Ce que je pense de Bouteflika -56-
Posté par imsat le 31 mars 2014
Je me suis demandé si je pouvais travailler avec lui, être dans sa proximité. Quand on admire quelqu’un d’un point de vue intellectuel, on passe en revue toutes les hypothèses, toutes les idées que ce sentiment suggère, inspire. En réalité, ce n’était que pure spéculation de ma part. Cela m’amusait de m’imaginer dans son staff comme proche collaborateur ou conseiller. Il m’est aussi arrivé de me voir jouer auprès de lui un rôle moins classique, moins conventionnel. Je me voyais conversant avec lui ponctuellement, de façon informelle, autour de sujets globaux ayant trait à l’Algérie, au monde, à la vie en général. Je m’imaginais lui faisant part de mon avis sur plein de thématiques, toujours dans la nuance. Dans mes opinions, il y avait systématiquement trois options. Aujourd’hui, on parle de plan A et de plan B. Moi, je préfère le mot « option ». Dans mes échanges avec lui, je mettais toujours trois options sur la table. Le Président ne choisissait pas, ne disait d’abord rien, se contentant de m’écouter, me jaugeant, décryptant silencieusement mon propos, me regardant droit dans les yeux et me laissant croire que les trajectoires déclinées par mes soins présentaient toutes un intérêt, avant de me poser quelques brèves questions. Nos échanges étaient courts mais j’avais toujours le temps de conforter mes dires par une citation d’auteur, ce qui le faisait sourire. Lui aussi citait des auteurs, des hommes politiques. Nous n’abordions jamais les questions personnelles. Sur ce point aussi, notre entente était parfaite. Nous étions implicitement d’accord pour considérer que ces aspects pouvaient être appréhendés par déduction de ce que nous disions du reste, c’est-à-dire de l’Algérie, de ses problèmes, des défis à relever.
La tentation de l’Occident. Il n’y avait aucune nécessité ni aucun intérêt à soulever ouvertement les préoccupations d’ordre privé ou personnel. Il y avait du tact, de la pudeur, de la pondération dans nos discussions, surtout de ma part lorsque je sentais que je risquais de céder à la subjectivité par rapport à notre pays, notre société, nos institutions. En « dialoguant » avec lui, je pensais par moments à La tentation de l’Occident d’André Malraux, échange épistolaire de haute facture, entre un chinois et un européen sur des questions de civilisation, de culture, d’histoire. Ce que je retiens de cet essai, au-delà de son objet éminemment intellectuel, c’est l’extrême précision des mots et des formules utilisés par Malraux pour mettre en évidence les valeurs des civilisations chinoise et occidentale ainsi que leurs potentielles interactions. Chez l’auteur de La condition humaine, la nuance devient ainsi précision; elle résulte du souci de précision, et c’est un peu cette caractéristique que j’ai voulu conférer à mes conversations avec Bouteflika. Ce que j’essayais de lui apporter, c’était un autre regard, le regard d’un promeneur qui capte des scènes de rues, qui tâte le pouls de la société au jour le jour et qui en tire l’essentiel en termes philosophiques, culturels et pratiques.
Lamine Bey Chikhi
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