Un instant de bonheur

Posté par imsat le 12 janvier 2012

J’appréhendais ce que son médecin traitant allait lui dire. Elle était allée le consulter parce qu’elle se sentait fatiguée depuis quelque temps. Quand elle est rentrée, je ne l’ai pas immédiatement questionnée comme je le faisais dans de telles circonstances. Je l’ai laissée se changer et se reposer un peu. Elle m’a rejoint au salon où j’étais en train de lire Proust ou Le roman de la différence, un essai de l’universitaire Serge Gaubert. Je ne lui ai rien demandé, je l’ai d’abord regardée : quelque chose sur son visage, dans ses yeux, un apaisement, me disait qu’elle avait été rassurée par le docteur L.

« Dans l’ensemble, ça va; il m’a bien auscultée; la tension artérielle est correcte, le coeur aussi, le reste également… » a t’elle commencé par me dire très calmement avant de m’exposer, toujours aussi posément, les explications du médecin sur l’ajustement auquel elle devait procéder dans son traitement habituel. Je me suis contenté de lâcher quelques mots: « tant mieux, formidable, parfait… ». Je ne souhaitais pas vraiment rebondir sur son propos dès lors qu’il me paraissait se suffire à lui-même. Au surplus, pourquoi parler alors que je sentais qu’il fallait écouter ? Pourquoi parler alors que c’était un instant de bonheur intense, ineffable, perceptible d’abord dans sa voix, une voix d’une rare limpidité ? Elle était heureuse que le docteur L n’ait rien trouvé de particulier à lui dire sur son état de santé global, lui qui, d’habitude, ne cachait pas sa préoccupation quant au caractère imprévisible de l’évolution de certains signes organiques détectés chez elle dix ans plus tôt alors qu’elle était allée passer quelques jours chez B à Strasbourg.

Elle était donc rassérénée, ce que j’ai pleinement ressenti et partagé. En repensant à ce jour-là, je me demande si elle ne voulait pas surtout me tranquilliser en me parlant comme elle l’a fait. Elle me connaissait parfaitement; elle savait en particulier que je n’exprimais jamais ouvertement mes craintes, mes angoisses; elle n’avait du reste pas besoin que je les montre, elle les voyait sur mon visage, elle savait les interpréter de la même façon qu’elle décryptait mes silences. Je crois par ailleurs qu’elle n’ignorait pas que les périphrases dans lesquelles je me lançais en général pour tenter de banaliser ou de minimiser les symptômes qu’elle me décrivait périodiquement, c’était de la pure diversion, du baratin, mais elle s’abstenait de le relever. En somme, je savais qu’elle savait mais je considérais qu’il ne fallait pas laisser le doute s’insinuer dans son esprit. Si je restais silencieux, elle risquait de s’inquiéter inutilement, et pour moi il n’en était pas question. J’occupais le terrain pour ainsi dire, en mettant opportunément l’accent sur le côté positif des choses comme, par exemple, sa dernière visite chez le docteur L.

Lamine Bey Chikhi

 

 

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