Faut pas rêver !

Posté par imsat le 12 novembre 2017

Je persiste et signe. On peut aimer ou faire aimer un pays de mille et une façons. Lorsque je pense à ce sentiment, c’est le magazine Faut pas rêver, diffusé sur France 3 et animé entre 1999 et 2009 par Laurent Bignolas, qui remonte quelquefois à la mémoire  L’émission est consacrée aux voyages, à l’évasion, aux pays magiques, insolites, enchanteurs. Ces pays sont évoqués en présence d’un invité (artiste, intellectuel, auteur…). En général, les numéros que je regardais mettaient en exergue, reportages expressifs à l’appui, des pays comme le Pérou, le Kenya, l’Argentine, Acapulco au Mexique, des régions d’Afrique du Sud, des sites antiques comme Pétra, l’Andalousie  ou encore des Etats américains. L’émission qui m’a particulièrement marqué a été diffusée au début des années 2000. Bignolas y avait convié la romancière Nathalie Rheims, fille de l’académicien Maurice Rheims et compagne à cette époque là du réalisateur et producteur de cinéma Claude Berri. La conversation avait d’abord porté sur le parcours littéraire de l’écrivaine, son rapport  aux choses de la vie. L’échange était entrecoupé, comme dans les autres numéros, de reportages sur des contrées plus ou moins lointaines, des endroits dans le monde à visiter absolument. Je connaissais assez bien l’émission, son fonctionnement, le style de l’animateur, mais c’était à chaque fois une incitation renouvelée au voyage, une présentation toujours mirobolante, captivante des destinations touristiques telles que l’Inde, Singapour, les Iles Marquises, Tahiti…Ce soir-là, Nathalie Rheims, à l’instar des invités qui l’avaient précédé, allait dans le sens des propos de l’animateur, elle les confortait, les partageait, les corroborait en opinant du chef, en lâchant des mots, des regards, des sourires approbateurs. Elle se disait, se montrait elle aussi subjuguée par les images que Bignolas faisait défiler devant elle en les accompagnant comme à l’accoutumée de commentaires dithyrambiques pour frapper l’imaginaire. La convergence entre les deux paraissait totale, complète, absolue, parfaite. C’était d’ailleurs conforme au principe cardinal de l’émission. Pas d’anicroche ni de désaccord, pas la moindre réserve de la part de l’invitée sur ce que l’émission lui donnait, nous donnait à voir et qui se concluait par une question, toujours la même. Bignolas interpelle son invitée: « Après avoir regardé toutes ces merveilles, tous ces paysages à vous couper le souffle, Nathalie Rheims, aujourd’hui, quel pays auriez vous vraiment envie de visiter, de découvrir ? » Je regardais intensément la romancière. Je me disais qu’elle ne dérogerait évidemment pas à la règle, que sa réponse ne pouvait pas aller à contre-courant de celles de ses prédécesseurs, que son choix porterait sur des cibles précises, sur le dépaysement intégral, sur ces parties du monde comme l’Ile Maurice, Le Cambodge, le Brésil, Saigon, peut-être Ispahan ou Chiraz si le Chah était encore au pouvoir en Iran. Je me disais aussi que si elle optait pour l’un des pays déjà cités ou d’autres du même type, son choix serait logique, cohérent et que, de toute manière, elle, la romancière, se distinguerait quand même un peu des autres parce qu’elle en parlerait différemment, comme une écrivaine. Les auteurs parlent toujours mieux que les autres ou plutôt de façon singulière parce qu’ils le font ou donnent l’impression de le faire comme s’ils écrivaient. Ce que dirait Rheims apporterait de toute manière une plus-value, une bonification par rapport à ce qui se dit habituellement sur les destinations consensuelles, leurs atours, leurs spécificités. Pour moi, la femme de lettres devait conclure l’émission comme les autres, dans la bonne humeur, le convenu, le convenable, le politiquement correct. Il ne pouvait pas en être autrement, la cause était entendue. On était parti pour ne pas dévier de la trajectoire habituelle (Asie, Amérique du Sud, Occident…). Bignolas rappelle sa question : « …Alors, Nathalie Rheims, quel pays rêveriez-vous de découvrir ? » « Eh bien, l’Algérie !!! » répond-elle. Coup de tonnerre ! Désarçonné, décontenancé, déstabilisé, le présentateur n’en croit ni ses oreilles, ni ses yeux. Il dit, incrédule, sceptique : « Ah bon, l’Algérie ? Et pourquoi donc l’Algérie ? ». Son interlocutrice réplique: « Oui, l’Algérie parce qu’une de mes amies m’en a parlé merveilleusement et m’en parle encore de temps à autre. Ce qu’elle m’en a dit m’a complètement séduit » Nathalie Rheims, les yeux rieurs, le regard malicieux, la voix posée, la parole spontanée, est comme consciente d’avoir jeté un pavé dans la mare, elle semble même jubiler. Pour ma part et avant qu’elle ne prononce le nom Algérie, j’avais comme une intuition ou peut-être un voeu, une envie; je me disais que ce serait un vrai coup d’éclat de sa part si elle optait pour l’Algérie. « Et si elle disait l’Algérie ? » me répétais-je. Quelque chose en moi essayait presque de lui souffler la réponse. Le rêve était permis en dépit de la tragédie que l’Algérie vivait alors et qui était dissuasive à tous points de vue. Tout ce qui se tramait dans ma tête à ce moment-là, c’était une affaire de secondes. Oui, en quelques secondes j’avais murmuré, anticipé, esquissé sa réponse. C’était comme une pensée magique, une suggestion à distance. J’y tenais, je la pensais fortement, ardemment, de façon volontariste. Je voulais me faire plaisir, faire prononcer le nom de mon pays par cette personnalité littéraire, de surcroît productrice de cinéma, et dont les prises de parole ne m’ont jamais laissé indifférent. Et je voulais qu’elle le dise précisément au cours de cette émission qui a toujours fait la part belle aux mêmes pays…Je ne crois pas que Nathalie Rheims soit venue en Algérie. Mais son propos équivaut à plusieurs voyages en Algérie, transcende tous les autres voyages, supplante, néantise toutes les autres destinations. Je le dis tout net : J’ai cherché dans ma mémoire, je n’ai pas trouvé d’éloge comparable de l’Algérie. Un éloge bref, fulgurant, sincère, percutant, interpellant, singulier, étonnant …Oui, l’Algérie… répétait-elle, et ce nom prenait soudain une dimension particulière, spéciale, atypique, unique au monde, exclusive. Une sonorité originale. l’Algérie !  Un nom mélodieux, imagé, bigarré. fascinant. Prononcé comme il le fut, il me fit voir, imaginer, percevoir mon pays autrement. C’était comme une autre Algérie, la mienne, certes, habituelle, celle de toujours, mais aussi celle dont il me semblait redécouvrir le sens, la portée, les mystères, la beauté, les profondeurs historiques, l’éternité…

Lamine Bey Chikhi

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