Escale proustienne -14-
Posté par imsat le 7 octobre 2014
Proust aurait-il pu réaliser son oeuvre littéraire exceptionnelle à plus d’un titre, s’il avait été contraint à une confrontation systématique avec le réel ? Aurait-il écrit ce qu’il a écrit s’il avait dû gérer lui-même l’intendance, les choses concrètes, matérielles de la vie ? Je me pose ces questions au regard de la réflexion qu’elles induisent sur la nécessaire voire l’indispensable distance que l’on doit s’imposer par rapport aux réalités pour pouvoir ensuite apprécier, jauger, scruter correctement avant de formuler une pensée compréhensible,, intéressante, utile, intelligible ou du moins considérée comme telle par le plus grand nombre. Le recul auquel je songe est particulier. Ce serait non pas une déconnexion totale du réel appréhendé comme concept philosophique, métaphysique mais un détachement contrôlé, subtilement maîtrisé, une espèce de pilotage automatique des questions logistiques, celles qui font la vie de tous les jours et qui seraient prises en charge par d’autres, un factotum, une gouvernante, un gestionnaire d’affaires, etc. Je n’évoque pas cette « transcendance » en pensant aux écrivains en général mais plutôt à ceux de la trempe de Proust, autrement dit ceux qui se donnent corps et âme à leur travail et qui ne font que cela parce que, pour eux, la littérature c’est la vraie vie. Proust est mort juste après avoir fini d’écrire Le temps retrouvé. Pour moi, cette image rend parfaitement compte du caractère presque sacrificiel de l’écriture et plus globalement de la démarche intellectuelle de cet auteur dont l’oeuvre continue de marquer la littérature mondiale. Je dis « sacrificiel » dans le sens positif du terme mais je devrais peut-être parler de sacerdoce. L’écriture et rien d’autre, mais sérieusement, continuellement. L’écriture comme cap, projet permanent, projection, déconstruction, réinvention illimitée de la vie ! Le reste entrave, dissipe, contrarie, rompt la dynamique créatrice engagée, casse le rythme et le processus d’écriture, parasite l’imagination, et surtout empêche de rêver. Et si on ne rêve pas, on n’écrit pas…
Lamine Bey Chikhi
Laisser un commentaire