes difficulté lors du décés de ma soeur avec qui j’ai partagé plus de 11 ans de vie commune. J’avais 19 ans au moment du décés de ma mère et c’est ma soeur mon aînée de 5 ans qui m’a prise sous son aile. Mais il a fallu faire le deuil après quelques mois. Sans jamais l’oublier. J’ai considéré que j’avais eu le privilège d’avoir vécu auprès d’elle des moments que mes autres soeurs – plus jeunes – n’ont pas eu la chance de connaître ou ont connu autrement.
Des réponses à vos questions !? Vous seul en avez la forme et le fonds. Je peux répondre à quelques-unes d’entre-elles en commençant par la première : celle de l’oublier peu à peu ? Il va dans la nature des choses que l’oubli fait partie de nous. Mais la mémoire et le souvenir sont là pour nous aider à s’en rappeler. Oui ! La question est destabilisante je dirais même épeurante mais c’est ainsi.
Nous avons la chance d’avoir cette invention significative qu’est la photo et aujourd’hui des vidéo, imaginez l’inexistence de ce patrimoine que sont nos aînés décédés depuis longtemps. J’ai lu quelque part que vous avez perdu votre père durant votre prime jeunesse, quel souvenir en gardez-vous aujourd’hui que vous êtes orphelins de vos parents ?
Vous dites qu’il ne vous reste queslLes mots pour dire votre anxiété face à une situation de parfaite force majeure qui induit un oubli graduel, là aussi c’est naturel et normal ssans quoi quel sentiment peut-on vivre aussi intensément.
Ne dit-on pas que la mort est le commencement d’une novuelle vie et non pas la fin de la précédente ? C’est à cet effet que le deuil doit être vécu le plus brièvement possible. Il nous aide non pas à oublier mais `inscire dans la mémoire le souvenir des êtres chers que nous perdons au fil du temps comme nous serons perdu pour ceux et celles que nous laisserons derrière nous.
C’est un risque qu’il faut vivre pleinement et qu’il faut ressentir dans une réalité dont nous ne sommes pas maîtres. Ce qu »il vous faut c’est sortir de cet engrenage et par exemple voyager, changer d’habitudes et en avoir d’autres.
Caroline
Bonjour Caroline,
Merci pour votre commentaire. Je prendrai le temps d’y répondre car il soulève beaucoup de questions intéressantes.
Lamine bey
Salut Caroline,
Je me suis aperçu en relisant votre commentaire que la plupart des réponses auxquelles je songeais se trouvaient dans les textes que j’ai écrits depuis le décès de ma mère.
La préoccupation centrale tourne autour de la manière de faire le deuil de l’être cher. Je devrais mettre le mot manière au pluriel car en effet il y en a plusieurs (c’est en tout cas mon point de vue).
Vous avez dit quelque chose de pertinent à ce sujet en soulignant implicitement que la démarche qui consiste à faire le deuil ne signifie pas que l’on oublie la personne disparue. Je suis entièrement d’accord sur ce distinguo.
A partir de là, tout le reste est dans la manière. Certains réactivent leur mémoire, leur devoir de mémoire en allant de temps à autre au cimetière pour un hommage aux disparus; d’autres le font à l’occasion de l’anniversaire d’une disparition; d’autres encore passent par le souvenir…
Personnellement, je privilégie l’évocation des souvenirs, mais une évocation formalisée par écrit; l’écriture dans ce cas est à la fois un outil et un vecteur. Je l’ai fait pour mon père 50 ans après sa disparition; je le fais aujourd’hui pour ma mère sans prendre de recul.
C’est vrai, j’essaie toujours de nuancer le propos pour dire mon désaccord avec telle ou telle interprétation. Par exemple, l’expression » faire le deuil de quelqu’un » résonne dans ma tête comme un appel à l’oubli, à la rupture.
« Tourner la page » ou même » passer à autre chose » : ce sont des expressions qui font partie du langage courant un peu partout dans le monde mais elles me paraissent réductrices et brutales.
C’est pourquoi, je m’efforce de dire les choses autrement.
Parler de ma mère et donc penser à elle en écrivant me repose.
Par exemple, en ce moment précis, j’aimerai dire que le tonnerre l’effrayait, qu’elle craignait les pannes de courant, qu’elle aimait le ciel bleu, que la canicule d’Août ne la dérangeait pas outre mesure, qu’elle était en quête de bonnes nouvelles, qu’elle choisissait toujours le bon moment pour évoquer certaines situations…
Je partage votre avis sur ce que vous laissez entendre au sujet de la nécessité de se rendre à l’évidence et d’admettre la réalité. Je crois simplement que le moyen d’y parvenir dépend de chacun de nous et de plein de facteurs(histoire individuelle, culture, environnement, tempérament…).
L’expérience personnelle que vous relatez et qui a retenu toute mon attention fonde largement votre réalisme et votre positivisme; elle est instructive à plus d’un titre.
Je suis aussi d’accord avec ce que vous dites sur la nécessité de changer les habitudes, de sortir de « l’engrenage » si c’en est un.
Quelqu’un de mon entourage suggère de « se mettre en mouvement ». Là aussi, tout est dans la formulation et la manière.
Bonne journée à vous et meilleures salutations d’Alger,
Lamine bey
Salut Lamine,
Que la paix soit sur l’âme de ta maman.
Elle était sage et pleine d’humilité.
Tu en parles avec beaucoup d’émotion.
Il faut laisser du temps, au temps du Deuil.
Je pense que les êtres chers ne meurent jamais, car on les garde bien au chaud, au fond de son coeur, et parfois en rêve ils nous apparaissent, pour continuer à dialoguer avec nous.
Bien cordialement ainsi qu’à toute ta famille.
N.C.
Bonjour Nadira,
Tu as résumé bien des choses en quelques lignes. Des mots significatifs émergent : humilité, sagesse, poursuite du dialogue…le tout connecté au temps. Justement le temps: c’est cela qui me paraît conditionner tout le reste, pas seulement pour « domestiquer » les répercussions de tel ou tel événement mais pour parvenir à en parler de façon épurée, je veux dire pour parler des personnes concernées un peu comme elles l’auraient souhaité. C’est donc aussi une question d’inspiration et d’imagination.
Remerciements et salutations,
Lamine