La nostalgie n’est pas un projet
Posté par imsat le 17 octobre 2016
Certaines affirmations frappent les esprits et se démarquent complètement de la langue de bois. Lorsque, pour conclure son intervention lors du premier débat télévisé (13.10.2016) de la primaire de la droite et du centre visant à désigner le candidat des républicains à la présidentielle française de 2017, Nathalie Kosciusco-Morizet déclare: « La nostalgie n’est pas un projet », elle le fait d’abord d’un point de vue politique. C’est clair. Mais moi, j’ai immédiatement interprété le propos sur un plan littéraire. Je me suis tout de suite dit « je n’y adhère pas du tout, y compris au regard du contexte politique auquel il se rapporte ». Et en effet, même perçue politiquement, cette citation est discutable. Dès que l’on invoque l’histoire à l’appui d’un discours, d’une décision, d’un argumentaire, ce que font d’ailleurs la plupart des hommes politiques un peu partout dans le monde, on est dans une certaine forme de nostalgie. Poutine, Erdogan et bien d’autres hommes d’Etat sont dans la nostalgie. Les exemples de ce genre sont légion; ils s’inscrivent presque tous dans une volonté ou un désir de puissance fondé sur la recherche d’une gloire passée. L’objectif est ancré dans le réel, la projection dans le futur est bien affirmée mais les moyens d’atteindre le but ne sont pas déconnectés d’un certain passé. Quand, en Algérie, on évoque pour toutes sortes de raisons, la révolution de 54-62, en insistant sur son exemplarité et son retentissement planétaire, on n’est pas dans la démagogie; on est dans la nostalgie mais on ne le dit pas, on préfère parler de l’histoire. La nostalgie est partout, et parce qu’elle est omniprésente, elle ne me parait pouvoir constituer un dénominateur commun à ses adversaires et à ses partisans qu’appréhendée et sans doute aussi expliquée sous un angle éminemment littéraire. Il me semble que ce que l’on ne veut assumer ouvertement d’un point de vue politique, est plus facile à exhiber dans le champ littéraire. Je sais depuis belle lurette qu’on peut aussi procéder à des recoupements et exploiter les synergies potentielles liées aux ramifications diverses et multiples de l’écriture romanesque. C’est un peu ce que j’ai tenté de mettre en évidence à travers les textes que j’ai consacrés au Président Bouteflika (cf Ce que je pense de Bouteflika). « La nostalgie n’est pas un projet ». Assurément, l’aphorisme séduit, donne à réfléchir, peut même susciter théoriquement s’entend, un consensus de départ parce qu’il fait mouche et qu’il parvient à synthétiser une pensée, un programme à un moment où précisément tout va très vite et où les « conjonctures » contraignent l’individu à aller à l’essentiel ou du moins à ce qu’il considère comme tel, et le poussent à limiter son interprétation du discours au strict minimum ou à le caricaturer. En réalité, la nostalgie est un levier, une formidable source d’inspîration, un stock de références et de souvenirs liés de façon continue et dynamique à l’histoire en marche. La nostalgie est en fait l’histoire en marche. Si on aime vraiment l’histoire, on aime forcément la nostalgie. Si la nostalgie n’est pas un projet, eh bien aucun projet n’est vraiment concevable ex nihilo, à partir de rien, comme si rien ne l’avait précédé. Affirmer que la nostalgie n’est pas un projet, c’est tourner le dos à l’utopie ( je pense à l’utopie concrète, celle qui se nourrit à la fois des idées positives d’autrefois et de la modernité). Soutenir que la nostalgie n’est pas un projet, c’est se priver de l’expérience passée et de ce qui assure la jonction entre l’histoire et le présent. La nostalgie est plus qu’un projet, elle le transcende. Et elle le transcende parce qu’elle est intemporelle…
Lamine Bey Chikhi
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