Le premier jour et les autres jours
Posté par imsat le 14 février 2013
Cheveux noir ébène, lunettes noires, robe verte. Elle s’apprêtait à monter dans le bus. Où habite t-elle ? El Biar, Hydra, quelque part sur les hauteurs d’Alger ? Elle a dû faire un détour par l’Albatros; je n’y étais pas. Je l’ai bien observée alors qu’elle montait dans le bus; elle ne s’en est pas rendu compte. Elle était seule; finalement, elle est toujours seule; je l’ai toujours vue seule; je crois que c’est la seule certitude que j’ai à son égard. Solitude que rien ni personne ne semble en mesure de briser. Un autre jour. Impeccablement coiffée. Chemisier blanc, pantalon noir, nuque dégagée. Je suis passé à côté d’elle. Elle sentait bon. Un autre jour. Tenue printanière. Légère. Couleurs pastel. Contraste total avec ses vêtements de la semaine précédente. Elle est amaigrie. Elle n’est restée qu’un quart d’heure à l’Albatros; contrariée par son voisin de droite, un barbu qui discutait bruyamment avec sa correspondante étrangère. Un autre jour. Je suis à deux doigts d’engager la conversation avec elle; c’est dans ma tête mais je me retiens; j’échafaude un scénario mais il s’efface aussitôt au profit du souvenir. Le souvenir est plus fort. Je me souviens très bien d’elle. Elle ne semble pas me reconnaître. Propulsion dans le passé. Déconnection du réel, décrochage du présent. Un autre jour. De profil. Envie brûlante de lui parler. Elle est là, à portée de main, tranquille, apaisée, bien coiffée. Elle se lève, va consulter l’almanach accroché au mur de l’établissement durant 5 bonnes minutes tout en prenant des notes dans son calepin puis elle regagne son PC; j’en profite pour la regarder discrètement sans qu’elle s’en aperçoive. Convergences, identité, atomes crochus ? J’en ai eu le sentiment quand je l’ai entendue demander des renseignements à la gérante de l’Albatros. Courtoisie, civisme, discipline. Elle en a pleinement le sens. Je le crois. Tant de choses à nous dire. Et d’abord sur notre ville natale. Celle d’autrefois, pas celle qu’elle est devenue. Jamais, je ne l’ai sentie aussi proche; juste à ma gauche, détendue, parfumée, fraîche. Silence, respiration, souffle. Communication par le silence. Autrement, c’est une impossibilité. Un autre jour. Lunettes noires. Veste fine jaune clair, blue-jean. En phase avec ce mois de juin bien entamé. Je dois m’en aller. Je m’en vais. De toute manière, ce n’est que partie remise. Un autre jour. Elle n’a pas mis ses lunettes noires. Yeux un peu cernés. Visage tourmenté. Même tenue que celle qu’elle portait la veille. De son regard aérien, elle balaie la salle avant de venir s’asseoir à ma gauche. Je trouve qu’elle ressemble à certaines actrices italiennes des années 60. Mystère, silence, solitude. En enfilant ma veste, juste avant de sortir de l’Albatros, j’ai pris le temps de l’observer, observer son profil. Enfin, prendre le temps c’est beaucoup dire. Une minute, guère plus; j’ai eu l’impression qu’elle s’était un peu redressée comme pour me permettre d’admirer sa nuque, son profil. J’ai quitté l’Albatros en songeant, le coeur léger, à ce délicat ajustement de sa part.
Lamine Bey Chikhi
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