Ce que je pense de Bouteflika -36-
Posté par imsat le 15 février 2014
Un jour, il s’est demandé ce que l’ancien Président Chadli Bendjedid avait bien pu raconter à Mitterrand durant leurs 5 heures d’entretien lors de la visite du chef de l’Etat français en Algérie en novembre 1981. Cette anecdote est-elle insignifiante et donc inutile ? Chacun peut interpréter à sa façon le questionnement de Bouteflika. Est-ce intéressant d’y consacrer quelques lignes ? Quoi qu’il en soit, la curiosité de notre Président à propos de la longue conversation dont il s’agit ne m’a pas laissé indifférent. Dans un texte précédent, j’avais parlé d’une identité de vue quasi idéale entre lui et moi sur de très nombreuses questions. Son évocation de la rencontre Chadli-Mitterrand en fait partie; elle m’a interpellé dans le meilleur sens du terme. Pourquoi ? Eh bien, tout simplement parce que la question qu’il s’est posée publiquement (je crois que c’était à la faveur d’une interview) avait été la mienne 20 ans auparavant. Les considérations développées par ses soins pour justifier son étonnement voire sa suspicion, je les avais formulées de la même façon et dans les mêmes termes deux décennies plus tôt. Je me rappelle avoir été frustré de n’avoir aucun détail de la rencontre entre les deux hommes. On avait juste parlé de 5 heures d’entretien. En 5 heures, on refait le monde, on passe en revue des pans entiers de l’actualité et de l’histoire, on décortique les relations internationales, on parle de soi, des siens, des autres, on entre dans une certaine intimité, on se découvre, on parle de ce que l’on aime, des livres qu’on a lus et de ceux qu’on n’a pas lus, on parle de ses aspirations, de son pays, du temps qu’il fait (ce jour-là, il faisait beau), et de celui qui passe… Chadli et Mitterrand ont-ils évoqué tout cela ? Moi, ce qui m’intéressait c’était ce que Chadli avait raconté à Mitterrand l’animal politique, le littéraire, celui qui avait signé « Le coup d’Etat permanent » et « La paille et le grain », l’ancien ministre de la justice sous la quatrième République (gouvernement de Guy Mollet) celui qui refusa la grâce à 47 militants du FLN condamnés à mort, le Florentin, maître dans l’art de l’esquive, l’homme qui ambitionnait de « changer la vie » au lendemain de son élection à la Présidence de la République française, en mai 1981, le tombeur de Giscard D’Estaing. Oui, j’étais vraiment curieux de savoir ce que Chadli avait pu dire à Mitterrand. Avais-je un préjugé à l’égard de Chadli ? Un peu, je l’avoue. Mais, au lendemain de la rencontre, j’avais surtout envie d’en savoir un peu plus. Je me suis demandé si notre Président avait parlé exclusivement en français ou s’il s’était fait accompagner d’un interprète au cas où il utilisait l’arabe. Qui conduisait l’entretien ? Qui posait le plus de questions ? Qui prenait l’initiative de relancer la conversation ? Y avait-il des temps morts, des silences ? Les deux hommes étaient-ils seuls ou accompagnés ? Telles étaient mes questions à l’époque. Bouteflika ciblait-il les mêmes aspects de la rencontre ? Ce qui apparaissait nettement dans sa façon de présenter les choses, c’était un certain doute quant à la capacité de Chadli à soutenir une conversation de cette durée avec Mitterrand. Je crois qu’il y avait aussi chez lui une relative frustration de n’avoir pas été à la place de Chadli non pas spécialement pour la fonction présidentielle mais pour faire en sorte que Mitterrand ait en face de lui un interlocuteur de tout premier plan, quelqu’un qui aurait pu discuter à armes égales avec le Président français, qui lui aurait même damé le pion sur nombre de thèmes.
J’ai refait le film dans ma tête. Pour ce qui est de ma frustration, je pense qu’elle s’était cristallisée implicitement autour de l’absence présumée (à tort ou à raison) d’un équilibre raisonnable entre les deux présidents. Lorsque Bouteflika a relancé cette « histoire », j’ai refait le film dans ma tête et scénarisé à ma manière la forme et la teneur de la rencontre. Ce n’était pas difficile pour moi d’autant que je connais très bien à la fois Bouteflika et Mitterrand, intellectuellement s’entend. Se seraient-ils entendus comme je l’aurais imaginé ? Toutes les options étaient sur la table. Je ne peux que supputer. Je suis dans les images, les souvenirs. Et puisqu’il est question de Mitterrand, je ne peux m’empêcher de rappeler l’audience que lui avait accordée Houari Boumediene à Alger (en 1972 ou en 1973 ?). Mitterrand était Premier secrétaire du Parti socialiste français. Il paraissait impressionné par Boumediene. Je crois qu’il l’était vraiment. Il avait dit au Président algérien son admiration pour ce qu’il venait de visiter à Alger. Il avait parlé notamment de l’usine de véhicules industriels de Rouiba. Boumediene lui avait répondu : « Vous savez, monsieur Mitterrand, l’Algérie, il faut la voir et la revoir… »
Lamine Bey Chikhi
PS: Je n’ai pas lu les Mémoires de Chadli. Je ne sais donc pas s’il a évoqué sa rencontre avec Mitterrand.
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