Posté par imsat le 27 août 2011
Nous en discutions quelquefois mais nos considérations restaient générales, limitées aux mêmes aspects et n’accrochaient pas durablement notre attention. Pendant longtemps, notre intérêt pour l’histoire de la famille a été marginal. A vrai dire, nous n’étions pas dans la dialectique de l’Histoire. Aujourd’hui, c’est un peu différent. En tout cas, personnellement, je ne suis plus du tout dans le même état d’esprit. Se contenter d’en parler ne me semble pas être d’une grande utilité. « On est plus ou moins enclin à raconter l’histoire lorsqu’on en connait quelques bribes mais on ne sait pas l’écrire ». Je fais mien ce constat de B car il s’agit en effet de passer de l’oralité à l’écriture, de formaliser ce que l’histoire nous inspire. Je dis « nous » parce que cela pourrait impliquer plusieurs membres de la famille. Je ne pense pas à l’approche historienne d’un parcours, autrement dit à une narration nécessairement soumise à une méthodologie, à une chronologie même si une telle démarche n’est pas exclue pour ceux que cela pourrait tenter. Au-delà des faits, l’idée c’est de développer, dans ce que chacun croit être sa liberté, des hypothèses, des interprétations en rapport avec l’histoire de la famille. Romancer les choses ? Pourquoi pas si cela consiste à les dire comme on le sent voire à les idéaliser quitte à les nuancer après coup. Lorsque je dis que je trouve l’histoire des Chikhi prodigieuse, je ne suis pas dans l’exagération car je le conçois en songeant au pouvoir magique des mots, ces mots qui non seulement donnent du sens et de la valeur à ce dont on parle et remettent les pendules à l’heure s’il y a lieu, mais permettent également de sortir des oubliettes tout ce qui mérite de l’être et de ne pas passer ainsi par pertes et profits le legs des ancêtres. On peut vouloir raisonner autrement à l’instar, par exemple, de ceux qui estiment que le contexte de l’époque était différent, que c’était moins compliqué qu’aujourd’hui et que la tâche avait été facilitée aux membres de la famille parce qu’ils vivaient majoritairement à Batna. Présenté comme tel, l’argument contextuel me paraît réducteur en ce qu’il est connecté à la notion d’agrégation (de la famille) autour d’une même ville tandis que pour moi il est censé présenter aussi d’autres dimensions sur lesquelles il me semble important de plancher. J’ajoute que je sens comme une extrapolation plausible de certaines indications pour faire de l’histoire de notre famille un outil d’aide au décryptage des mutations contemporaines, de notre rapport à l’Algérie, au reste du monde, à la culture…
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 20 août 2011
Hormis celles de ma mère (3 au total) qu’il me fallait absolument encadrer après son décès pour les raisons qu’il m’a déjà été donné d’exposer, et celle qu’on avait prise de moi à Venise, place Saint Marc en août 1993, les photos n’ont jamais suscité chez moi l’envie de les enjoliver et de les traiter autrement qu’en les commentant selon l’inspiration du moment. Sur la photo dont il est question aujourd’hui, je devais avoir 12 ou 13 ans. Je l’avais mise (en réserve) dans le calepin qui me servait de pense-bête. Je la regardais assez fréquemment; c’est l’une de mes rares photos que je trouvais intéressante; c’est pour cela que je l’ai extraite de l’album familial et mise de côté. Et puis, comme elle était un peu défraîchie, j’ai eu l’idée d’en faire un nouveau tirage et de l’encadrer avant de lui réserver un endroit approprié. Cette photo ne soulève pas de ma part que des considérations esthétiques et ce n’est pas par narcissisme que je souhaitais en parler spécialement. Au début, c’est vrai, elle m’attirait dans sa globalité, par rapport à l’atmosphère à laquelle elle renvoyait et dont je savais précisément ce qu’elle symbolisait en son temps; je ne faisais pas attention aux détails qu’elle pouvait donner à voir mais je sentais qu’elle en recélait un certain nombre sur lesquels je me promettais de revenir un jour. Je me disais : « elle me plaît, je m’en occuperai ultérieurement, il ne faut pas que j’oublie ». Enoncer ces éléments ne suffirait peut-être pas à expliquer mon intérêt pour cette photo. Et en effet, qu’y a t-il d’extraordinaire à être photographié, assis dans un fauteuil cossu, l’air détendu, souriant, habillé sobrement, portant une montre classique gris-clair…?. Chacun sait que l’on se montre en général à son avantage face à l’objectif soit délibérément soit parce que celui qui photographie demande qu’il en soit ainsi. Eh bien, la photo dont il s’agit n’a rien d’artificiel ni d’arrangé ou de trafiqué; c’était ce que je voulais dire sur un plan formel; les apparences sont conformes à la réalité et c’est aussi cela que je tenais à souligner. Cette photo, c’est la trace figée mais palpable d’un bonheur paisible, réel, total; et même si j’y apparais seul, elle n’en témoigne pas moins de la belle époque, celle où la famille était encore regroupée à Batna et où l’on était loin d’imaginer qu’il n’en resterait plus tard que des souvenirs volatils, parfois insaisissables. Notre salon, un téléphone, un tourne-disque, un tapis, le regard direct, insouciant, heureux que je lance spontanément à B qui me photographie, ma veste et mes chaussures d’hiver, une aisance dans la posture. Plus je passe en revue ces éléments et plus je suis convaincu qu’ils reflètent exactement l’équilibre, la qualité de notre mode de vie d’alors, outre naturellement le bien-être dans lequel je baignais personnellement. Je pourrais m’étaler sur ces détails, sur leur histoire, ce qui ne ferait que conforter ce que j’en pensais déjà lorsque je les appréhendais dans leur généralité. Je ne le ferais pas, les ayant déjà tous évoqués ici même d’une façon ou d’une autre. En revanche, j’exhiberais volontiers la photo concernée comme l’expression d’un bonheur authentique mais aussi, par les multiples interprétations qu’elle permet, comme l’une de mes réponses possibles à ce que le dramaturge Jacques Lassalle appelle L’incertitude radicale du monde.
Lamine Bey Chikhi
PS : Lire le commentaire inventif et aérien de Roxane sur le texte » Le bonheur, c’est quand il n’y a pas de bruit «
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Posté par imsat le 13 août 2011
Je me demande si l’absence d’une prise en charge et par voie de conséquence la marginalisation de notre histoire, je veux dire celle de notre famille, ne s’expliquent pas par l’histoire elle-même. Il y aurait de ce point de vue des séquelles, des stigmates, une sorte de répétition de réflexes hérités de l’histoire. En d’autres termes, si l’histoire d’une famille est censée impliquer à des niveaux différents et de diverses façons l’ensemble de ses membres, il n’en demeure pas moins que ses avancées éventuelles, ses contributions, ses oeuvres les plus marquantes restent le fait d’une minorité. Cette histoire serait ainsi tirée vers le haut nécessairement par une locomotive conduite par un staff sur la base d’un leadership qui tire sa légitimité certes du collectif, donc de l’ensemble des membres de la famille, mais qui s’en démarque en même temps par des éléments distinctifs intrinsèques pour permettre au groupe (d’aucuns diraient le clan, la tribu) d’aller de l’avant. C’est un peu comme cela que je perçois l’évolution de la famille Chikhi durant la période coloniale et c’est sous cet angle qu’elle me semble intéressante. Je trouve qu’il y avait une homogénéité dans la répartition des rôles en vue d’agir et de peser sur la vie de la cité. Il y avait aussi un processus organisant le relais, le passage de témoin entre les personnes indiquées. Et ce qui est remarquable et qui fait la singularité de cette démarche durant l’époque et dans la ville considérées, c’est non seulement l’action multiforme (économique, sociale, politique, culturelle, caritative…) de la famille mais aussi l’implication structurée dans ce cadre d’un collectif. L’exploitation de la ferme d’El Madher était collective tandis que les engagements politiques et associatifs concernaient des individus, des personnalités. Au total, cela fut rendu possible autant par le rayonnement graduel mais activement soutenu d’un nom que par l’esquisse de vraies perspectives à long terme. Il faut préciser que les Chikhi exploitèrent (outre la ferme d’El Madher) une seconde ferme dite ferme Meyer elle aussi très moderne pour l’époque puisque du fait de son caractère expérimental (unique dans la région de Batna), elle avait vocation à se développer via l’introduction et l’élevage de vaches importées de l’étranger. Eu égard à ces considérations, on peut dire que le projet batnéen de mon arrière grand-père paternel Chikhi Ali fut globalement mené et suivi conformément à l’esprit fédérateur, éclectique et pragmatique de son concepteur. La création dans les années 1950 de la Stab (Société des transports automobiles batnéens) qui mériterait à elle seule une attention et une réflexion particulières, semble avoir judicieusement ponctué cette fabuleuse histoire. Rendre compte de cette saga familiale, ne serait-ce pas à la fois un challenge et une éventuelle confirmation sous une forme intellectuelle d’une certaine continuité historique ?
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 6 août 2011
Je mentirais si je disais que j’ai fini par me consoler de la disparition de Mà et de Soraya. En réalité, je suis dans une sorte d’ébranlement presque continu. Je souhaitais en dire quelques mots parce que Nazim et Chiraz m’ont demandé à maintes reprises quels étaient mes projets, pensant que je devais nécessairement en avoir du fait que j’étais désormais plus libre (?) de mes mouvements. Je leur répondais systématiquement que je ne me situais pas du tout dans cette optique et que je vivais plutôt au jour le jour, sans toutefois parvenir à les convaincre de la véracité de mon propos. Ils saisissaient la moindre occasion pour revenir à la charge, croyant que je leur cachais des choses. L’autre jour, ils ont cherché à savoir pourquoi je n’envisageais pas de partir ailleurs, sous d’autres cieux, là où, selon eux, je serais en phase avec mes aspirations réelles. Je leur ai dit que je n’avais pas besoin de m’expatrier pour me mettre au diapason de ce que je pourrais vouloir entreprendre, que je ne raisonnais pas du tout de cette manière en songeant aux pays dont il était question, que ma tentation à cet égard demeurait accrochée aux images d’un certain passé (qui restent pour moi des images d’Epinal) et que, last but not least, j’avais la flemme de renouveler mon passeport périmé depuis je ne sais combien d’années. D’ailleurs, Il ne me semble pas leur avoir jamais dit ni à d’autres personnes que je me plaignais de ma situation ou de celle du pays. Je me suis aperçu qu’il ne m’était pas toujours aisé d’expliquer que je traversais simplement une phase d’ébranlement accompagnée d’une méditation tranquille (est-ce paradoxal ?) sur la perte de deux êtres chers, transition que j’essayais de vivre à ma façon, dans un repli relatif mais pas du tout pesant ni déprimant. Mà et Soraya : des repères? Elles étaient plus que cela, une présence, un facteur d’équilibre, un élément fondamental du socle culturel de la famille, le réceptacle sécurisant de mes pensées les plus profondes et plus généralement de tout ce que je ne pouvais ou ne voulais pas dire aux autres.
Lamine Bey Chikhi
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