Esquisse d’une virtualité
Posté par imsat le 4 janvier 2017
Personnalité compliquée ou complexe ? J’étais tenté de lui poser la question mais je ne l’ai pas fait. Je ne voulais pas abîmer notre conversation naissante. Au reste, je parle de conversation alors qu’elle semble préférer le mot dialogue. Je l’ai relevé en moi-même. J’ai préféré ne pas le lui dire. Elle m’aurait rétorqué: « Vous jouez sur les mots ». Après tout, c’est vrai, conversation ou dialogue ou même échange, ça recouvre la même réalité; enfin, je le dis comme ça même si je sais que la sonorité n’est pas la même. La sonorité, ce n’est pas neutre, c’est significatif, peut-être même déterminant. Et puis, au-delà de la sonorité, il y a tout le reste. Pour moi, le mot dialogue a une connotation d’abord bureaucratique, administrative, institutionnelle. On entend souvent parler de dialogue social, de concertation politique, Un dialogue, c’est un arrangement, en tout cas un processus arrangé, construit, une méthode, une formalisation, une préparation. Une conversation, c’est un échange a priori spontané, inventé, improvisé sur le champ, décontracté, détendu. Je ne lui ai rien dit de cela parce qu’elle aurait compris autre chose, peut-être quelque prétention de ma part à vouloir la reprendre sur des points de détail, finalement sans importance, à rechercher la nuance alors que l’essentiel est ailleurs. Conversation certes, mais le démarrage est chaotique, laborieux, par moments pas du tout encourageant: des phrases courtes, incisives, parfois juste deux ou trois mots, mais un réel souci de la ponctuation. De ce point de vue, nous sommes sur la même longueur d’onde. Mais j’ai failli abandonner au bout de quelques phrases de notre deuxième échange. Et puis, l’idée m’est venue d’en faire quelque chose. Je lui ai alors dit : « Si ça vous chante, on en fait une oeuvre littéraire ». C’était vraiment prétentieux de ma part, je le savais, j’en étais conscient. Je me suis dit : « Pourquoi pas, à partir du moment où tout est virtuel, abstrait, non contraignant? » Au surplus, il faut bien oser sortir des sentiers battus. Que faire de nos bribes de phrases, de nos points d’interrogation et d’exclamation, de nos points virgule et de suspension ? Comment en faire un récit, ou à tout le moins une esquisse de récit, enfin quelque chose qui y ressemble ? Comment donner du sens, de la substance, du souffle, de l’intérêt à nos échanges toujours extrêmement brefs ? J’aurais pu renoncer, abandonner prématurément mais je me suis arrangé pour que cela se poursuive. Qu’est-ce qui m’a retenu ? la concision de ses phrases, son respect absolu, orthodoxe de la ponctuation que j’avais très vite perçu. C’est un peu comme sur twitter quand les commentaires, dont on sait qu’ils ne peuvent excéder 140 caractères, sont impeccablement écrits comme ceux de Bernard Pivot. La conversation se poursuit donc, parfois au forceps. Il nous arrive de maintenir notre discussion en-deçà des 140 caractères mais cela me motive parce que ma pratique de twitter me permet d’exploiter le minimum, le moindre mot, d’extrapoler à partir de presque rien, de poser même les jalons d’une histoire, une fiction…mais rien n’est linéaire. J’ai su très rapidement que ça ne coulerait pas de source. J’ai su aussi que nous étions dans l’éphémère et que, pour diverses raisons, la durée de vie de notre « dialogue » serait courte, que l’échange ne serait pas viable. Je lui ai dit que j’aurais bien aimé faire de la mise en scène. Mais un metteur en scène dirige des acteurs, leur donne des directives, des orientations, leur fixe un cap. Je suppose que les acteurs le savent dés le départ. Peut-être quelques brillants comédiens se permettent-ils des libertés. Il y a entre eux et le réalisateur un modus vivendi mais c’est exceptionnel. Ce dont je parle aujourd’hui échappe à ce schéma. C’est pourquoi, j’ai tenté d’anticiper les choses en imaginant une conversation parallèle à celle que j’avais entamée sur le terrain virtuel. Dispositif opérationnel, doublures, alternatives éventuelles, projets de scénario, répliques, j’ai pensé à tout ça. Les équipes techniques sont chargées de parachever le tournage du film, quelles que soient les circonstances. C’est à cela que j’ai songé à propos de notre conversation finissante…
Lamine Bey Chikhi
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