Batna, 1956-1957 : une résistance active, exigeante, périlleuse…
Posté par imsat le 29 juin 2023
Il fallait à tout prix consolider chaque jour davantage les éléments qui combattaient, et faire en sorte que les activités que nous menions restent secrètes et confidentielles. La moindre erreur, la moindre négligence pouvait coûter cher en arrestations et en pertes humaines.
La discipline instaurée pour anticiper ces risques était rigoureuse parce que dictée par un contexte extrêmement difficile lui-même impacté par la politique répressive des services de securité français.
En dépit des précautions que nous prenions individuellement et collectivement, nous savions que le risque zéro n’existait pas.
Au demeurant, nous n’allions pas tarder à nous en rendre compte concrètement en apprenant l’arrestation de Rachid Bouabdallah, suite à une dénonciation.
Rachid Bouabdallah, Salah Nezzar, Abdessemed Abdelmadjid…
Bouabdallah torturé fut soigné par le Dr Verdès dans sa clinique clandestinement et échappa miraculeusement à une mort certaine.Et c’est encore le Dr Verdès qui le fera évacuer vers la France dans un état encore catastrophique, précisément à St Denis où il fut hébergé pendant sa convalescence.
Rachid Bouabdallah et moi étions voisins, nous habitions le quartier du Stand. Comme moi, il n’appartenait à aucune cellule organisée, il exécutait les missions qu’il recevait, jusqu’à son arrestation. Il fut évacué sur la Tunisie. A l’indépendance il retrouvera Batna et occupera d’importants postes dans l’administration. Il a notamment dirigé le club de football, le Chabab de Batna.
A Alger, il a postulé pour le poste de président de la Fédération algérienne de football mais, découvrant les manigances et les traquenards de la mafia de l’époque, il se retirera. Cela ne m’a pas du tout étonné, je le savais intégre, honnête et n’ayant jamais cédé à la tentation des combines ou des privilèges.
Il vit à Alger avec sa petite famille comme tous les braves en restant fermement attaché aux serments de la lutte de libération.
Si j’évoque les circonstances de son arrestation suite à une dénonciation, c’est également pour rappeler que l’inexpérience de nombre de nos éléments dans l’action militante a été elle aussi préjudiciable.
La jeunesse en a d’ailleurs fait les frais. Beaucoup de nos éléments sont morts stupidement par manque d’expérience et de vigilance.Je pense notamment aux frères Bouabssa tombés dans une embuscade de GMPR et d’autres avec eux (nos ainés étaient déjà à djebel bouerif.)
Je n’oublie évidemment pas Salah Nezzar déserteur de l’armée française de retour d’Indochine mais qui, lui, fera parler la poudre dans la région.
Nezzar était militaire, je l’ai rencontré à son retour d’Indochine, une ou deux fois cantonné dans la région avec ses troupes françaises et algériennes, il déserta en laissant sur le carreau des dizaines de soldats. Le frère de Nezzar, brigadier de police, avait loué un magasin à mon père à l’entrée de l’hôtel, qu’il a transformé en salon de coiffure, ses autres frères avaient été incorporés dans l’armée française et le plus jeune poursuivait des études en Egypte, ils étaient très proches de nous.
Le travail de mobilisation se poursuivait en dépit des risques de toutes sortes. Le peu d’élites intellectuelles a rejoint l’organisation pour que la flamme de la résistance reste malgré tout allumée.
L’atmosphère était fébrile, les perspectives incertaines, il fallait redoubler de vigilance d’autant que des mesures sécuritaires exceptionnelles furent prises par les services de police.
Des policiers algériens que mon père hébergeait dans son hôtel me tenaient au courant de la situation, notamment un certain Matougui originaIre de Khroub.
Je pense que lorsqu’ils ont su que j’étais parti, ils ont dû pousser un ouf de soulagement.
Les commerçants que nous contactions vivaient quant à eux un cauchemar, ils étaient sous pression parce que nous les sollicitions régulièrement pour des boîtes de sardines, des grosses boîtes de confitures et autres produits alimentaires. On ramassait la moindre subsistance, l’essentiel était de faire parvenir au front des colis homogènes, transportables à dos de mulet ou sur des vélos, ce que faisait Abdelmadjid Abdessemed quand il passait au café de mon père où nous préparions les paquets.
Quand je gérais le café de mon père, j’étais en contact direct avec les maquis de la région. Chaque matin, je rencontrais les mêmes personnes. Abdessemed qui travaillait pour mon père, touchait un peu à tout. Tous les après-midi, il partait avec des provisions que je stockais à l’hôtel en attendant leur acheminement au profit de nos maquisards.
Hadj Lakhdar coordonnait tout
La plupart de nos contacts agissaient pour le compte des maquis à des échelons subalternes mais toujours avec l’accord de Hadj Lakhdar, commandant de la région qui, lui-même, contactait des amis proches pour leur demander telle ou telle chose, comme dans le cas de la paire de jumelles que j’avais ramenée de Constantine et que j’ai remise à Bendiab, photographe à Batna.
Avant son engagement pour la lutte de libération nationale, Hadj Lakhdar était un citoyen ordinaire, il conduisait son propre camion et faisait du transport public.
Au maquis, personne n’osait l’approcher, il était austère, autoritaire et ne manquait pas de charisme; il était en phase avec les exigences organisationnelles, stratégiques et disciplinaires de la révolution. Sa garde rapprochée barrait la route à toute personne qui n’avait pas à faire avec lui. Ses ordres étaient exécutés sur le champ. Il n’y avait pas lieu d’épiloguer. Il se déplaçait en permanence. On n’avait pas intérêt à demander après lui, même dans la montagne, le silence était quasi total, la plupart des djounouds parlaient en chaouiya.
Le seul message reçu de lui m’enjoignait de rejoindre El ouidadia en France (la Fédération de France du FLN ) . Il disait: » On a besoin d’eux là- bas. » Je ne savais même pas ce que cela signifiait jusqu’à ce que cheikh Youcef, commissaire politique, se charge de m’expliquer la mission.
Il faut préciser que durant la période 55/56 et début 1957, les actions étaient menées par des volontaires, qui exécutaient une mission ciblée et regagnaient aussitôt les maquis. Il était impossible de tenir à Batna, la délation était partout, impossible de survivre plus de deux mois sans se faire repérer ou arrêter.
C’est d’ailleurs dans ce contexte périlleux que Si Mokhtar fut enlevé par la Main rouge, disparaissant à jamais.
La boulangerie de mon père
La boulangerie que mon père gérait avec une vieille française avant son acquisition, était mise à rude épreuve puisque sollicitée à la fois par ses clients habituels et pour répondre à la demande des contacts qui acheminaient le pain vers le maquis.
Souvent, au petit matin, nos clients ne trouvaient pas beaucoup de pain et se posaient la question. Si Mokhtar prétextait des coupures de courant, une pénurie de levure, etc.
Mais en réalité, la balle de pains travaillée avait déjà pris la route pour le djebel.
Située à la sortie de la ville, sur la route de Lambèse, notre position était stratégique. En moins d’une demi-heure, les miches de pain transitaient par une petite fermette que nous possédions. Mon père ballotait entre vendre des lots de terrain et se chamailler avec le maire de la ville qui souvent lui refusait des lotissements en le faisant chanter pour céder des lots au profit de la ville afin de construire un centre de formation ou une école.
Les parcelles de terre convoitées par le maire faisaient partie de la cité qui portait notre nom. A ce jour, on l’appelle encore cité Chikhi malgré les tentatives de sa débaptisation qui ont toutes échoué.
Le nom de notre famille restera à jamais gravé dans la mémoire de ceux qui nous ont aimés et respectés.
ML. CHIKHI
Publié dans Non classé | 3 Commentaires »