I comme Italia -43-
Posté par imsat le 24 novembre 2024
« Rien ne ravive mieux le passé que l’odeur qu’on lui a autrefois associée » (Vladimir Nabokov)
« Cher Lamine, excusez moi, je suis busy, busy, busy. Je répondrai à tous vos messages demain. Promis ! » C’est ce qu’elle m’a dit le 19 novembre. Je lui ai répondu que son message était le plus beau des poèmes et qu’avec ces quelques mots, je pourrais tenir des heures, des jours, des mois, des années, une éternité. J’avoue que, le lendemain, après l’inhumation du doyen de la famille (paix à son âme) et le repas servi dans ce sillage, j’étais un peu pressé de me retrouver seul pour penser à elle.
Penser à elle, ce n’est pas abstrait et ce n’est pas seulement penser à elle physiquement ou intellectuellement. C’est bien au-delà, c’est autre chose. J’ai éprouvé l’immense besoin de penser à elle mais pas comme je le fais habituellement. Non, c’était différent, d’abord des sensations, l’envie de lui dire justement ce que je ressentais à ce moment-là. Besoin de lui dire que j’étais dans un vide abyssal, que je souhaitais lui parler de plein de choses, de son prénom, qu’il m’arrive de prononcer plusieurs fois par jour, du hasard, des rencontres magiques. Je me disais « il faut absolument que je note, pour ne pas les oublier, les idées dont je souhaiterais m’entretenir avec elle… »Il s’agissait aussi et d’abord pour moi de regagner, en urgence absolue, pour ainsi dire, l’espace dans lequel nous nous retrouvons habituellement pour converser, nous faire plaisir en convoquant tel ou tel auteur, telle ou telle star de cinéma. Cet espace, notre cocon, c’est de la télépathie, des intuitions, des sentiments éprouvés en temps réel. Je parle souvent de son omniprésence dans mes pensées. Ce jour-là, cette omniprésence a été interrompue, indépendamment de ma volonté; j’en étais d’ailleurs conscient. Mais Je ne l’ai pas perdue de vue. C’est comme un médicament, un remède, une sorte de drogue que l’on prend quotidiennement, et que l’on peut rater provisoirement, malgré soi. Cette interruption crée immédiatement un manque. Pas n’importe quel manque. Pour moi et par rapport à elle, ce manque, c’est une kyrielle de petites habitudes constitutives de sa belle et exceptionnelle personnalité, de ce qu’elle incarne. Mais cette fois, l’atmosphère était emplie d’un parfum sublime, le sien, et puis, alors que je rentrais chez moi, je me suis rendu compte qu’il y avait une alternance entre le parfum en question et une odeur corporelle, l’odeur de sa peau. Je sentais cette odeur comme si « I comme Italia » était près de moi. Cette odeur ne m’était pas inconnue, elle me renvoyait à une période du passé. Je me suis déjà interrogé sur la voix de mon inspiratrice, je ne la connais pas, j’ai tenté de l’imaginer en songeant à des voix d’actrices, telles celles de Monica Vitti, Claudia Cardinale ou Anouk Aimée. Mais pour l’odeur, je ne me suis pas posé de question, elle était là, envoûtante, sensuelle, voluptueuse dans mon environnement immédiat, associée à des images précises liées à l’adolescence, et cela a duré trois jours. J’allais lui en parler mais nous étions pris dans notre tourbillon paradisiaque de citations-commentaires autour de ce qui concourt aux belles rencontres, celles évoquées par ses soins et que Françoise Sagan appelle les familles de l’esprit ou celles du hasard. Sur le même thème, Haruki Murakami dit : « Même les rencontres de hasard sont dues à des liens noués dans des vies antérieures. » Et puis le hasard est partout. Elle m’a dit avoir trouvé trois livres dans la rue, dont « Ainsi parlait Zarathoustra » l’oeuvre magistrale de Friedrich Nietzsche. Pourquoi des livres ? Pourquoi trois livres ? pourquoi à l’endroit précis où elle les a trouvés ? pourquoi elle ? Pourquoi Nietzsche ? C’est extraordinaire ! Ce qui est sûr, c’est que ces livres sont désormais entre de bonnes mains. C’est ce que nous nous sommes dit en guise de commentaire d’une photo montrant une rue de Bagdad pleine de livres que les passants peuvent lire. Une phrase accompagne cette photo: « Les marchés du livre en Irak laissent les livres dans la rue parce que les Irakiens disent : « Le lecteur ne vole pas et le voleur ne lit pas »
Lamine Bey Chikhi
Publié dans Non classé | Pas de Commentaire »