Prison de Montluc
Posté par imsat le 30 mai 2023
Prison de Montluc, Lyon
L’incontournable évocation des militants algériens guillotinés
Mohamed Larbi CHIKHI dit Babi
Les propos tenus par le Président de la République Française Emmanuel Macron à la Prison de Montluc à l’occasion de la fête de la victoire du 08 mai 1945 sur la barbarie Nazie nous offrent l’opportunité de revenir sur un fait historique impliquant nombre de compatriotes algériens.
Il est vrai que la prison de Montluc fut un centre de torture et de liquidation des patriotes de l’ombre qui ont mené un combat sans merci contre la Gestapo Lyonnaise. Jean Moulin, chef de la résistance intérieure, fut arrêté et torturé à mort dans cette prison, sur les murs de laquelle les noms des supliciés figurent encore.
Mais le hasard de l’histoire va encore rappeler au Président français que des Algériens furent aussi détenus dans ce lieu sinistre où la machine infernale a fait ses preuves dans la cour de cette prison plus d’une dizaine de fois pendant notre révolution.
A mon arrivée à Lyon où je fus muté par la direction de la Fédération de France, j’avais pour mission de remettre l’organisation en place car elle venait d’être décapitée.
Mes prédécesseurs n’avaient pas eu le temps de prendre contact avec le peu de cadres encore en liberté qu’ils furent encerclés par la police Lyonnaise.
Le piège s’est refermé sur eux au Parc de la Tête d’or fin 1961.
Avec Braik dit yeux bleus, nous échappâmes de justesse à l’arrestation car nous avions eu la chance de sauter dans un train juste avant celui que nous devions réellement prendre, sans aucun bagage.
Dès notre arrivée à Lyon-Perrache, nous avons préféré rester sur place, en attendant le contact chargé de nous récupérer.
C’est à ce moment que les policiers en civil se sont installés à la sortie du quai de la gare; Braik a vite compris qu’il fallait déguerpir immédiatement et rejoindre le point de chute qui nous avait été communiqué à Paris, en l’occurrence le siège de la CFTC où était hébergée la section de L’AGTA, section de l’UGTA, tolérée en France.
Nous sommes tombés nez à nez avec cheikh Ahmed qui se préparait à venir nous récupérer à la gare avec un adhérent du syndicat AGTA.
Après les explications sur notre avance, il fallait régler le problème de notre départ des lieux. Le siège de la CFTC place des terreaux étant surveillé par des policiers en civil. Là aussi, la chance continue à nous sourire grâce à une pluie battante, les policiers sont rentrés se réfugier dans un bistrot en contre-bas du siège de la CFTC.
C’est ce jour-là que j’ai entendu le nom de cette prison. Cheikh Ahmed nous rassure : « ce n’est pas ce soir que vous allez coucher à Montluc… »nous dit-il. Il se chargea de piloter Braik dit yeux bleus.
Quant à moi, le secrétaire de la CFTC me convia à passer la nuit chez lui après avoir traversé une bonne partie du centre de la ville de Lyon sous une pluie diluvienne.
Montluc, ce n’était pas un cinq étoiles
L’histoire de la prison de Montluc m’a été relatée au cours de cette nuit par mon bienfaiteur à l’occasion de cette rencontre, après lui avoir demandé des éclaircissements sur la boutade de cheik Ahmed, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un cinq étoiles.
Pendant tout mon séjour, je n’ai pas eu l’occasion de passer à côté de ce lieu que je qualifierai à nouveau de sinistre.
Du point de vue mémoriel, l’histoire doit retenir à propos de la prison de Montluc que ce lieu nous appartient au même titre que le Vel d’hiv. En tout cas, il ne nous est pas du tout indifférent.
Les partisans y ont subi les pires tortures de la part de la Gestapo avec à sa tête Klaus Barbie qui fut le tortionnaire de Jean Moulin héros de la résistance française.
Klaus Barbie en France et Aussarrès en Algérie
Il y a eu Klaus Barbie en France entre 1940 et 1945 mais il y a eu en Algérie, 10 ans plus tard, le général tortionnaire Aussarrès l’assassin de Larbi Ben Mhidi héros de la révolution Algérienne.
En rendant hommage à Jean Moulin au Mémorial National de la Prison de Montluc, et en transformant celle-ci en musée de l’histoire de la résistance française, le gouvernement français se devait d’évoquer les résistants algériens qui furent actifs parmi les maquisards pendant la deuxième guerre mondiale.
A ces résistants de cette époque, il faut ajouter les suppliciés Algériens, guillotinés à Montluc, pendant la guerre de libération nationale 1954-1962.
Le chant des partisans et Mine Djibalina …
Souvent, pour regagner le domicile de ma fille, et alors que je longeais les murs de la prison, j’avais l’impression d’entendre des voix monter au ciel en entonnant le chant des partisans de l’ombre « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines.. « mêlé au chant des patriotes algériens « Mine djibelina… » accompagnant nos condamnés à l’échafaud de Montluc.
Le souvenir de cette hécatombe est resté vivace dans nos mémoires
Il faut rappeler que les riverains de ce lieu fuyaient à la campagne lorsqu’ils savaient qu’une exécution était programmée, pour ne pas entendre l’horrible bruit du couperet, bruit à vous glacer le sang.
Il est vrai que cet endroit sinistre devrait être rasé comme le fut le Vel d’hiv mais ce n’est pas la conception historique de la France.
On n’oublie rien !
Passer l’éponge, c’est sans doute un geste qui ne coûte pas cher, mais, aujourd’hui, les nouvelles générations demandent à connaitre le pourquoi du comment de ce déchainement de folie contre un peuple qui ne revendiquait que son droit à une existence digne.
Nous sommes tentés d’interpeller le président Macron et lui demander : » Au nom de qui a t-on guillotiné les enfants d’un peuple qui ne vous ressemble pas ? Comment oser venir sur ces lieux et parler de barbarie nazie, en foulant toute honte bue le sol de la prison, sur lequel le sang de nos martyrs n’a pas encore séché ? »
On le rappellera autant de fois qu’il est nécessaire jusqu’au jour où la France officielle reconnaitra ses crimes vis à vis de ma communauté, jusqu’au jour où la repentance deviendra une évidence.
Mon pays n’a pas hésité à inscrire en lettres d’or les noms des militants français qui ont risqué leur vie pour l’Algérie, sur un mur du monument aux morts de la capitale algérienne afin que nos générations à venir effacent de leur cœur toute haine vis à vis de la France, et pour que ne subsiste aucun remords ni amertume.
A l’occasion de mon retour à Lyon au début de l’année 1965, pour à nouveau mettre en garde nombre de cadres de notre émigration contre les démons de la division que manifestaient les mêmes éléments de 1962, je me rendis compte que l’histoire se répétait. Absi larbi est devenu président de l’Amicale des algériens en France pour le compte de Ben Bella, dont il était le plus proche collaborateur politique.
Revenu plus tard, dans les années 1990, pour inscrire ma cadette à l’université catholique, j’en ai profité pour revisiter le camp de Thol avec mes enfants puis le Vercors où tant de jeunes sont morts, maquisards sans aucune expérience, avec peu d’armes (les parachutages promis pas arrivés ou parvenus bien trop tard), et encerclés puis laminés les uns après les autres de façon impitoyable par la Gestapo.
Un monument est érigé au pied du Vercors portant l’inscription suivante : ‘Là où je meurs, renaît la patrie »
Les martyrs algériens étaient eux aussi jeunes.
Ecrire l’histoire
Il faut rappeler que c’est sous le général de Gaulle que furent guillotinés nos meilleurs éléments du groupe du choc de l’organisation.
De Gaulle n’a arrêté sa démarche criminelle que sous la pression de l’opinion publique et des manifestations du 17 octobre 1961 qui ont fini par le convaincre que les carottes étaient cuites.
Plus il tardera à se débarrasser du fardeau Algérien, plus il mettra en danger son pouvoir et sa politique de redressement de l’économie de la France. Les négociations d’Évian ont traîné en longueur et buteront sur la question du Sahara que les français voulaient garder sous leur souveraineté.
De Gaulle donnera alors un ultimatum à Joxe pour activer la signature des accords d’Évian avec la délégation Algérienne. La France traînera à jamais cette tâche sombre de son histoire, et les nombreux crimes commis pendant toute la colonisation.
L’écriture de l’histoire est un processus complexe parce qu’elle suscite souvent des lectures et des analyses divergentes.
C’est le cas de l’histoire de la guerre d’Algérie.
L’histoire retiendra aussi que c’est le gouvernement Michel Debré avec ses acolytes Frey ministre de l’intérieur et Papon préfet de police, et sous leur autorité que furent prononcées et exécutées les sentences des tribunaux militaires instaurés par les lois 56268 et 56269 stipulant que sont condamnés à mort tous les fidayîn pris les armes à la main sans instructions préalables.
C’est ainsi que 45 condamnations à mort furent prononcées et 25 exécutées, dont onze à la prison Montluc Lyon.
Je citerai pour mémoire les noms de mes compatriotes guillotinés.
- Bellil abdallah, 7 juin 1959, prison de Dijon
- Hasnaoui Mohamed, 26 septembre de Dijon
- Sadani Mokrane, 5 juillet 1959, prison de Dijon
- Benzouzou Mohamed, 26 septembre 1959, Fort Montluc, Lyon
- Ait Rabah Mouloud, 23 février 1960, Fort Montluc, Lyon
- Cherhari Ahmed, exécuté le même jour au même lieu
- Karouch Ahmed, 17 mars 1960, Fort Montluc, Lyon
- Guelma Mohamed, 5 avril 1960, prison de Dijon
- Feghoul Mohamed, le même jour, au Fort Montluc, Lyon
- Menaï Brahim, le même jour également, et même lieu
- Mokrani Mahmoud, 8 juillet 1960, Fort Montluc
- Boukhemis Taffer, 9 juillet 1960, Fort Montluc
- Lakhlifi Abderahmane, 30 juillet 1960, Fort Montluc
- Bougandoura Miloud, 5 août 1960, Fort Montluc
- Harmoulate Boucetta
Il faut absolument écrire l’histoire de ces martyrs mais également celle des 150 000 algériens qui ont combattu le nazisme durant le second conflit mondial (16000 d’entre-eux sont morts ou portés disparus).
On ne peut pas, on ne doit pas passer cette page de l’histoire par pertes et profits. Les jeunes générations doivent en prendre connaissance. C’est un impératif à la fois mémoriel, culturel et civilisationnel.
ML CHIKHI
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