Au-delà du souvenir
Posté par imsat le 19 septembre 2017
J’aurais pu poursuivre ma réflexion sur Nedjma-projet filmique. J’avais encore des idées plein la tête sur le scénario, la mise en scène, la dimension identitaire, culturelle, politique du projet. Je ne l’ai pas fait. Je ne le ferai pas. Il est des moments où l’inspiration fait défaut ou n’est pas suffisamment forte pour inciter non pas à prendre la plume mais à maintenir la même dynamique intellectuelle autour du même sujet. En l’occurrence, ce n’est pas vraiment le cas. Il s’agirait d’une autre forme d’inspiration parce qu’il y a parfois des thèmes rivaux, concurrents qui surgissent, qui s’imposent comme ça, de façon brûlante, impérieuse et dont on ne peut différer le traitement. J’ai bien essayé d’aller au-delà du chapitre 10 pour Nedjma mais l’impulsion était ailleurs. Je pensais encore à Nedjma mais je la sentais distancée par une autre évocation. Je me disais que j’aurais bien aimé en parler avec Mà (ma mère). Je crois, je suis même sûr que cela l’aurait intéressé. Je l’aurais fait comme je l’avais fait pour Proust, mais elle n’est plus là. Cela fait exactement 7 ans (paix à son âme). Je commémore l’anniversaire de sa disparition à ma manière, pas seulement en pensant à elle (ce que je fais tous les jours sans discontinuer) mais en relatant ce que sa disparition continue de m’inspirer. Est-ce toujours la même chose ? Oui et non. J’aurais aimé « actualiser » nos conversations. Nos échanges prenaient souvent une tournure culturelle. Elle avait une sensibilité littéraire. Nos entrevues étaient des moments privilégiés, j’ai déjà eu à le dire, je les vivais pleinement, j’en étais conscient. Aujourd’hui, j’en prends de nouveau toute la mesure mais j’y associe le mot convivialité. Ce mot est bel et bien dans le dictionnaire mais sa pratique a disparu. Je le dis en pensant particulièrement à Mà. Elle était la convivialité même. Je ne suis pas du tout dans l’exagération. D’autres l’ont dit à son propos et le soutiennent encore. Mais moi, je songe à des points très précis. « La chose la plus difficile quand on a commencé d’écrire, c’est d’être sincère »(André Gide). Je partage évidemment cette citation pertinente et fondée d’autant qu’elle me permet de faire la jonction avec la notion de convivialité. Mes conversations avec Mà étaient fluides, détendues; nous prenions le temps de parler, y compris des questions ordinaires de la vie. Elle avait le sens des choses. Nos arrêts sur images étaient fréquents; cela pouvait avoir trait au passé mais cela pouvait aussi concerner les préoccupations quotidiennes, le réel. Elle y mettait toujours les formes. Nous prenions le temps de regarder, d’écouter, d’observer, d’apprécier, d’évaluer, de déguster. Nous prenions le temps du souvenir, chaque anecdote était considérée à sa juste valeur; chaque être évoqué, vivant ou disparu, était respecté, considéré d’abord en tant que tel, intrinsèquement, d’un point de vue éthique. N’étions-nous pas dans une sorte de bulle, à l’abri de ce que j’appellerais des fausses notes, à tout le moins lorsque nous discutions ? Je me le demande. Cela dit et même si tel était le cas, eh bien, notre bulle était exigeante. Pourquoi ? Parce que son assise morale avait à voir avec la sincérité. Il n’y a pas de convivialité sans sincérité. La convivialité, c’est la sincérité, c’est aussi la conscience des choses et des êtres. Nous aurions certainement parlé de Nedjma, elle m’aurait posé plein de questions, parce que Nedjma, c’est Constantine,Guelma, Sédrata, Khenchela, Annaba, Sétif, toutes ces villes qui lui étaient familières, car indissociables de son histoire, de mon histoire. Elle n’est plus là, mais notre dialogue n’a pas cessé. Il se poursuit autrement…Ne suis-je pas dans une redondance pour tout ce qui a trait à Mà ? En général, je ne relis pas ce que j’ai publié. Mais il m’arrive de le faire. Comme hier: j’ai relu « L’excellence » (publié ici même le 27.02.2010 soit sept mois avant son décès) Je croyais y avoir mis l’essentiel en ce qui la concerne. En vérité, sur le fond, oui, je pense avoir dit le principal mais sur la forme, la formulation, il y a toujours quelque chose à ajouter. La forme impacte le fond. Aujourd’hui, par exemple, j’ai envie de dire que la convivialité est aussi une forme d’excellence. Chacun sait qu’avec le recul, on regarde mieux, on comprend mieux, on apprécie mieux, on ajuste, on affine. « Nos mères étaient toutes exceptionnelles, mais moi, j’accorde une mention particulière, un plus à Khalti Fatima-Zohra… » Ce propos évoquant Mà est de Djaffar L. Je ne l’ai pas oublié. Il l’avait minutieusement étayé en rapportant une anecdote liée à un dîner auquel nous l’avions convié dans les années 70. Il a fait l’éloge de Mà en rappelant son tact, sa sensibilité, son savoir-faire, sa réceptivité, la constance de son état d’esprit. Ce n’était pas un propos de circonstance. Le révélateur, ce n’était pas le dîner proprement dit mais l’anecdote relatée. Voilà pourquoi j’ai dit que la convivialité constituait un tout. Le commentaire de Djaffar est un élément de ce tout du fait de l’authenticité et de la sincérité auxquelles il renvoie. La convivialité ne se limite donc pas à son seul cadre spatio temporel, à un dîner, à un déjeuner. Elle est quotidienne, systématique, naturelle je veux dire spontanée ou elle n’est pas !
Lamine Bey Chikhi
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