Bribes d’histoire -59-
Posté par imsat le 31 août 2021
« Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence » (Albert Camus)
Que sont-elles devenues, celles que je croisais régulièrement à certains endroits, souvent les mêmes ?
Je continue d’emprunter les mêmes itinéraires tandis qu’elles les ont désertés depuis un peu plus de dix ans. Elles ont dû quitter l’Algérie. Je privilégie cette hypothèse même si je n’en exclus pas d’autres (maladie, disparition…)
Leur absence ne me laisse pas indifférent. Il y a de la nostalgie dans les souvenirs que j’ai conservés de nos « rencontres » mais il y a aussi des éléments explicatifs de certains aspects de l’histoire de l’Algérie, je pense au temps long de l’histoire.
Cette référence à l’histoire ne concerne pas de la même façon tous ceux, et ils sont des millions, qui ont choisi de quitter l’Algérie ces soixante dernières années.
Les personnes (rarissimes) auxquelles je songe ont un statut particulier, une place singulière dans mes souvenirs. Leur départ a été progressif, discret, serein. A présent, leur absence m’interpelle. Mais cette interpellation est d’abord subjective, elle relève de l’émotion.. Je n’avais jamais envisagé leur départ. Ce n’était pas dans ma tête.
J’ai fini par m’en apercevoir alors que je procédais à une sorte d’inventaire de ce qui a bouleversé la ville. L’inventaire n’était pas que physique, architectural ou géographique. Il ne concernait pas seulement le remplacement des enseignes de boutiques et de l’activité commerciale de la plupart des magasins. Non, il portait aussi sur les gens qui géraient et animaient désormais ces activités. Il impliquait surtout ce qui avait régressé dans la ville. Et cette régression, je la percevais dans sa globalité comme un ensemble d’impressions, de contrariétés, de plein de choses disparues à jamais comme des noms de rues, des salles de cinéma, des senteurs, des façons d’être, de s’habiller, des accoutrements, des intonations de voix, un savoir-vivre, une élégance, un style…
C’est ainsi que je me suis remémoré les personnes que je croisais souvent aux mêmes endroits et avec lesquelles j’échangeais des regards bienveillants, complices, souriants, des non-dits qui disaient des choses. Aujourd’hui, j’ai une pensée particulière pour elles notamment parce qu’elles paraissaient avoir avec moi des convergences implicites ou tacites, à la fois intellectuelles, culturelles et historiques.
Elles ne sont plus là, je ne les vois plus. Que sont-elles devenues ? Les reverrais-je un jour ?
Lamine Bey Chikhi
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