Le bonheur, c’est quand il n’y a pas de bruit
Posté par imsat le 30 juillet 2011
Je ne suis à l’aise dans aucune pièce; je n’arrête pas d’en changer, à cause du bruit des voisins et de celui de nombre d’habitants du quartier. Par moments, j’ai l’impression d’être dans l’antichambre d’un départ non pas pour un autre appartement, un autre quartier, mais un autre continent, une contrée lointaine, un endroit où le bruit n’existerait pas, hormis celui de la nature. Le bruit dont je parle et que je fustige en moi-même n’est pas n’importe quel bruit ni celui que n’importe qui peut faire de temps à autre soit involontairement soit parce que c’est inévitable. Non, je ne parle pas de ce genre de bruit généralement passager, ordinaire, presque imperceptible, qui ne retient pas l’attention, qui entre dans la normalité des choses. Non, le bruit que je cible, c’est un bruit quasi permanent, une succession ininterrompue de nuisances sonores, de l’aube à 2heures du matin et même au-delà. Mes voisins du dessus en sont les principaux auteurs. Leurs bruits sont variés, multiples, incessants: bruits de vaisselle, bruit de la pression de l’eau dans la cuisine, dans la salle de bains, bruit de la chasse d’eau que l’on actionne d’innombrables fois par jour, bruit des enfants qui courent dans le couloir, bruit des meubles qu’on déplace le matin et en début de soirée, bruit des talons des femmes qui viennent préparer des gâteaux chez leurs parents. A ces bruits s’ajoutent celui que fait le vieil ascenseur en dépit ou peut-être à cause de ses fréquentes réparations, ainsi que celui des enfants d’en face qui descendent les escaliers en criant. Il y a aussi le vacarme du quartier, les coups de klaxons récurrents des automobilistes, les manipulations brutales des bennes à ordures par les travailleurs de Netcom qui viennent enlever les déchets ménagers à des heures impossibles de la nuit. Il y a enfin les incivilités du matin et celles du soir, le bruit de la zorna et d’autres instruments de musique des orchestres qui accompagnent les cortèges nuptiaux devenus presque quotidiens ces dernières années. Aucune chambre n’est à l’abri de ces agressions, parce que pour moi il s’agit bel et bien d’agressions. Il m’arrive de penser que s’il n’y avait pas tous ces bruits, je serais vraiment heureux. Ainsi donc, le bonheur pourrait tout simplement être l’absence de bruit ; ce serait le même quartier, le même immeuble mais sans le bruit. Dans les années 60, il n’y avait pas de bruit. Les week-ends étaient complètement, absolument calmes. A l’époque, le bonheur c’était autre chose, ça n’avait rien à voir avec le fait qu’il n’y avait pas de bruit. Aujourd’hui, c’est différent; s’il n’y avait pas de bruit, je crois, je suis même sûr que je ne me plaindrais de rien, parce que le reste en effet ce n’est rien comparé au bruit, enfin c’est insignifiant. Je dois dire que ma perception du bruit est devenue critique, pointue, radicale. Pour moi, le bruit traduit et explique tout ce qui agite une société; il catégorise l’individu, le positionne non plus seulement au présent, dans une société donnée, mais dans une histoire, un itinéraire. La sensation que j’ai parfois de me retrouver dans une voie sans issue à cause du bruit environnant résulte de mon approche critique du bruit. Mon envie de fuir vient sans doute de cela. Elle n’est pas économique ou matérielle; elle n’a rien à voir avec les raisons généralement avancées par ceux qui disent vouloir quitter le pays. Je n’ai jamais entendu un compatriote dire qu’il voulait partir à cause du bruit. Ma raison à moi, si je devais en avoir, serait liée au caractère insupportable du bruit appréhendé comme l’expression paroxystique d’une complexité à la fois historique, sociale et culturelle. Quand j’en ai parlé à ma nièce Roxane, elle m’a suggéré d’en faire une nouvelle…
Lamine Bey Chikhi
Salut Lamine
Ah! ta nouvelle sur le bonheur du silence !!! En effet, nous en avions parlé et je te disais comme j’appréciais les moments où je suis seule à la maison avec juste le bruissement des feuilles dans les cimes ou même avec rien d’autre que le silence; je n’écoute même pas de musique, rien, chchch…Ttt
Cela me rappelle mon année de chômage en 2010: une extrême déprime s’était emparée de moi, à m’en exorbiter le cerveau, un sentiment d’inutilité extraordinaire à en perdre la raison. Je croyais que je sombrais soit dans la folie soit dans la dépression. A tel point qu’un jour ou un soir, je suis rentrée volontairement dans cet état de profonde déprime, histoire de l’explorer de plus près, de la titiller, de lui dire de me lâcher la grappe. Et soudain, un son de coup de feu claque dans ma tête, comme dans les films de gangsters de Chicago ! Premier choc: aurais-je des idées suicidaires ? moi si gaie et joyeuse? non, j’aime trop le jazz, les pistes de danse et les rires de L et I pour penser ainsi. Mais j’ai quand même continué d’explorer ce Bang ! et en fait, après ce coup de feu, je me suis retrouvée voguant dans un silence radieux, celeste. Tu sais, le silence qu’il fait à 11000 m d’altitude; l’altitude que prennent les avions en vitesse de croisière. L’image qui m’est venue spontanément à l’esprit, c’est celle d’un ciel bleu paisible avec ses oreillers de nuages blancs qui partent doucement… un vrai bonheur de silence. D’un profond apaisement. Et comme le jazz n’est jamais loin dans ma tête, un air de Django Reinhardt est venu bercer ces nuages, dont le thème est justement « Nuages ». Je t’invite à l’écouter (sur U-tube tu trouveras).
Depuis, j’ai apprivoisé ce coup de feu finalement amicalement violent; c’est devenu ma méthode d’entrée en relaxation. Entrée dans le silence des nuages et de l’azur !!! Plus qu’une méditation, un repos, une expérience.
Roxane