Les choses et les mots

Posté par imsat le 19 février 2017

« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots » (Jean Jaurès). Cette citation que je trouve très judicieuse ne s’applique pas qu’au champ politique, domaine dans lequel on excelle en promesses de toutes sortes mais dont on finit par se rendre compte qu’elles se heurtent à une réalité qui en fait des coquilles vides. Alors, oui, après coup, on est bien contraint d’expliquer l’échec total ou partiel des engagements pris. Et on le fait avec des mots. Il en a toujours été ainsi. Quelle que soit la sphère concernée (politique, sociale, économique…), on a besoin du discours, de la rhétorique, des mots, que l’on en soit l’émetteur ou le récepteur. On a toujours besoin de croire, d’espérer, et cela passe par les mots. Oui, les mots ne changent pas les choses mais ils transforment la vision qu’elles suscitent, et c’est peut-être cela qui compte au fond. J’entends nombre d’acteurs politiques occidentaux évoquer la nécessité de renouveler le récit national pour remobiliser la société, lui donner de nouvelles raisons d’espérer, la sortir de l’immobilisme, des tentations négatives. Et dans l’énoncé de cette offre « politique », on s’appuie certes sur l’histoire en tant que telle, mais aussi et de plus en plus sur des hommes de lettres, écrivains, poètes, essayistes. On évoque ceux qui ont écrit, rarement ceux qui se sont contentés de palabrer. En France, on cite notamment Péguy, Valéry, Camus, mais également, parmi les hommes politiques, ceux qui se sont démarqués par une sensibilité littéraire (De Gaulle, Mitterrand…). Le propos de Jaurès est très élastique; il ne ferme aucune possibilité quant à son interprétation. C’est pourquoi, il n’est pas insensé de soutenir que le fait de changer les mots est déjà en soi une façon de changer les choses. Ce qui importe, c’est ce qui sous-tend le discours, l’argumentaire, le degré de sincérité, la crédibilité de ce que l’on déclare. L’esprit critique est toujours présent car il y a une exigence de décantation, mais ce garde-fou reste relatif. Les mots sont magiques, ils s’imposent toujours, y compris lorsque les choses continuent de stagner ou régressent. La citation de Jaurès rejoint celle de Machiavel « Gouverner c’est faire croire ». On le sait, mais on y croit. Les discours les plus enflammés, ceux qui galvanisent les foules, les discours catalyseurs, renvoient souvent à des aphorismes dont on constate qu’ils présentent toujours l’apparence de la cohérence, de la logique; ces aphorismes font mouche partout dans le monde; leur recevabilité est consensuelle. En définitive, les choses sont-elles d’abord des choses ou des mots ?

Lamine Bey Chikhi

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