Je le sais.
J’aurais donc à m’en occuper le moment venu.
Au début, ce qui m’importait, c’était d’abord de dire spontanément des choses, des impressions, des sensations premières.
Il fallait que je le fasse sans me focaliser sur la manière. Pourquoi ? Pour ne pas oublier, pour ne pas avoir à arranger des propos qui n’auraient pas la même fraîcheur, ni la même conformité avec le temps.
Quand je parle d’imperfections, je pense principalement au style. Le fond reste globalement le même.
Si j’avais fait trop attention au style, je me serais retrouvé sans doute à altérer l’essentiel.
Lorsque, par exemple, je dis d’elle qu’elle est fascinante et irrésistible, je serais tenté d’expliquer en quoi et pourquoi je la trouve fascinante et irrésistible.
Je pourrais aussi laisser les choses en l’état et ne rien expliquer du tout.
Mais je sais parfaitement et précisément pourquoi je la trouve fascinante et irrésistible, et cela ne passe pas nécessairement ni uniquement par une succession de mots, de phrases…
Là, en ce moment, j’écris sans me soucier de la façon dont on pourrait lire et comprendre mon propos.
Je ne sais plus qui a dit qu’il faut écrire d’abord pour soi ou en pensant à soi. Il n’a pas complètement tort.
En verité, on écrit aussi en pensant en même temps (un peu? beaucoup ?) à autrui.
En l’occurrence à elle…
C’est ce que je fais en ce moment et c’est ce que j’ai fait dès le début de ma « chronique » (le mot chronique n’est pas approprié, j’en trouverai un autre ultérieurement)
Yeb m’a demandé si j’étais vraiment sincère dans mon écriture.
Il a émis des doutes sur ce point parce que j’ai fait part de mon souhait d’inscrire ma démarche dans une fiction littéraire.
Ses questions sont souvent complexes.
Est-ce que tout ce que je dis est dicté par cette seule préoccupation intellectuelle, une démarche donnant libre court à une sorte de rêverie volontaire et continue ?
Est-ce qu’il y a une hiérarchie à l’intérieur de cette motivation ?
Non, il n’y a pas de hiérarchie. Il s’agit encore une fois de pensées, de réflexions, d’émotions sur le vif.
Imprévisibilité, fulgurance, silences, flash-backs, photos, citations, commentaires rarissimes mais précieux, apparitions furtives…incursions, expressions, signes suggérés et joliment incarnés….
Tels sont les ingrédients qui nourrissent mon propos.
Parfois, c’est plus simple. Je pense à son rapport au noir et blanc, à ses photos en noir et blanc, à ce que je pourrais en dire même sommairement…
Oui, plus tard. J’espère ne pas oublier. Au fond tout ce que j’ai noté à son égard, je l’ai fait pour mémoire.
Une autre idée me traverse l’esprit: son accent, oui son accent, lorsqu’elle s’exprime tantôt en italien, tantôt en français. Je ne l’ai pas dit à Yeb, il ne comprendrait pas que je veuille sauvegarder autant d’indications alors que je pourrais tout simplifier.
Eh bien, non, c’est tout le contraire de la simplification que je cherche.
J’ai évoqué sa voix telle que je l’imagine mais la voix, c’est aussi un accent.
Tandis que j’écris ces mots, je pense à l’accent de Monica Bellucci, précisément lorsqu’elle parle indifféremment en italien ou en français.
Yeb me reproche de me référer systématiquement au cinéma, aux artistes et finalement de toujours associer « I comme Italia » à mes souvenirs cinématographiques.
Il croit que je ne suis pas capable de parler d’elle en toute autonomie. D’abord il se trompe s’il pense vraiment ce qu’il dit. Ensuite, je constate qu’il n’a pas bien compris pourquoi je parle d’elle en ayant toujours en tête quelque chose qui se rapporte au cinéma (une séquence de film, le visage d’une actrice, des bribes de dialogue, une mise en scène…)
Yeb ne peut pas se mettre à ma place. Il n’est pas vraiment cinéphile. Moi, je le suis mais pas seulement parce que j’aime le cinéma. Non, je le suis aussi parce que je cherche toujours une jonction entre le cinéma et la réalité. Et cette jonction, en tout cas pour ce que j’essaie d’écrire depuis quelques mois, c’est « I comme Italia » qui l’assure, qui le permet bien que mentalement et silencieusement cela remonte à loin…
Lamine Bey Chikhi