Bribes d’histoire -63-
Posté par imsat le 29 décembre 2021
Avec le recul, bien des choses d’autrefois me paraissent ineffables, extraordinaires à tous points de vue. Quand je dis autrefois, je pense à des années, à des périodes spécifiques, référentielles. Les choses en question renvoient à des visions existentielles, des approches humaines, des postures, des conversations, des modes de communication, le tout impliquant certaines personnes exceptionnelles. Aujourd’hui encore, je suis émerveillé lorsque je me remémore l’époque considérée. Mon admiration n’a rien à voir avec le contexte historique. Ce à quoi je songe est indépendant de l’histoire, de la grande histoire. En ce sens, je soutiens que les êtres dont le tempérament, l’éducation, les valeurs morales m’ont marqué, transcendaient l’histoire. En tout cas, c’est ce qui émerge de plus en plus de mes souvenirs cardinaux. Naturellement, cela ne concerne pas de la même façon les membres de ma famille (paternelle et maternelle s’entend). Il y avait des personnages centraux (hommes et femmes) et ils étaient centraux d’abord au regard de leurs valeurs éthiques, de l’attention qu’ils accordaient aux êtres et aux choses. Ils étaient même, d’une certaine façon, charismatiques. Ils imposaient le respect par leur sagesse, la mesure de leurs propos, leur délicatesse systématique. Il y avait de la noblesse dans leur appréciation de la vie, dans leurs rapports aux autres. C’est toujours et d’abord le mot convivialité qui me vient à l’esprit quand je pense à eux. Mais leur convivialité n’était pas feinte, calculée, fictive. Elle était naturelle, spontanée et expurgée de tout ce qui risquait de la fausser, de la frelater. C’était une convivialité épurée, raffinée, détendue, égale à elle-même. Il n’y avait rien d’artificiel dans leur comportement. Et c’est tout cela que je percevais et que je qualifierais aujourd’hui de quintessence du savoir-vivre. En écrivant ces lignes, je pense en particulier à une conversation entre ma mère et sa tante maternelle Khalti Zlikha qui habitait alors rue du Casino. C’était une après-midi printanière. Je dégustais de délicieuses halwette Ettork en les écoutant parler. J’observais déjà qu’elles prenaient le temps de parler, de s’appesantir sur des choses simples, qu’elles prenaient la parole opportunément. L’échange était fluide, détendu, souriant. Il y avait une grande déférence dans leur façon de se regarder, de s’apprécier. Je les regardais, je les écoutais, et je sentais aussi que tout était harmonieux, équilibré, synchrone. Je me réfère précisément et délibérément à cette conversation pour illustrer ce que je pense vraiment des qualités supérieures des êtres que j’ai eu le privilège de côtoyer. Qualités que je ne retrouve pas du tout chez les gens d’aujourd’hui devenus intéressés, matérialistes, outrageusement pragmatiques, incapables de se défaire des scénarios utilitaires et de toutes sortes d’anticipations qui empêchent d’apprécier pleinement, librement, sereinement le moment présent. C’est un peu pour toutes ces raisons que je suis d’accord avec Nina Bouraoui lorsqu’elle écrit : « Tout se défait, tout se sépare, et je ne sais pas si l’on retrouve un jour les choses que l’on a perdues. »
Lamine Bey Chikhi
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