Siyassa

Posté par imsat le 22 mars 2017

Le mot arabe Siyassa signifie politique. Mà l’utilisait fréquemment, en particulier quand elle devait donner son avis sur une situation complexe en rapport avec les relations sociales, interpersonnelles, intra ou extra familiales. Elle recommandait de faire preuve de siyassa dans la compréhension et l’explication des choses et des êtres. En y pensant aujourd’hui, je me dis qu’elle aurait pu alterner siyassa avec le mot hikma (sagesse) qu’elle ne prononçait que rarement. Mais les deux mots recouvrent la même réalité, ont la même portée, se rejoignent sur le fond. Siyassa signifie aussi hikma. L’une ne va pas sans l’autre. Le politique est censé renvoyer à la sagesse, au discernement, au sens des responsabilités. On pourrait y associer le mot diplomatie. Au 16è siècle, être politique signifiait être prudent et adroit. C’est bien à cette définition que je pense, s’agissant de la perception qu’en faisait Mà. Il me faut préciser qu’elle n’y recourait pas uniquement parce qu’il fallait donner de la substance, du poids, un argumentaire à ses propos; elle le faisait d’abord et surtout parce qu’elle était elle-même extrêmement policée, pondérée, soucieuse d’objectivité. A présent, cela prend une autre dimension dans mon esprit. Et cette dimension n’est pas seulement individuelle; elle représente la condition première d’une pratique globale perspicace de la politique, des rapports de pouvoir mais aussi de ce qui devrait relever de la normalité dans les postures sociales, institutionnelles et personnelles de l’individu. Si je devais extrapoler les choses, je dirais que l’idéal politique ne peut découler que d’une éducation elle-même centrée sur une saine compréhension et une prise en charge adéquate des valeurs morales et philosophiques à un niveau d’abord  individuel fondé sur la conscience de leurs répercussions potentielles. On ne peut pas faire ou dire n’importe quoi ! C’est ce que je sais de la siyassa  pensée et vécue par Mà qui fait que je n’ai jamais adhéré au discours qui consiste à se défausser sur le système (c’est quoi au juste le système?) pour ce qui relève raisonnablement de l’individu. Cette attitude qui vise à faire croire que « l’enfer, c’est les autres » m’insupporte au plus haut point. Siyassa dont je parle a déserté les sociétés modernes. C’est ce qui explique en partie le chaos planétaire actuel. Siyassa vue par Mà continue de baliser mon dispositif analytique, mes idées. Mon père pratiquait lui aussi siyassa mais dans un autre registre, dans une autre perspective, plus pragmatique, plus directement en phase avec le réel. Chez lui aussi, cela allait de soi, faisait partie de ses valeurs intrinsèques. Chez Mà, siyassa était philosophique, morale, psychologique, axée sur le primat de la patience, la recherche du point d’équilibre, du compromis juste, équitable. « Demain est un autre jour » semblait aussi suggérer Mà à travers sa siyassa, ce qui permettait d’espérer et  d’abord de raisonner la tête froide. Je me suis remémoré une de ses anecdotes liées aux années 40. Je me suis rendu compte que je ne lui avais pas posé toutes les questions qu’elle était censée soulever. Je n’avais pas suffisamment de recul. A présent, ces questions, je les connais in extenso; en les structurant et en tentant d’y apporter des éléments de réponse, je me suis aperçu qu’elles mettaient davantage en lumière siyassa de ma mère.

Lamine Bey Chikhi

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Une résilience en dents de scie

Posté par imsat le 11 mars 2017

L’écrivain français d’origine martiniquaise, Patrick Chamoiseau a accordé un entretien intéressant à La VieEco (3 mars 2017) dans le sillage de son dernier roman La matière de l’absence (le Seuil, septembre 2016). Il y aborde deux points qui m’ont particulièrement interpellé: la thématique du deuil et la nécessaire distinction entre l’intellectuel et l’artiste.   Sur la résilience, le romancier, prix Goncourt en 1992, déclare: « La question du deuil est pour moi une épreuve personnelle et non une question communautaire. A partir de là, faire son deuil est une auto-initiation et il est impossible d’en déterminer précisément la durée. C’est quelque chose de très variable. Cela peut être immédiat, différé ou carrément ne jamais se faire. Moi, il m’a fallu seize ans, d’une certaine manière. Passé le choc de l’annonce (du décès de ma mère), j’ai passé dix à quinze ans sans y penser, jusqu’à ce que l’approche littéraire et l’exploration artistique esthétique de moi-même aient fait resurgir ce sentiment. En tout cas, cela nous renseigne sur la problématique contemporaine de savoir où se trouve le fonds symbolique et comment organiser des rituels laïcs, dans des sociétés d’individus » . En ce qui concerne le distinguo qu’il établit entre l’intellectuel et l’artiste, il dit: « Moi, je ne suis pas un intellectuel. Je me considère comme un artiste. Car l’intellectuel fonctionne avec un soubassement scientifique, en maniant des concepts et des systèmes de pensées. Il produit des organismes de connaissance qui sont liés à une démarche scientifique. L’artiste, lui, a un mode de connaissance esthétique. Je produis des organismes sensibles pour comprendre mon deuil, mon rapport à la mort, au grand mystère de la vie. Alors j’écris, comme j’aurais pu peindre ou faire de la musique. C’est avec l’écriture que j’ai interrogé les réalités créoles et antillaises. C’est avec l’écriture que je me pose la question de la globalisation économique, de la mondialité qui en découle et qui brasse les sensibilités en dépassant les anciennes catégories identitaires, du territoire, de la langue, de la couleur de peau, etc. Tout cela est relativement obscur et difficile à penser, sans la pensée artistique que nous produisons » .  Cette réflexion est censée remettre les pendules à l’heure et recadrer tous ceux, et ils sont légion, qui s’autoproclament intellectuels ou qu’on catégorise comme tels alors qu’ils n’en remplissent aucune des conditions. Manier des concepts et des systèmes de pensées, produire des organismes de connaissance qui sont liés à une démarche scientifique, comme le souligne Chamoiseau, c’est placer très hauts et légitimement les critères d’éligibilité au statut d’intellectuel. Le statut de l’artiste est tout aussi exigeant. Les passerelles ne manquent pas entre les deux modes de connaissance. L’observation critique les rapproche, de même que le sens de l’esthétique et l’écriture. Je pense, au regard de cette définition, qu’on peut être à la fois un intellectuel et un artiste. Les analogies sont à approfondir. A priori, les positions de l’auteur se suffisent à elles-mêmes et n’ont donc pas besoin d’être commentées. On  pourrait juste se contenter de le relever mais on pourrait aussi tirer profit de l’interactivité dont elles sont porteuses pour dire le plaisir que l’on éprouve à lire de tels propos marqués par une justesse quasi absolue. Il est également clair que certaines projections personnelles incitent à une telle appréciation qui est aussi une quête de validation d’une expérience individuelle. La question du deuil m’intéresse depuis la disparition de ma mère (Mà); j’en ai parlé de diverses façons mais elle reste inépuisable parce qu’elle évolue en dents de scie. Chez moi, cette évolution est toujours associée à d’autres pertes, dont celle de Soraya. Est-ce indépendant de ma volonté ? Toujours est-il que je me retrouve pleinement dans le propos de Chamoiseau. Oui, c’est vrai, il  n’y a pas de règle en la matière et chacun gère son deuil comme il l’entend. L’écriture peut contribuer à décortiquer, à domestiquer cette situation mais elle n’est pas la seule. Moi, dès le départ, je savais que mon exploration ne serait pas limitée dans le temps. L’autre jour, AF m’ a dit qu’elle avait fait le deuil de sa mère depuis 6 ans; je lui ai répondu que ce n’était pas du tout mon cas et que ma mère était encore dans mes pensées tous les jours, matin, midi et soir. J’ai entendu beaucoup de gens évoquer ce qui touche à la résilience, mais leurs propos m’ont paru secs, expéditifs, ternes, fermés, irréconciliables, étriqués, inesthétiques, par moments inélégants. C’est toujours noir ou blanc, jamais noir et blanc. Chamoiseau, lui, est dans un parfait équilibre, respectueux des autres positions; j’adhère à ce qu’il dit non seulement parce que je pense qu’on peut cohabiter avec un deuil intemporel, en faire même une source d’inspiration, mais aussi parce que l’argumentaire de l’auteur séduit, convainc par sa souplesse, sa sincérité. L’écrivain dit sa vérité sur le deuil, et cette vérité, je la fais mienne, je me l’approprie complètement.

Lamine Bey Chikhi

 

PS: Je connaissais de l’auteur ce que m’en disait Beida très au fait de son oeuvre (cf L’écrivain masqué, suivi d’un entretien avec Patrick Chamoiseau, sous la direction de Beida Chikhi, édition PUPS, Paris Sorbonne, mars 2008).

 

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Post-scriptum

Posté par imsat le 1 mars 2017

L’échange s’est poursuivi après un break de 15 jours, mais le risque d’une banalisation de notre conversation était perceptible; en tout cas, moi, je le ressentais, je le constatais. Au début, tout était parcimonieux, les mots, les phrases, les questions. Et puis, ça s’est emballé, c’est devenu offensif, torrentiel. Certes, la ponctuation est toujours globalement respectée mais je la trouve parfois abondante, excessive, superflue. Un certain style apparaît, tranchant, direct, radical, aux antipodes du mien. A présent, le débit est presque en non-stop; pas le temps d’apprécier, de réfléchir, de déguster, de revenir en arrière, de s’émouvoir, s’étonner, d’admirer les paysages d’aujourd’hui, au besoin en les comparant avec ceux d’autrefois. Une absence, deux absences, pour ne pas se laisser submerger. Un tsunami ? pas tout à fait, mais ce n’est plus le calme plat des premiers jours, annonciateur de quelques convergences de fond, sereines, singulières, distanciées par rapport aux habitudes. L’économie de mots a laissé place à une myriade de périphrases, une logorrhée que rien ne semblait pouvoir arrêter. La digue a sauté. Je me suis dit tout ça n’est heureusement que virtuel. Qu’en serait-il dans la vraie vie ? Mais la vraie vie, n’est-ce pas aussi en partie une virtualité, comme le cinéma, la littérature. Faut-il faire avec ?  Oui et non. Il faut dire pourquoi et comment, et cela passe par une formalisation. « Ecrire, c’est parler sans être interrompu » (Victor Hugo), oui, à condition de le faire totalement unilatéralement, à sens unique, un peu comme on ferait un plaidoyer pro domo. Ce dont je parle n’est pas unilatéral. Au début, ça me donnait l’impression d’écrire et de m’entendre écrire, parfois même de me regarder écrire; il n’y avait pas vraiment d’interruption et cela me plaisait. A ce moment-là, l’écriture était une respiration, une méditation, un moment privilégié. A présent, ça va dans tous les sens, comme s’il y avait des choses à rattraper, à corriger, à compenser, à exprimer : du temps, des retards, des échanges inachevés, des rencontres ratées, avortées, des absences, des départs, des exils, des regrets, des colères. Et puis et encore tout ce qui sous-tend un certain nombre de déclarations et qui se rapporte au temps qui passe. Le temps qui passe ? Une chose est d’en parler implicitement, délicatement, une autre est de le faire de façon abrupte, sans ménagement ni retenue. La nuance est de taille. Un verre à moitié  plein, ce n’est pas du tout un verre à moitié vide ! Est-ce difficile à comprendre ? « Au surplus, le temps qui passe, je n’en suis pas responsable ! » lui-dis-je; enfin, je le lui dis mais pas comme ça. Est-ce la même chose de parler du temps qui passe et de la vie perçue (vécue ?) comme un roman ? J’ai posé la question, j’ai eu des réponses mais pas celles que j’attendais…Au fait, pourquoi Post-scriptum ?

Lamine Bey Chikhi

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