Bribes d’histoire -49-
Posté par imsat le 10 février 2020
« J’aime sortir du cinéma dans un état second, ébloui par la lumière du jour, presque étonné que le monde ait continué sa ronde sans moi. » (Mikaël Ollivier). Cet éblouissement, je l’ai ressenti des dizaines de fois, surtout à Alger. Mais j’éprouvais en même temps d’autres sensations, d’autres impressions. Je ne mettais pas de mots dessus; je n’en parlais pas; elles étaient là, j’en étais conscient; je veux dire que j’étais conscient de passer de la fiction cinématographique pour laquelle j’avais développé une addiction, à la réalité. Je me rappelle avoir fortement ressenti une pluralité d’impressions quasi simultanées concomitamment à ce passage, à cette transition après avoir regardé Out Of Africa de Sidney Pollak avec Robert Redford et Meryl Streep. J’étais évidemment ravi d’avoir vu le film mais j’avais senti comme une coupure, une fracture nette, brutale entre ce que je venais de suivre et la foule dans laquelle je m’étais retrouvé à la sortie du cinéma, entre Didouche Mourad et Place Hoche. J’étais donc heureux à la fois d’avoir vu jouer Redford et de renouer avec le réel. Mais il y avait en moi comme une appréhension, une anxiété, une crainte, le tout connecté à une confusion entre l’histoire du film et la vraie vie. Et très vite, dans ma tête, je tentais de me rassurer en pensant que je ne me débarrasserais de cet inconfort psychologique qu’en rentrant à la maison, retrouver les miens. En vérité, il y avait en moi un second niveau de perception: La réalité, au fond, ce n’était pas la foule, les voitures, les gens attablés aux terrasses de café, les bruits de la ville, non la réalité était liée à ceux que j’allais retrouver à la maison, au premier rang desquels ma mère, et avec lesquels je prendrais le café de l’après-midi, accompagné de délicieux makrouds ou d’une tamina au miel pur ou encore de brajs, de refiss. Ce n’est pas le cinéma qui était en cause mais, comme on dirait aujourd’hui, l’éco-système, les gens, la multitude et précisément ce que l’on retrouve au sortir des salles obscures. A Paris, en 1995, dans des circonstances presque analogues, mon inconfort psychologique était encore plus pesant alors que je venais de voir Soleil de et avec Roger Hanin et Sophia Loren, dans un cinéma de Montparnasse. Je crois que c’était en septembre 1997. Juste avant de me retrouver sur le Boulevard, je pensais encore être à Alger et croyais que j’allais rentrer chez moi, comme d’habitude. Et puis, je me rendis compte que je n’étais pas à Alger, que j’étais à Paris, une ville peut-être fictive, irréelle. J’avais l’impression d’être dans un puzzle aux éléments étranges et anxiogènes: Paris, Alger, le film, la réalité, Montparnasse; j’étais bel et bien un étranger dans la ville; et la perspective d’aller à l’hôtel après le dîner ne faisait qu’exacerber mes tensions intérieures. Bien après, en repensant à cet épisode, j’ai acquis la certitude que le cinéma comme plaisir total avant, pendant et après le film, était intimement lié à l’enfance, à l’insouciance de l’enfance c’est-à-dire à une période où l’évasion via le cinéma n’est pas contrariée ni parasitée par quoi que ce soit, et ne peut être intellectualisée ni générer des sensations autres que le ravissement, le rêve, l’identification à tel ou tel artiste, l’appropriation temporaire, éphémère mais agréable de telle ou telle scène.
Laisser un commentaire