Posté par imsat le 19 février 2019
On a bien tenté de débaptiser la cité dont on avait dit, il y a quelques années, qu’elle s’appelait désormais cité Ennasr (cité de la victoire). Je ne fais ainsi que rappeler ce que j’avais déjà écrit à ce propos, en évoquant alors une conversation que j’avais eue avec mon cousin Azzedine précisément sur ce point. Il m’avait demandé si nous pouvions entreprendre une démarche en vue de la « réhabilitation » du nom originel de la cité. Je lui avais répondu que cela était possible et faisable mais pas du tout nécessaire à partir du moment où le nom initial était ancré dans la mémoire collective batnéenne. Je continue de le penser. Au reste, les habitants de la ville n’ont jamais cessé d’appeler la cité par son nom de toujours: cité Chikhi ! Si Azzeddine n’avait pas disparu prématurément, je l’aurais rassuré complètement quant à la pérennité du nom de la cité. Je lui aurais d’abord dit, au-delà des échos qui nous parvenaient régulièrement de la ville et qui confirmaient que rien, dans les faits, n’avait changé, que le règlement pris par l’administration était resté lettre morte. Je lui aurais également appris que des travaux universitaires consacrés à l’évolution de l’urbanisation de la ville depuis sa fondation à nos jours, parlent de la cité Chikhi, guère de la cité Ennasr. Ces mémoires et thèses de master et/ou doctorat ainsi que des articles de presse sont consultables sur internet. Etait-ce important de le souligner ? Oui, parce que la mémoire des lieux, les noms des lieux, la place de ces noms dans la conscience collective, tout cela est aussi constitutif de l’histoire. Les tentatives d’effacement de ces références, les velléités de néantisation de ces traces, à divers niveaux administratifs, se sont donc avérées vaines. Les expliquer ne signifie pas les justifier ou les cautionner. Etant rappelé que cela n’est pas spécifique, loin s’en faut, au cas visé. Il y a quelques mois, en l’empruntant, comme je le fais en général quand, par beau temps, je descends d’El Biar à pieds, je me suis rendu compte que la rue Blaise Pascal avait été elle aussi débaptisée! C’est une de mes rues préférées à Alger. Une rue charmante qui fait harmonieusement la jonction entre le centre et les hauteurs de la capitale. Pourquoi lui a t-on changé de nom ? Pascal, mathématicien, physicien, philosophe français né en 1623, mort en 1662 n’a absolument rien à voir avec la colonisation de l’Algérie ! Moi, j’aimais cette rue non seulement parce qu’elle s’appelait Blaise Pascal, mais parce que ce nom ne m’était pas du tout étranger, qu’il s’était incrusté dans ma mémoire depuis que Mme Duminy, notre professeur de Français en seconde lettres à Batna, en 1967, nous avait initiés à l’oeuvre de l’auteur (en particulier Les pensées) en même temps qu’à celle d’autres écrivains du 17è siècle. En définitive, que faire face à des situations insensées, régressives ? D’abord et surtout garder la tête froide. « L’ignorance et la bêtise sont des éléments considérables de l’histoire » Cette citation de Raymond Aron me paraît en phase avec l’objet de ce chapitre. Elle permet en tout cas de ne pas s’égarer dans des conjectures inutiles et qui échappent précisément à la raison.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 12 février 2019
Dans notre album de famille, il y avait bel et bien une photo montrant mon père à cheval, portant la tenue des Spahis. Je m’en souviens parfaitement. Je ne la retrouve pas. Une superbe photo ! J’y ai repensé il y a quelques mois, tandis que je regardais sur une chaîne de télévision, l’acteur français Gérard Darmon parler du livre qu’il venait de consacrer à son père originaire de Tiaret et lui-même ancien Spahis. L’artiste se focalisa justement sur une préoccupation semblable à la mienne: il disait avoir vainement cherché une de ses photos préférées, celle de son père à cheval et en uniforme de Spahis. J’ai trouvé cette similitude assez saisissante à la fois historiquement et émotionnellement. Je me suis dit: « le hasard fait bien les choses ». J’ai pris cette coïncidence comme une sorte de consolation; je n’étais pas le seul à avoir perdu une photo à laquelle je tenais beaucoup. En même temps, je restais fortement contrarié car celle que j’essayais de retrouver était la seule trace formelle, matérielle, palpable disponible de la mobilisation de mon père en 39-40. Le temps a passé…et puis l’autre jour, je me suis mis à fouiller de nouveau dans mes archives, non en songeant à la photo en question mais pour relire des extraits des jugements liés aux deux procès civils que mon père avait gagnés dans les années 40. Je m’étais promis de le faire depuis longtemps à la fois par curiosité juridique et un peu aussi pour des considérations sentimentales. Et là, je suis tombé fortuitement sur un échange de courriers entre mon père et la maison Vidal-Manégat d’Oran qu’il représentait à Batna avant le second conflit mondial. Dans une lettre datée du 24 septembre 1939, mon père écrit notamment ceci: « J’ai été mobilisé comme tout le monde et me suis rendu à Médéa au titre du 1er Spahis en garnison dans cette ville… » puis, après avoir évoqué une question de commissions que la Compagnie lui devait, il poursuit, à propos de la représentation de la société à Batna: « Je continue de l’assurer dès l’instant que je me suis fait affecté au titre du 3è spahis en garnison à Batna. Quant au dépôt de la garantie, j’en exprime le remboursement, étant appelé à partir du jour au lendemain en renfort via la France ou la Tunisie… »
Le 5 janvier 1940, Vidal Manégat répond à une correspondance de mon père du 2 janvier (que je n’ai pas trouvée) : « Par votre lettre du 2 courant, vous nous annoncez que vous avez été démobilisé définitivement et nous demandez de vous faire parvenir par le Crédit Foncier de Batna la somme de 2500 Fr sur vos commissions. Justement, notre service de contrôle vient d’établir votre compte-courant commissions qui rend votre compte créditeur au 31 octobre de la somme de 706 Fr, 28″ Ce que m’inspire ce court échange épistolaire, comme tous ceux dont j’ai pu disposer, c’est une double perception pragmatique et psychologique ou mentale des choses. Dans les deux cas, l’imagination convoquée, déclenche plein d’images et une kyrielle d’interprétations. Des détails m’interpellent comme cette phrase de mon père: « …comme tout le monde, j’ai été mobilisé… » ou encore celle-ci : « étant appelé à partir du jour au lendemain, en renfort…. » et surtout le fait qu’il n’ait pas omis, à juste raison au demeurant, de réclamer ses commissions. Et puis, au regard de l’histoire, des échanges de ce genre signifient qu’ils ne sont pas anodins, qu’ils recèlent des informations intéressantes, parfois précieuses. Ces courriers viennent nous rappeler que tout document est exploitable, qu’aucun matériau n’est à dédaigner, que le moindre bout de papier écrit gagnerait à être préservé.
Lamine Bey Chikhi
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Posté par imsat le 4 février 2019
Je viens d’achever la lecture de Une planète et quatre ou cinq mondes. Réflexions sur l’histoire contemporaine (Gallimard, 1985), de l’écrivain et poète mexicain Octavio Paz, prix Nobel de littérature en 1990. Je connaissais cet auteur, enfin j’entendais parler de lui mais je ne l’avais jamais lu. J’ai trouvé son essai sur un rayon de la bibliothèque extraordinairement éclectique et cosmopolite de ma soeur Beida, rangé entre Le neveu de Rameau de Diderot et Les damnés de la terre de Frantz Fanon. Il m’a semblé intéressant de livrer un extrait de l’avertissement par lequel Paz introduit en quelque sorte son livre. Je dirai ensuite pourquoi j’ai jugé utile de le partager. En voici la teneur: « J’ai supprimé de nombreuses pages les unes parce qu’elles étaient trop circonstancielles, d’autres parce que des événements ultérieurs les avaient privées de leur raison d’être. De la même façon, j’ai modifié, rectifié et, parfois, amplifié certains passages. Malgré toutes ces retouches et mises au point, je ne me dissimule pas les défauts et les limites de ce travail. Je ne suis pas historien. Ceci n’est pas une théorie mais un témoignage ». Je reprends ce propos complètement à mon compte parce que l’auteur y met humblement en exergue les limites qu’il fixe à son travail face aux exigences et impératifs de l’histoire, de l’écriture de l’histoire. Paz fonde son approche sur la distinction fondamentale et pertinente établie par les historiens français dans l’analyse des processus historiques, entre la « longue durée » et la « courte durée ». Cette démarche me séduit parce qu’elle vaut aussi pour la micro histoire, celle qui, a priori, n’impacte pas le contexte global, n’est fondatrice qu’à une échelle réduite. Elle me tente aussi parce qu’elle peut accompagner, soutenir, favoriser la formalisation d’une histoire familiale. C’est en pensant constamment et parfois confusément à ce distinguo rationnel, universel, consensuel que j’essaie de rendre compte de ce que je sais de l’histoire de ma famille. J’ai d’ailleurs souvent souligné que mon souci premier était d’abord de rapporter, de témoigner, d’être une courroie de transmission tout en émettant ça et là des réflexions, des questionnements susceptibles de constituer des matériaux de type historique. Bien entendu, une telle démarche ne se déploie pas sans arrière-pensées par rapport à ce que l’on pourrait en tirer sur la « longue durée ». En définitive, tout est historique ou plutôt tout est de nature à prendre une dimension historique pour peu que l’on procède à un traitement critique, sincère, inventif voire audacieux des faits exposés.
Lamine Bey Chikhi
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