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Août 1958…L’autre Vél d’Hiv

Posté par imsat le 24 septembre 2022

Lettre ouverte à monsieur Emmanuel Macron

Président de la République Française

Monsieur le Président, la commémoration des 80 ans de la rafle du Vél’d’hiv et l’hommage que vous avez rendu aux victimes juives forcent le respect.

Un tel « fardeau » pèse de tout le poids de la mémoire de chacune des victimes raflées et écrasées par la barbarie nazie jusqu’au dernier souffle de leur vie.

Vous avez prononcé des mots forts sous forme de promesses : « nous continuerons de la rappeler contre l’oubli, nous continuerons de l’enseigner contre l’ignorance, nous continuerons de la pleurer contre l’indifférence, nous continuerons d’en sonder les racines profondes et les ramifications nouvelles contre les résurgences du mal et nous nous battrons, je vous le promets, chaque petit matin car la France s’écrit par un combat de résistance et de justice qui ne s’éteint jamais».

Ces mots ont réveillé en moi le souvenir de ma propre détention. Oui, j’avais 18 ans quand je fus enfermé ainsi que des milliers de mes compatriotes, pendant des semaines, dans ce maudit lieu où résonnaient encore les cris des femmes et des enfants juifs avant leur déportation vers les camps d’extermination dans des wagons à bestiaux.

Le 25 août 1958, le FLN décide de déclencher des opérations commandos sur des cibles essentiellement stratégiques et militaires en métropole avec pour objectifs : desserrer l’étau sur les maquis en Algérie, diminuer la pression sur les populations, faire bouger les lignes sur le plan international et éveiller les consciences en métropole.

Surprise par les actions commandos et le retentissement international qu’a eu la destruction des installations pétrolières de Mourepiane, de la Cartoucherie de Vincennes, des Commissariats de police et de la base navale de Toulon, la police française va laisser libre court à sa violence et à sa haine du «bougnoule».

Ordre fut donné de rafler les Algériens à la sortie des métros, à la descente des bus, sur les boulevards, dans les foyers, dans les usines, dans les cafés…

Pendant des jours et des nuits nous fûmes entassés sur la piste du Vélodrome d’Hiver. Cette détention fut évidemment des plus pénibles. Le toit en verre sous le soleil d’août rendait l’air suffocant et le sol aussi chaud que le magma du Vésuve. Pas d’ombre où s’abriter, des jours à dormir à même le sol et à manger debout. Les sanitaires étaient pris d’assaut.

A force de suppliques et de cris, les gardes mobiles ont fini par ouvrir le toit une fois par jour pour nous permettre de respirer, et des espaces nous furent libérés par l’allégement du dispositif de surveillance.

Parmi nos compatriotes raflés, se trouvaient des fonctionnaires « français musulmans » qui furent vite libérés, ce qui leurs permit d’alerter l’opinion publique sur nos conditions de détention. Des familles ont commencé à affluer devant le Vél’d’hiv, créant attroupements et nuisances.

Certaines apportaient des vêtements, des médicaments, des biscuits ou autre nourriture.

Ces familles avaient été dirigées vers ce lieu par les commissariats de leurs quartiers. Des inspecteurs de police venus, munis de leurs fichiers, pour séparer le bon grain de l’ivraie, n’ont rien pu faire dans ce chaos.

Les élus locaux firent pression pour éviter au quartier un autre drame, la rafle de juillet 42 était encore fraîche dans les mémoires. Dans ce quartier habitaient aussi des juifs déportés.

Quelques jours plus tard, commencèrent alors les premiers convois d’expulsés vers l’Algérie, où ils furent internés dans des camps, pour la plupart jusqu’à l’indépendance.Quant à moi, je faisais partie d’un autre groupe. Nous eûmes droit, d’abord dans une première étape au gymnase de Jappy, pour nous voir signifier par des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur notre inculpation et la décision de nous incarcérer dans des camps militaires érigés spécialement pour cette opération, les prisons étant pleines.

Ainsi le 3 octobre 1958 à 10 h du matin, après des semaines d’une vie de chien, nous voilà donc transférés vers les camps du Larzac (Aveyron), de Thol (l’Ain), de Saint Maurice L’Ardoise (le Gard) et, pour ce qui me concerne, de Vadnay (La Marne).

Nous étions menottés trois par trois, reliés aux poignets de deux policiers.

Une fois dans le car, les policiers attachèrent les menottes à des mains courantes spécialement aménagées à l’intérieur du car. Ce trajet fut interminable avec un seul arrêt dans une caserne pour arriver tard dans la nuit à Vadnay.

Monsieur le Président « je vous écris du Vel d’hiv, de la faim, de l’attente et de la pagaille, des maladies, de tout l’enfer déshumanisant du confinement»[1] pour vous demander non pas un geste de repentance mais un acte de responsabilité, un geste fort pour rappeler que des milliers d’Algériens, personnes âgées, adolescents, humbles ouvriers, fonctionnaires sont également passés par ce lieu.La destruction du Vél’d’hiv en 1959 n’y changera rien, l’histoire de ce sinistre endroit nous appartient autant qu’à tous ceux qui y ont souffert.

Et parce que le vent du silence est partout le même, au nom des Raflés d’août 1958 victimes de l’arbitraire, au nom du devoir de mémoire, au nom du chantier colossal qui s’ouvre devant les historiens algériens et français pour établir les faits, je vous demande de rendre accessibles toutes les archives de la préfecture de police de Paris dirigée à l’époque par… Maurice Papon.

Mohamed Larbi CHIKHI dit Babi, ancien détenu et permanent de la Fédération de France du FLN

(1)Karen Taieb, Je vous écris du Vél’d’hiv. Les lettres retrouvées, Paris Robert Laffont, 2011.

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Bribes d’histoire -73-

Posté par imsat le 23 septembre 2022

L’histoire avec un grand H n’existe pas en soi, elle ne se construit pas ex nihilo. J’ai déjà eu à dire que l’histoire était un tout, une totalité hétérogène et qu’on pouvait l’appréhender de diverses manières, notamment par le biais de parcours individuels, d’histoires familiales, de récits fragmentés. Même quand, dans telle ou telle évocation nostalgique, je ne me suis pas référé directement à l’histoire (la grande histoire), je me suis toujours efforcé de baliser ma narration par des dates, le rappel de l’époque considérée, des éléments de contextualisation. L’histoire est une globalité qui transcende l’individu mais elle ne s’explique pas sans la micro-histoire, cet ensemble de destins individuels eux-mêmes interconnectés pour fonder, par exemple, une histoire familiale, levier potentiel d’une approche événementielle plus large. Je déroule cette réflexion en pensant naturellement à mes parents, à ma famille et plus généralement à l’histoire des Chikhi, en particulier dans son « volet » batnéen. Ce que j’en ai dit est évidemment dérisoire par rapport à la réalité, à son impact. Cette histoire a d’abord mis en exergue quelques individualités autour desquelles sont venus se polariser, s’agréger des aspirations collectives, et, en tout cas, des éléments psychologiques et socio culturels qui ont forgé une conviction commune, une conscience familiale comme on dirait une conscience collective. Qu’est-ce que cela représente à l’échelle du temps ? Autre question fondamentale: Ne suis-je pas dans une subjectivité totale en écrivant ce que j’écris, et peut-être aussi dans une vision tronquée du réel ? La question sur le rapport au temps, à la durée est toute relative. Je la soulève à ma façon mais on pourrait aussi la poser différemment. Et puis, tout dépend de l’angle sous lequel on l’appréhende (matériel, culturel, intellectuel, historique…). En vérité, mon idée première ne devait pas porter sur ces aspects; je voulais d’abord revenir sur ce qui a ralenti, entravé avant de le freiner complètement et de le marginaliser (ce verbe est-il adéquat ?) le rayonnement local et régional de la famille Chikhi, et, a contrario, sur ce qui aurait pu consolider, amplifier une expansion patrimoniale, socio culturelle, commerciale qui s’est quand même étalée sur près d’un siècle. Est-ce une affaire de cycle, autrement dit un processus qui n’avait pas vocation à s’éterniser ? Peut-être, mais en même temps toutes les hypothèses sont permises. La disparition dans les années 60 de certains membres de la famille, personnalités marquantes, charismatiques, influentes, explique t-elle en partie le début de la fin du cycle en question ? En tout cas, je ne peux m’empêcher de relever la concomitance des deux éléments.

Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire-72-

Posté par imsat le 19 septembre 2022

Une photo sur twitter montrant différentes variétés de la Baklawa. Belle prise et esthétiquement bien agencée.
Je l’ai retweetée en la titrant « A la recherche du temps perdu »
Je n’ai pas vraiment réfléchi avant d’écrire ce qu’elle m’inspirait. Et en dépit de ce à quoi elle pouvait renvoyer directement, je n’ai pas du tout pensé à l’oeuvre monumentale de Proust. C’est venu comme cela, spontanément, j’ai immédiatement associé l’image de cette excellentissime pâtisserie à des pans entiers de notre histoire familiale.
Je pourrais certainement dire la même chose de bien d’autres gâteaux et mets que nous avons eu le bonheur de déguster, d’apprécier, de sentir, des années durant.
J’ai déjà eu à souligner que la baklawa de ma mère et celles de mes tantes Djamila, Zakia et Saadia étaient incomparables. Ce n’était pas seulement une affaire de préparation, de saveur, de goût; de délicatesse, c’était aussi une question d’atmosphère, de convivialité, d’appréciation, d’harmonie. Chacun disait à sa manière ce qu’il en pensait, et cela était agréablement formulé à l’occasion des fêtes de l’Aid ou de rencontres familiales ordinaires. Et puis, nous nous amusions à faire des extrapolations, des comparaisons avec la baklawa des autres régions. C’était incontournable. Naturellement, la nôtre émergeait dans tous les cas; pour nous, c’était indiscutable et objectif. Les conversations autour de ce sujet ou de ce qu’il suggérait sur l’histoire de la famille se démarquaient complètement de celles auxquelles il nous arrivait de participer ou d’assister ailleurs, dans d’autres cercles, en diverses circonstances. C’était vraiment une autre époque. La photo dont il s’agit est très récente. J’en parle aujourd’hui en ayant une pensée émue et toute particulière pour ma chère mère décédée il y a exactement douze ans, le 19 septembre 2010. Paix à son âme. Allah yerhamha.
Lamine Bey Chikhi

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