Interpellations…
Posté par imsat le 28 juin 2017
On dit de certains romanciers qu’ils écrivent toujours le même livre. Cela me parait évident surtout pour les auteurs qui puisent leur inspiration dans leur vie personnelle. Je n’ai pas l’intention de me référer à Proust pour m’en convaincre, l’ayant déjà cité à maintes reprises en appui à mes réflexions. Mais pourquoi à tout le moins me priver de penser à lui à partir du moment où il incarne le mieux, à mes yeux en tout cas, la symbiose entre l’oeuvre et la vie de son auteur. L’écriture ici serait une réplique, une copie quasi conforme de la vraie vie même si on peut y relever des variations, des variantes. Mais il n’y pas que cela. Si je devais abonder dans cette optique et évoquer, par exemple, ma ville natale, je ne le ferais pas seulement de l’extérieur ni pour rebondir sur des séquences m’ayant impliqué personnellement. Je veux dire par là que la remémoration ne suffirait pas à rendre compte exhaustivement de ce à quoi je voulais parvenir depuis longtemps mais que, pour diverses raisons dont certaines étaient indépendantes de ma volonté, je n’ai pas pu restituer comme je le souhaitais. Libre à chacun de parler de sa ville natale comme il l’entend. Moi, je l’ai fait via moult images, impressions, sensations. C’est toujours très peu par rapport au stock de données dont je dispose. Par moments, j’avais comme le sentiment de céder à la tentation nombriliste même si ce n’était pas du tout le cas en réalité. En fait, je pensais à plein de choses, à leur interconnexion. En même temps que je triais les souvenirs que je considérais dignes d’intérêt, je m’interrogeais sur la meilleure façon de les relier à l’histoire de la famille. Pour tout dire, je savais que cette histoire transcendait complètement les émotions personnelles, les idées individuelles. les approches réductrices, étriquées, parcellaires. Et pour cause, elle ne peut être objectivement confrontée qu’à celle de la ville où elle s’écrivait, c’est-à-dire Batna. Je prétends, je soutiens (je crois pouvoir me le permettre à plus d’un titre) que l’histoire même de cette ville est intimement liée à celle de la famille, notre famille. Est-ce un crime de lèse-majesté de vouloir mettre en exergue cette proximité ? Un certain nombre d’éléments de la famille ont été des acteurs notables, dynamiques de l’histoire de la ville. Il faut le dire et le redire car l’histoire a aussi malheureusement une fonction de rouleau compresseur que d’aucuns actionnent pour tout écraser, tout démolir, tout effacer, pour brouiller les pistes, rendre l’histoire illisible, incompréhensible. Quelques mois avant son décès, mon cousin Azzedine (paix à son âme), m’avait demandé ce qu’on pouvait entreprendre pour que la cité Chikhi continue de porter notre nom ou plutôt qu’elle retrouve de nouveau son nom.. Les autorités locales ont cru devoir la débaptiser dans les années 80 pour lui donner le nom de cité Ennasr (La victoire ?). j’ai dit à Azzedine que nous pourrions en effet écrire à qui de droit pour la réhabilitation du nom originel de la cité avec à l’appui un dossier en bonne et due forme. A vrai dire, j’étais sceptique quant à l’utilité potentielle d’une telle démarche. L’initiative serait vouée à l’échec. C’est un problème de culture. Le rapport à l’histoire est tributaire du rapport à la culture. J’ai préféré lui dire que, de toute manière, dans la mémoire collective, ça sera toujours cité Chikhi. Mémoire collective ? Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui, en Algérie ? Elle dure combien de temps cette mémoire ? Est-elle viable si ceux qui sont censés l’entretenir n’en veulent pas, n’en ont peut-être même pas conscience pris qu’ils sont dans le tourbillon infernal du quotidien, des comparaisons matérielles futiles, de la fuite en avant, de la fuite tout court ? Que vaut cette mémoire si les concernés ont déjà tourné la page ? Il y en a qui disent « on tourne la page mais on n’oublie pas ». Oui, mais tourner la page c’est une façon d’arrondir les angles. Et arrondir les angles, n’est-ce pas déjà se positionner sur le chemin de l’oubli ? Voilà pourquoi, l’introspection personnelle apparaît comme un succédané, minimal certes, mais néanmoins nécessaire pour pallier l’absence d’une prise en charge globale de cette histoire. Autrefois, il y avait un noyau dur dans la famille, celui-là même dont les actions multiformes ont marqué l’histoire de la ville sur un peu plus d’un siècle. Je ne pense pas à ce noyau dur eu égard à des considérations exclusivement logistiques, matérielles, financières (patrimoine immobilier, fermes agricoles, terres, société de transports, commerces….) ni socio politiques. Il se déployait aussi sur une base stratégique pour à la fois développer et pérenniser les acquis tout en pesant directement ou indirectement sur les mutations de la ville. J’écris cela et je me rends compte qu’il y a non pas une seule mais plusieurs grilles de lecture de ce qui a constitué la césure entre, d’une part, l’oeuvre fondatrice engagée, concrétisée et confortée par la « task force » (j’aime ce mot car il renvoie au volontarisme, à l’innovation, à l’organisation, aux convergences intellectuelles) à laquelle je songe de façon précise et qui avait fonctionné à fond et tous azimuts, et, d’autre part, la phase de repli, de la décantation inertielle, de la dislocation du leadership. En définitive, je me demande si l’héritage n’était pas trop lourd à porter, non seulement dans sa dimension matérielle mais dans ce qu’il pouvait susciter en termes d’ambitions collectives, de rêves collectifs…
Lamine Bey Chikhi
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