Bribes d’histoire -32-
Posté par imsat le 28 juillet 2019
« La Beauté est une des formes du Génie. Elle surpasse même le Génie, n‘ayant pas comme lui, à se démontrer. Elle est une des réalités suprêmes de ce monde, comme l‘éclat du soleil, comme l‘éveil du printemps, comme le reflet dans une eau sombre de cette conique d‘argent qu‘on appelle la lune. La Beauté ne se discute pas. Elle règne de droit divin. Elle fait prince quiconque la possède. » (Oscar Wilde)
Le hasard a voulu que je tombe sur cette citation extraordinaire, lumineuse, impressionnante le jour où le ministre de l’Enseignement supérieur annonça qu’il allait faire en sorte que l’anglais remplace le français dans les filières scientifiques encore enseignées en français. Je me suis senti comme intellectuellement, culturellement agressé par cette information abondamment relayée par les médias. C’était un sentiment très personnel, subjectif, intérieur. Je n’ai pas pensé aux autres, je veux dire aux francophones comme moi. Non, la déclaration du ministre, je l’ai reçue comme si elle me concernait directement, à l’exclusion de tous les autres. Sur le moment donc, j’étais complètement désarmé et centré sur moi-même face à cette annonce stupide, cette menace devrais-je dire. Soudain, L’ineffable, la superbe, l’extatique citation de Wilde m’est tombée du ciel comme pour me permettre de pulvériser l’idiote résolution du ministre, et de mettre mes perspectives, mes projections à l’abri des pollutions de ce genre et des motifs absurdes de leurs auteurs. Bien sûr, Wilde est un auteur anglais mais je le lis en français comme j’ai lu l’argentin Borges ou le mexicain Octavio Paz, dans la langue de Voltaire. J’étais tenté d’écrire et d’adresser un texte à un média électronique pour expliquer pourquoi il fallait que la langue française soit « réhabilitée » et qu’elle dispose d’un statut spécifique en Algérie; mes arguments culturels, politiques, économiques, géo stratégiques étaient prêts, affûtés, affinés mais j’y ai renoncé. J’ai trouvé maladroits, insuffisants, carentiels ceux qui ont tenté de le faire sur la toile. Non, moi, j’étais sur une autre trajectoire, là aussi subjective. Et cette subjectivité renvoie à l’histoire non pas collective mais individuelle, personnelle. La citation de Wilde, je l’ai tout de suite faite mienne, du premier au dernier mot. Je l’ai trouvée fulgurante, impériale, impeccable, incontestable et d’une précision mathématique ! J’ai pensé : « y a rien à dire, la littérature est supérieure à la science ! « Et je lai dit exactement comme j’avais dit il y a quelque temps que la littérature était supérieure au cinéma. Et puis d’autres réflexions se télescopèrent dans ma tête: « Ils ne savent pas ce qu’ils disent ni ce qu’ils perdent en s’attaquant ainsi à la langue française ! »Comment leur expliquer que « la ponctuation, ce n’est pas de l’orthographe, c’est de la pensée » (Alexandre Vialatte) ? « Ils ne pourraient pas le comprendre. Pour comprendre, il faut d’abord savoir… »Le propos de Wilde sur la beauté est une quintessence de l’écriture ! C’est comme cela que je le reçois, que je le ressens ! Je ne sais pas si mon appréciation serait la même face à la version originelle de la citation. Je suis francophone; ce qui compte, c’est la traduction. Pour moi, la phrase de Wilde est française, complètement, indiscutablement ! Je l’ai relue trois ou quatre fois. La description de la beauté y est parfaite, cristalline, inattaquable, excellemment ciselée…cette beauté est-elle réelle ? N’a t-on pas affaire à une projection artistique, une fiction, une utopie ? Des visages, des silhouettes me traversent l’esprit : ceux « des jeunes filles en fleurs » du lycée de Batna entre 1963 et 1967 ou encore ceux de la fille aux yeux bleu océan que j’ai évoquée ici même il y a quelques années. Mais il y a aussi Sandra Bullock dans l’Adieu aux armes, Romy Schneider dans Les choses de la vie, Michelle Pfeiffer, Stéfania Sandrelli et tant d’autres…
Lamine Bey Chikhi
Publié dans Non classé | Pas de Commentaire »