Regarder un peu derrière soi
Posté par imsat le 21 juillet 2011
Ce qui revient en boucle dans ma tête lorsque les circonstances le nécessitent, ce sont les moments sublimes de l’enfance et de l’adolescence. C’est aussi l’ambiance d’une époque, une ambiance intimement liée à la famille, aux saisons, à ce qui s’offrait à nous et que nous pouvions nous offrir. Je sentais les choses; je n’avais pas besoin d’en comprendre les tenants et aboutissants; je n’y pensais même pas. Et puis je n’étais pas en mesure de le faire. Ce que je vivais, c’était une sorte de bonheur intégral, spontané, décloisonné. Il n’y avait pas à réfléchir ni à tergiverser. Il y avait à prendre le meilleur de chaque instant, chaque saison, chaque événement. Rien ne me laissait indifférent : l’odeur de la fourrure de ma veste canadienne, mes pataugas, leur solidité, les morceaux de ciel bleu azur que j’observais de la fenêtre de notre salle de bains, la grisaille automnale que je neutralisais par toutes sortes d’espérances, de promesses de rencontres, la radio, le tourne disque, Bill Haley, Paul Anka, Les chaussettes noires, Adamo, Tombe la neige, les compagnons de la chanson, Verte campagne, Boudjemâa El Ankis, Abdelhamid Hafez, Musique sans passeport. Il n’y avait pas à s’interroger, il fallait simplement se laisser aller, tout paraissait facile, à portée de main. Je repense au silence de la rue Beauséjour, à l’heure de la sieste, un silence que seul le bruit de la scie du menuisier du quartier venait rompre par intermittence, un bruit attendu, espéré même et sans lequel le silence risquait de devenir détestable. Et puis, il y avait les grandes vacances, Bougie et les Aiguades, Bône et Chapuis, Khenchela et Hammam Essalihine. Est-ce ainsi que l’on rattrape les choses ? Et d’abord, qu’est-ce que rattraper les choses ? Peut-être tenter de mieux les identifier, les décrypter, en tirer profit, les mettre en lumière, en valoriser les aspects qui le méritent… Ce serait aussi s’engager dans une quête dynamique formellement inscrite dans le temps présent même si son contenu renvoie au passé. Rattraper les choses, ce n’est pas du tout se retrouver dans une impasse. C’est un peu ce que j’ai voulu expliquer à mon cousin Magid rencontré hier après-midi, rue Duc des Cars, et qu’il a fini par comprendre quand j’ai tenté un parallèle entre les gens d’autrefois et ceux d’aujourd’hui. Dans le même ordre d’idée mais dans une optique plus globale, plus sociologique et pas du tout nostalgique du passé auquel je me référais, il m’a dit : » Nous faisons partie de la dernière génération à disposer de la capacité de juger ou plutôt d’évaluer et donc de comprendre ce qu’ont fait les anciens (nos parents, nos grands-parents). En revanche, ceux d’aujourd’hui, ceux que nous laisserons derrière nous, après notre départ n’ont pas ce potentiel; ils n’en sont peut-être même pas conscients; ça ne les intéresse pas; leurs préoccupations sont ailleurs et c’est ce qui me paraît inquiétant « . C’est un point de vue que je partage non pas seulement parce qu’il émane de quelqu’un qui a pris le temps d’examiner l’individu et par ricochet des pans entiers de la société durant sa longue pratique de la psychiatrie, mais parce qu’il résume assez bien ce que la réalité nous donne à voir. S’abstenir de regarder derrière soi, c’est rester dans la sidération par rapport aux bouleversements du monde, se priver d’un outil de compréhension des anachronismes actuels, s’enfermer dans le superficiel, les faux-semblants, le paraître. Mais peut-être notre raisonnement est-il ringard, conservateur, déphasé…
Lamine Bey Chikhi
Laisser un commentaire