Le temps court et le temps long

Posté par imsat le 18 juin 2011

Je n’étais pas vraiment réceptif à ce que disait Omar des répercussions de la pluie sur certaines récoltes. Nous étions assez nombreux dans la salle de séjour. Les autres chambres étaient aussi pleines. Il était près de 11 h. A ma droite, l’ancien patron de Madiha, un spécialiste de la préhistoire, racontait avec force-détails à ceux qui voulaient l’écouter, le Tassili, les innombrables fouilles et les fabuleuses découvertes qu’il y a faites avec son équipe dans les années 1970-1980. Je pensais à l’enterrement de Madiha; j’essayais d’imaginer les conditions dans lesquelles il allait se dérouler. Les préparatifs d’une inhumation, certains détails du processus correspondant, les hypothèses de force majeure les plus absurdes, les plus insensées en rapport avec ce genre d’événement, tout cela m’a toujours stressé. J’ai repensé à l’enterrement de ma mère puis à celui de Soraya en espérant que tout irait également bien pour celui de Madiha. C’était cela qui me paraissait le plus important ce matin-là; le reste n’était pas de nature à me préoccuper. Autour de moi, on continuait de palabrer; j’étais ailleurs, je veux dire mentalement ailleurs. J’ai seulement entendu Smaïn dire : « même si la mosquée et le cimetière ne sont pas très loin, il vaut mieux que nous sortions dès midi pour y être dans les temps ». Etre dans les temps, c’est ce qui a toujours prioritairement compté pour moi dans de telles circonstances. J’étais d’autant plus rassuré par cette recommandation qu’elle émanait d’un parfait connaisseur  des questions liées aux funérailles en Islam pour les avoir  souvent encadrées, en particulier dans le cercle familial. Je l’étais encore davantage en constatant que l’assistance en avait bien saisi la pertinence. Je pouvais dès lors me lâcher un peu, faire comme les autres, participer à la conversation, bouger, prendre un café, déguster, l’esprit tranquille, la délicieuse Halwat tork qui nous avait été servie, prêter un moment l’oreille au discours passionné et érudit du préhistorien. Quant à Omar, il n’en était plus à l’impact des variations climatiques sur l’agriculture. Maintenant, il évoquait les vêtements de sa mère (ma tante paternelle Drifa) décédée il y a plus de 5 ans. « Ils sont toujours dans son armoire; les objets  qu’elle a laissés sont encore à leur place; rien n’a changé; personne n’y a touché… » avait-il indiqué avant d’ajouter:  « ça ne nous a jamais dérangés. Dans mon entourage, on dit que le temps est peut-être venu de les distribuer; c’est aussi mon avis ».   Moi qui croyais avoir quelque peu exagéré en laissant en l’état les vêtements de ma mère depuis près de 10 mois, je me trouvais ainsi conforté dans mon point de vue sur le sujet, qui plus est par quelqu’un dont j’ai toujours pensé qu’il était plutôt dogmatique en la matière, c’est-à-dire loin de toute idée de fétichisme et systématiquement enclin à faire primer la vie présente, le réel sur la nostalgie.  Le rapport aux vêtements  de la personne disparue, c’est un rapport au temps. Prendre le temps à cet égard, c’est faire une pause après le mouvement du temps que l’on a dû comprimer lors des obsèques conformément aux préceptes de notre religion. En l’occurrence, c’est le temps long qui succède au temps court.

Lamine Bey Chikhi

NB: Ferid a ouvert une page familiale sur son blog convergences plurielles

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