La genèse de mon engagement militant
Posté par imsat le 4 mars 2023
La genèse de mon engagement militant
Des péripéties mémorables
Mohamed Larbi Chikhi dit Babi
« Transmettre la mémoire de l’histoire, c’est apprendre à se forger un esprit critique et une conscience »
(Simone Veil)
Un événement dont j’avais été témoin depuis le balcon de notre hôtel est resté gravé dans ma mémoire, ayant sans doute constitué une sorte de déclic dans mon engagement qui fut d’abord un engagement pour la lutte, pour le combat, indépendamment de ses objectifs politiques dont je n’étais d’ailleurs pas encore en mesure de percevoir toute la portée du fait de mon jeune âge.
L’événement dont il s’agit avait trait à l’arrestation musclée suivie du meurtre, sous mes yeux, d’un militant du FLN, par un policier français, alors qu’il tentait de fuir.
En fait, le policier armé d’une mitraillette crosse en bois somma le militant de s’arrêter pour un contrôle d’identité mais ce dernier refusa d’obtempérer et prit la fuite. Le policier tira une rafale de coups sur le militant qui s’effondra; les badots se sont mis à courir dans tous les sens, jusqu’à l’arrivée du commissaire de police dans une jeep avec d’autres policiers. Une arme avait été trouvée sur le fidaï. Une ambulance évacua le pauvre malheureux. Le policier français était accompagné d’un de ses collègues algériens qui lui servait d’interprète et de garde du corps. Le meurtre eut lieu devant les moulins Reha de Benflis (Souk El Assar) en face du café-hôtel de mon père. Le militant tué était le premier martyr de la révolution à Batna.
Psychologiquement, cela a naturellement pesé sur ma décision d’opter pour l’action. J’étais révolté par ce à quoi je venais d’assister mais je sentais que cette révolte resterait inachevée sans son incarnation dans le réel, par un engagement militant.
L’influence déterminante de Saout el Arab et Ali Mellah dit Nemeur
C’est aussi en écoutant Saout El Arab que le déclic se consolida. Le soir, alors que le couvre-feu était en vigueur, nous nous retrouvions mon frère Chérif, des amis policiers algériens originaires de la région et moi, au niveau de la réception de l’hôtel, pour évoquer la situation politique tout en prêtant l’oreille aux propos radiophoniques de Saout El Arab toujours encourageants, puissants et optimistes, ce qui nous mettait souvent du baume au coeur. Nous suivions ses interventions prudemment, et lorsque des interférences extérieures se manifestaient, nous distribuions le jeu de cartes sur la table, accompagné parfois d’une assiette de Zlabia pour faire diversion. Nous avions juste le temps d’éteindre le poste radio pour ne pas prendre de risques inutiles.
Dans le contexte de l’époque, il y avait aussi un personnage important et exceptionnel qui m’a prodigué des conseils pertinents, judicieux et d’une grande sagesse, il s’agit de Ali Mellah dit Nemeur qui était commandant de l’ALN. C’était un révolutionnaire au plein sens du terme. Son père est originaire de Marouana (Aurès) et sa mère Ma Taoues est d’origine kabyle. C’est lui qui avait insisté pour que je fasse du scoutisme et c’est encore lui qui m’expliqua pourquoi il fallait que mon passage dans le maquis soit écourté. Il était en contact avec tous les responsables qui avaient déclenché la révolution. La génération de son époque lui vouait beaucoup de respect. Je reviendrai sur d’autres aspects intéressant Ali Mellah, notamment sur le plan relationnel et familial mais toujours en lien avec l’histoire.
Je dois souligner que ces éléments liés à l’éco-système politique et sécuritaire qui prévalait alors ne m’auraient certainement pas permis à eux seuls de concrétiser mon engagement sans la relation que je venais de nouer avec un neveu du capitaine Benhamza, officier de l’armée française, rapatrié d’Allemagne, accompagné de sa femme française.
Benhamza était sollicité par le Général Parllange commandant les troupes françaises, souvent en inspection dans la région.
Son neveu, ayant des lacunes en français, se retrouva avec moi aux cours du soir chez le professeur Saint Jean, instituteur de Provence, d’une rigueur à la Robespierre.
Les événements qui venaient de se déclencher à Batna et dans la région allaient perturber notre scolarité. Certains enseignants préférèrent se regrouper à Constantine, d’autres furent rapatriés en France.
Poursuivre la scolarité ou s’engager dans la lutte de libération ?
Nous voilà finalement tous devant un dilemme : aller à l’école que dirige un Algérien du nom de Benghezal, originaire d’El Kantara et futur beau père de Abdelhamid Brahimi, qui deviendra Premier ministre sous le Président Chadli de 1984 à 1988, ou alors renoncer à la scolarité ? Je me permets une digression pour préciser qu’en 1955/1956, Brahimi fréquentait le lycée de Batna pour préparer son baccalauréat. Il venait en début de semaine de Constantine en empruntant la société de transport de ma famille, la STAB (Société des transports automobiles batnéens). J’évoquerai de nouveau Brahimi ultérieurement à la faveur d’un autre événement impliquant la STAB.
Pour en revenir à Benhamza, il est important de préciser qu’il m’assurait l’entrée libre à la caserne où il habitait; les militaires, souvent des appelés d’origine algérienne, finirent par sympathiser avec nous. Ils nous demandaient souvent de leur rapporter des cigarettes, du tabac ou autres produits tels que savonnettes, savon à barbe, dentifrice et, à l’occasion des fêtes, des gâteaux tels que les Makrouds.
La désertion de Farahi Ramdane et Djeribi Hamma
Le hasard a voulu que, parmi tous ceux que nous avions aidés à déserter, se trouvent deux jeunes, Farahi Ramdane et Djeribi Hamma.
Farahi Ramdane, petit algérois de Kouba, cherchait une salle de boxe à Batna. Il participera à la guerre d’octobre 1973 et à la traversée du canal Suez. Il fera partie des troupes algériennes dépêchées par Boumediene en Egypte, et sera grièvement blessé avant d’être rapatrié en Algérie où il finira aveugle. Il termina sa carrière avec le grade de capitaine.
Quant à Djeribi Hamma, un gars de Tébessa, il cherchait un contact sérieux pour déserter, après une longue période de mise à l’épreuve caractérisée par des vols de munitions, de grenades, etc, je suis arrivé à le mettre, ainsi que Farahi Ramdane, en contact avec des moussebilines qui les ont pris en charge avec armes et bagages, condition sine qua non pour leur incorporation dans les rangs de l’ALN. On leur indiquera le lieu du rendez-vous, à la sortie du camp, quartier des casernes des militaires de l’armée Française.
Il existait à l’époque une porte qui permettait de sortir de la ville. La désertion se déroula dans les meilleures conditions. Djeribi et Farahi rejoignèrent le 1er groupe de moudjahidine dans la région de Oustilli.
El Hadj Lakhdar, qui commandait la région, les affecta dans la zone d’Ain Touta où les effectifs manquaient d’encadrement, jusqu’à l’arrivée de Salah Nezzar qui a déserté avec son groupe lui aussi avec armes et bagages; cet ancien d’Indochine fera parler la poudre dans la région.
N’étant pas à leur poste de garde, cela a provoqué un branle-bas de combat dans la caserne et la mise sous scellés de tous les fusils sous une chaîne cadenassée.
Le commandant de l’unité, sachant que, sans aucune complicité extérieure, cette désertion n’aurait pas eu lieu, et après voir enquêté à l’intérieur de la caserne, s’est mis à ma recherche; il finira par me localiser plus ou moins par l’intermédiaire des sentinelles de veille.
Une mise au vert à Constantine
Alerté par un autre conscrit qui se préparait à prendre le chemin du maquis sans armes puisque le commandant les avait mis sous cadenas, j’ai eu juste le temps de partir à Constantine et de me mettre au vert chez la tante de ma grand-mère, Mme Ait Ahcène, mère de Ait Ahcène Meziane avocat stagiaire chez maître Benbahmed alors célèbre avocat de Constantine.
Ait Ahcène Meziane a rejoint la délégation extérieure du FLN, juste après les évènements de Constantine de 1956. Il fut blessé à Bonn en Allemagne par la main rouge après avoir échappé à une liquidation par cette même organisation à Constantine, une montre de poche lui sauva la vie (l’ex rue Ampère à Alger porte son nom). Ferhat Abbès et lui sillonnèrent l’Amérique Latine pour expliquer la justesse de notre cause.
La tante de ma grand-mère était aussi la sœur de Amar Cheikh qui a pris le maquis en 1945. il fut l’adjoint de Krim Belkacem et responsable de la région de Ain El Hammam. Encerclé puis tué par l’armée française avec son commando en protégeant le congrès de la Soummam. Pendant son règne dans la région de Ain El Hammam, il sévira avec beaucoup de rigueur (malheur à celui qui bouge), il ne laissera pas de bons souvenirs dans la région…
Mon départ pour la France
De retour de Constantine à Batna, mon père avec la complicité de Maître Sisbane avocat de la famille, organisa mon départ pour la France, d’abord sur Alger. A l’époque « Maison Blanche » . Il réussira à me mettre dans un Breguet deux ponts avec des émigrés, le voyage a été des plus pénibles, placé à côté des moteurs dont le bruit était insupportable. Je suis arrivé à Paris sourd des deux oreilles, il me fallait plus d’une journée pour retrouver l’ouie.
Du Bourget à la rue des Rosiers, à St Ouen, j’ai marché sous une pluie battante, et je devais à chaque fois interpeller des passants pour m’indiquer le chemin. Je suis arrivé aux alentours de 17 heures à l’adresse où résidait mon cousin, trompé jusqu’aux os.
Après un bon bain bien chaud, on me servit un couscous kabyle avec, comme légumes, chou, pommes de terre plus carottes, qui n’avait rien à voir avec celui de ma mère, essentiellement avec karde (Khorchef) et navet sauvage – left saidi, qui dégage un fumet agréable.
Des compatriotes de Ain El Hammam
Le lendemain, et après une nuit de repos, je fais la connaissance des autres occupants de l’appartement, tous du même village de Kabylie (Teskenfout – Azrou – EL Karn) situé à 4 Km de Ain El Hammam ex Michelet, village célèbre où vécurent de grandes familles (Oussedik, Ait Ahmed, Si Ghozali et d’autres familles maraboutiques). La secte maraboutique mystique avait beaucoup d’influence dans la région, avant le déclenchement de la révolution, ses membres étaient utilisés dans les relations avec l’administration française surtout dans les conflits inter-villages.
Cette communauté d’émigrés vivait en bonne entente et les tâches étaient bien réparties entre eux d’autant plus qu’ils travaillaient en deux équipes dans deux entreprises dans le même quartier. L’appartement était toujours animé et le voisinage essentiellement français ne posait aucun problème, souvent ils s’invitaient entre eux pour un bon couscous bien arrosé.
J’ai quitté cette ambiance rapidement, malgré l’emploi que les camarades m’avaient trouvé dans une compagnie MORS qui fabriquait des obus de canon et reconvertie dans les premières fabrications de machines à laver. La réglementation ne m’assurait pas un paiement complet pour un travail, j’avais droit à un demi salaire, j’ai dû renoncer à cet emploi, pour des considérations diverses, notamment la réglementation du travail qui exigeait pour un salaire complet, un âge de dix huit ans révolus
A Choisy le Roi, c’est dans une verrerie que j’ai atterri puisque j’étais logé avec mes beaux-frères dont la sœur était mariée à un gars de leur village, véritable nabab dans cette banlieue; ayant participé à la résistance française, il bénéficiait de tous les privilèges et reconnaissances dus à ses exploits d’aide à la résistance.
Mon passage dans les maquis
Je rappelle qu’avant d’embarquer pour Paris, j’avais fait un court séjour dans le Djebel avec des velléités de rejoindre mes déserteurs – Ferahi Ramdane et Djeribi Hamma. J’ai remis au frère Abdessemed des produits alimentaires, boites de sardine, confiture et autres conserves récupérées sur les stocks de l’armée française, des dattes secs « kentichi . Les grenades furent prélevées dans la chambre qu’occupait un policier algérien dans l’hôtel de mon père, ensuite requisionné par la police qui occupa tout l’établissement.
Un mulet bien rempli, nous abordâmes la montée de Oustilli, vers les premiers contre-forts des Aurès. Après deux bonnes heures de marche, surgit de broussailles, le premier jeune maquisard, carabine américaine sur les épaules; après les premiers salamalek, il se chargea de nous guider vers le premier campement à l’air libre que commandait Tahar Ouchène et où s’affairaient les djounouds, les uns se lavaient directement dans le ruisseau, d’autres lavaient leur linge ou nettoyaient les armes.
C’est dans ce contexte que nous avions appris que Mostefa Benboulaid, après son évasion de la prison d’El Koudia, s’était réfugié durant deux mois dans une maison forestière pour reprendre des forces, mais surtout par sécurité, car il n’avait confiance qu’en L’hadj Lakhdar. Durant sa détention, la région connut des troubles dus pour l’essentiel aux ambitions des uns et des autres relevant de diverses factions pour commander la région (Wilaya 1)
Cheikh Youcef Ayalaoui lieutenant et commissaire politique s’étonna de me voir habillé comme pour aller à l’école, il me débrouilla tout de suite une kachabia et des pataugas un peu larges pour mes pieds, j’ai dû à mon corps défendant les rembourrer avec des journaux et des chiffons pour ne pas tomber.
Le séjour fut ponctué par un bombardement intensif de l’armée française, suivi d’un ratissage des plus violents qui durera trois jours. Après notre décrochage, la décision fut prise de rentrer sur Batna, n’étant pas mobilisable, les conditions étaient rudes et l’organisation tribale rendait difficile mon incorporation ainsi que celle des autres citadins venus après moi.
Au moment où je me trouvais au maquis, 12 jeunes de Batna, dont les frères Bouabssa, qui voulaient rejoindre les rangs de la lutte, tombèrent dans une terrible embuscade de l’armée francaise et d’un groupe de harkis que le général Parllange avait mis sur pied, le GMPR (Garde Mobile de la Police Rurale) et qui a essaimé dans les campagnes pour noyauter les populations. Les membres de ce groupe s’infiltraient souvent dans les hameaux pour piéger les djounouds qui s’aventuraient à rejoindre leurs familles pour se restaurer et se reposer un peu au risque de leur vie.
L’Hadj Lakhdar que nous n’avons pas rencontré, nous demanda de rejoindre l’Ouidadia en France (Fédération); j’étais loin de me douter que lui-même avait fait un long séjour en France, où il travailla et se forma déjà à la politique de la lutte de libération dans le cadre du PPA-MTLD, juste au sortir de la deuxième guerre mondiale…
ML.Chikhi
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