Signes avant-coureurs

Posté par imsat le 15 avril 2010

Je songe à nouveau aux Demoiselles de Wilko d’Andrzej Wajda. J’aimerais parler de Christine Pascal, l’une des interprètes du film. Il m’arrive de penser à elle, à son destin tragique, aux circonstances dans lesquelles elle mit fin à ses jours en Août 1996. J’ai vu nombre de ses films; j’ai toujours trouvé l’actrice mélancolique, fragile, atypique. Je ne saurais dire pourquoi son souvenir, plus que d’autres évocations comparables, m’incite à m’interroger sur l’incapacité de l’homme à anticiper des événements dommageables, à repérer les signes avant-coureurs de l’irréparable, les traits saillants d’une évolution critique. Le suicide fait précisément partie de ces situations.

Dans le regard de l’actrice, dans sa façon de jouer, dans les rôles qu’on lui attribuait en général, j’ai souvent cru déceler de la détresse, un mal-être, une tristesse, bref un faisceau d’indices censés jeter quelque lumière sur les zones d’ombre de la personne.

Mais comment percevoir opportunément le processus de préparation de l’injustifiable décision de passer de vie à trépas et, finalement d’une certaine manière (en référence au cas de Christine Pascal), déterminer le niveau de correspondance entre les personnages qu’un comédien campe au cinéma et ce qu’il est dans la vraie vie?

Lamine Bey Chikhi

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Pour mémoire (année 1959)

Posté par imsat le 13 avril 2010

Je savais que mon père aimait parler de politique; il le faisait surtout avec dada Smain et maître Chérif Sisbane. J’ignorais cependant qu’il avait tenté de s’engager concrètement sur ce terrain. Je l’ai appris dernièrement quand j’ai souhaité en savoir un peu plus sur le différend qui l’avait opposé à Verdès, chirurgien de son état.

Selon B, la querelle avec Verdès avait un rapport avec le fait que mon père était encouragé par certains de ses amis à se présenter aux municipales d’Avril 1959. Verdès également candidat, mais dans un camp opposé, pressentait, pour nombre de raisons, que mon père avait toutes les chances de le battre aux élections; il le prit à partie, d’où la bagarre. Des gens s’interposèrent. On conseilla à mon père d’assigner Verdès en justice. Entre-temps, ce dernier présenta ses excuses et tout rentra dans l’ordre.

B soutient que cette dispute ne présentait pas de connexité avec les circonstances dans lesquelles un véhicule avait (délibérément ?) percuté mon père peu de temps après l’incident avec Verdès. Les supputations autour des corrélations plausibles entre ces situations ne reposaient sur aucun indice matériel probant, hormis celui lié à la fuite du chauffard.

Cela dit, le choc provoqué par l’accident n’a t-il pas vulnérabilisé mon père et déterminé quelque part la suite de son parcours ?   Je me le demande.

Lamine Bey Chikhi 

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La photo retrouvée

Posté par imsat le 10 avril 2010

Lorsque j’ai dit à Mà que son frère, oncle Mahieddine, allait bientôt m’envoyer une photo de leur mère, elle m’a répondu: « ah, c’est bien, c’est même formidable, ça me permettra de voir comment elle était, je ne l’ai pas connue ». J’ai senti dans la formulation de cette phrase une réelle émotion et une joie presque enfantine. On aurait dit que Mà était en attente de cette nouvelle, de ce signe depuis longtemps et qu’elle n’avait jamais fait l’impasse sur la possibilité de retrouver un jour quelque trace même formelle, visuelle, de sa mère. En même temps, cette réaction m’a conforté dans l’idée que je me faisais de la photo en général, de sa place dans l’identification et la reconstitution des repères, dans leur décodage.

La photo n’est pas qu’un vecteur à remonter le temps, un miroir qui incite à regarder en arrière, à se  retourner pour se souvenir. C’est plus que cela. Celle exhumée par mon oncle permettrait à Mà de découvrir enfin le visage de celle qui l’a mise au monde : un visage qu’elle n’a pu mémoriser puisqu’elle a perdu sa mère alors qu’elle n’avait que 2 ans.

Comment vit-on quand on n’a pas connu sa mère? Où Mà a t-elle trouvé ce qu’il lui fallait mentalement, psychologiquement pour compenser ce qu’elle n’a pas eu de sa mère, pour évoluer harmonieusement dans la vie ?

Je sais bien (elle me l’a dit) qu’elle n’a manqué de rien matériellement, qu’elle était très entourée et qu’elle a bénéficié des enseignements moraux et culturels les plus pertinents d’abord de son père, cadi successivement à Ain Oulmène (ex Colbert) et à Oued Zenati, puis, après le décès de celui-ci, auprès de son oncle sidi H’ssen Boulahbel muphti de Bougie dans les années 1930 (son nom figure dans le livre d’or de l’Algérie, année 1937).

Cette histoire de photo retrouvée m’a conduit à d’autres questionnements sur les ressorts dont dispose l’être humain pour surmonter des absences majeures, en particulier celles qui ont pu affecter sa prime enfance; elle m’a aussi permis d’enrichir ma réflexion sur les succédanés de nature à répondre à certains manques.

La photo est précisément l’un de ces substituts en ce qu’elle suggère de chercher ce qu’il y a derrière, de projeter le regard au-delà de ce qu’elle donne à voir a priori. La photo est donc porteuse d’une dynamique qui crée par une espèce d’effet placebo l’illusion du rattrapage, comble artificiellement mais utilement un vide, remplit des cases.

Lamine Bey Chikhi

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Ersatz

Posté par imsat le 6 avril 2010

Bien des choses simples favorisent la réflexion dans la sérénité. La dégustation du café de l’après-midi, dans la cuisine, en fait partie. Il en est de même des moments de soulagement dans le sillage de la levée de contraintes généralement considérées comme tout à fait ordinaires ou insignifiantes.

Je perçois les circonstances qui concourent à cette méditation comme autant d’instants de bien être. Je ne crois pas être superficiel en le disant, en le vivant. Au demeurant, c’est un peu sur la même trajectoire que je positionne le plaisir que me procure l’évocation du passé. C’est vrai que c’est une autre démarche, je veux dire que la restitution des souvenirs n’est pas toujours ni forcément accompagnée d’une prise de conscience tandis que ce que je dis de certains moments du présent est fondé sur la conscience que j’en ai.

Hier, alors que je m’apprêtais à sortir de la maison, MA m’a demandé d’acheter quelques brajs pour fêter l’arrivée du printemps; on en trouve aujourd’hui dans le commerce; d’ailleurs, tout ce qui se faisait jadis à domicile, se vend désormais à l’extérieur.

Chez mon boulanger-pâtissier du quartier Meissonnier, j’ai acheté une galette bien chaude mais j’ai renoncé à prendre des brajs; je me suis contenté d’en observer la forme, le contenu, la texture; je n’y ai pas retrouvé ceux des brajs de mon enfance; je me suis mis à songer au contexte actuel en essayant vainement de lui trouver des points communs avec celui des années 60.

J’aurais pu acheter trois ou quatre brajs comme me l’a suggéré MA, juste pour voir si on faisait bien les choses ici (à Alger) et maintenant (avril 2010), juste pour goûter. Je ne l’ai pas fait; je suis resté rivé sur la comparaison; les images du passé ont pris le dessus; pour tout dire, j’avais décidé d’avance que les pâtisseries exposées (brajs, erfiss…) ne valaient pas celles d’autrefois et qu’il était impossible de renouer, à travers leurs ersatz, avec les saveurs d’antan.

Lamine Bey Chikhi

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Sisseglingou

Posté par imsat le 3 avril 2010

« Excellence, la rue Latrol où je réside préfigure, à l’échelle microcosmique, le dépérissement irrémédiable, la dislocation inexorable de la ville et, par extrapolation, du pays… »

C’est ainsi que Sisseglingou a introduit son dernier courrier au Président de la République. Au reste, ce n’est pas la première fois qu’il écrit au chef de l’Etat. Quand il parle à ses proches de ses requêtes, on ne le prend pas au sérieux ou alors on lui signifie que jamais ce type de correspondance  ne parvient à destination.

« Tu perds ton temps » lui dit-on aussi quelquefois. Cela ne le dissuade pas pour autant de poursuivre une démarche qui ne lui coûte rien financièrement puisque lorsqu’on écrit au Président, l’envoi est gratuit. A la poste, on a fini par le connaître depuis le temps qu’il écrit au Président. Sisseglingou écrit aussi à d’autres institutions, une à deux fois par mois. « Pour les faire bouger » pense t-il. Il sait pourtant que la machine administrative est complètement rouillée, obsolète, frappée d’inertie, que personne ne fait vraiment son travail, qu’un peu partout dans le pays les gens sont payés à ne rien faire, grâce à l’argent du pétrole.

Il a tout de même fini par trouver un fondement à ses lettres : il considère en effet que si parmi les personnes susceptibles d’en prendre connaissance, il devait y en avoir une seule que cela intéresserait, ne serait-ce que par curiosité, eh bien, il atteindrait son objectif. Le message finirait par passer au moins visuellement, les idées se propageraient. Ce serait le début d’un processus. Il légitime de la sorte sa propension à vouloir écrire à tout prix. D’ailleurs, que ferait-il s’il devait cesser d’écrire ? Parfois il se le demande.

Pour l’heure, ce qui l’inquiète le plus lorsqu’il affronte la rue Latrol, les yeux dans les yeux, chaque matin, c’est que tout se déglingue. Depuis deux ans, la rue est devenue un véritable capharnaüm. En plus, des jeunes  autoproclamés gardiens de parkings ont carrément détourné le sens de la circulation, bloqué l’accès à l’impasse, mis en place un système de stationnement qui a complètement asphyxié la rue. Ce diktat générateur de nuisances de toutes sortes l’irrite au plus haut point. La situation ne fait qu’empirer; il le constate au quotidien; il sait que les autorités laissent faire à cause du chômage et de leur incapacité avérée à le juguler.

Beaucoup ici disent que les jeunes qui squattent les lieux comme ils l’entendent n’ont pas d’autre choix; si on les embête trop, ils prennent le large (on les appelle les harraga, les brûleurs de frontières) ou alors le maquis où ils iraient grossir les rangs des groupes terroristes encore en activité.

Il lui arrive d’en discuter avec A, M, ou F mais il n’est jamais d’accord avec eux sur le diagnostic du mal ni sur les remèdes éventuels. Et puis, il est convaincu que la conceptualisation ne peut rien face aux phénomènes de masse; elle les explique sans plus.

La rue Latrol, c’est comme une enclave, mais ce n’est pas la seule; partout ailleurs dans le pays c’est la même chose. Chaque rue de chaque ville est devenue un territoire que des jeunes exclus de tout se sont appropriés, une zone de non-droit généralement cernée d’immondices, hideuse comme les immeubles environnants. Les riverains participent  à la déliquescence qu’ils ne se privent pas de critiquer par ailleurs. La semaine dernière, l’un d’entre eux s’est débarrassé de sa vieille baignoire en la déposant sur le trottoir d’en face. Elle y est encore. De telles pratiques ne sont pas exceptionnelles.

« Il faut se faire une raison » conseille t-on  à Sisseglingou dans son entourage quand il s’insurge à sa façon contre cette descente aux enfers. Mais qu’est-ce que se faire une raison lorsque, de toute évidence, cela équivaut à une résignation devant ce qu’il considère comme un compromis dévastateur impliquant les populations et ceux que certains appellent encore les élites?

Sisseglingou se sent piégé, écrasé par ce « pacte » régressif qui a néantisé les valeurs d’autrefois, celles auxquelles seuls quelques rêveurs irréductibles, comme lui, essaient encore de tenir.

Rue Latrol, tous les après-midi, dès 14h, entre des bennes à ordures pleines à craquer et les camionnettes poussiéreuses des vendeurs ambulants, les enfants de l’ex cité U (cette bâtisse dont le mode de gestion a déteint sur le quartier, le transformant peu à peu en une espèce de favela), jouent au ballon bruyamment. La plupart de ces gamins ont été exclus du système scolaire; les autres ne vont que rarement à l’école car les enseignants sont souvent en grève ou souffrants.

Sisseglingou se souvient du jour où K lui demanda d’expliquer à François, son copain de Lille qu’il avait invité à venir passer quelques jours, comment la situation dans laquelle se trouvait le quartier faisait partie des stigmates des émeutes d’octobre 1988. C’était difficile à soutenir d’autant que François était venu deux ans après, c’est-à-dire après un laps de temps censé avoir effacé toute trace des dégâts liés aux événements. Mais du fait de l’insistance de K qui voulait absolument faire bonne figure devant son camarade, Sisseglingou défendit cette thèse avec force arguments. C’était quelques mois avant la grève insurrectionnelle de  juin 1991, avant le début de la fin…

Lamine Bey Chikhi

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La femme voilée

Posté par imsat le 28 mars 2010

Il n’a jamais su qui elle était. Il la croisait tous les matins entre 7h30 et 8h; elle entrait à l’école maternelle par la porte de service; elle y faisait des ménages; en tout cas, il le supposait. Elle avait des yeux clairs.

Qui était cette femme élancée à qui la mlaya (voile noir) allait à merveille ? Il sortait de la maison toujours à la même heure juste pour l’apercevoir. Cela avait duré toute l’année 1964. L’année d’après, plus rien, plus de femme voilée; elle s’était volatilisée.

Il avait bien essayé de la retrouver en allant faire la queue certains samedis devant les guichets de la mairie où beaucoup de femmes également voilées et dégageant une odeur de parfum élémentaire allaient retirer des pièces d’état civil. Mais celle qu’il cherchait restait introuvable.

Il en fit le personnage central d’une de ses nouvelles. C’était en 1988. Il avait indiqué à Ouzif que ce qu’il voulait dire par parfum élémentaire, c’était simplement parfum bon marché même si, au fond, il pensait à plus que cela en lui en parlant. Il se souvient de lui avoir demandé s’il préférait qu’il mette parfum élémentaire plutôt que parfum bon marché dans sa nouvelle. En essayant d’être plus explicite à cet égard, il se rendait compte qu’il lui décrivait avec moult détails les femmes qu’il allait voir à la mairie, lui précisant par là même qu’il le faisait pour combler d’une certaine manière l’absence de celle qu’il ne rencontrait plus rue du Soleil et se maintenir au contact de ce qui pouvait lui redonner quelque espoir de la revoir. En même temps, il savait qu’il était dans l’illusion et que tout ce qui la concernait devait passer par la mémoire dès lors qu’elle n’était plus là.

Il y avait dans le parfum des femmes en question quelque chose de particulier, un mélange de subtilité, de distinction et de discrétion à la fois.

Avec Ouzif, il avait longuement épilogué autour de cette mixture qui conférait un charme supplémentaire aux femmes voilées; il complétait ses commentaires par d’autres détails parmi ceux qui n’étaient pas cachés : cela pouvait être une bague, elle aussi bon marché, des bracelets, une mèche de cheveux, une main ajustant la voilette…

Lamine Bey Chikhi

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L’accident (printemps 1963)

Posté par imsat le 24 mars 2010

La veille de notre retour à Batna, nous avions vu Divorce à l’italienne au studio cinéma de l’Aletti. Nous étions à Alger depuis trois jours; nous avions pris des chambres à l’hôtel Victoria, non loin du palais de justice. Un hôtel modeste mais pourvu des commodités essentielles. Nous avions engrangé pas mal d’images d’Alger. Il m’en reste deux ou trois, notamment la photo prise au CHU Mustapha où j’étais allé subir une visite de contrôle. Nous avions également pris des poses le long du trajet Alger-Sétif, en particulier dans les gorges de Kherrata où nous nous étions arrêtés pour voir les singes.

Le temps était splendide. Nous roulions à vitesse moyenne. Tout était vert alentour, nous étions seuls sur la route; ma tante était de bonne humeur, dada Rabah interférait par moments dans la conversation qu’elle avait avec Aicha. Il le faisait moins pour y participer vraiment que pour les taquiner toutes les deux. Il était joyeux.

Nous n’étions plus très loin d’El Eulma (ex Saint-Arnaud). Soudain et alors qu’il prenait la bouteille d’eau que ma tante lui tendait, dada Rabah s’aperçut qu’il perdait le contrôle du véhicule : dérapage, deux ou trois tonneaux, quelques cris…

Le choc !

Tout ou presque est encore dans ma tête : une mare de sang à l’endroit où se trouvait ma tante, le silence abyssal de la campagne, notre immense solitude face à cette lourde traction Citroën renversée, dada Rabah implorant l’aide de dieu dans un arabe décousu, prononçant des mots que je ne comprenais pas (hormis celui d’Allah), essayant vainement de redresser le véhicule… j’étais prostré, inerte; Aicha et Chérifa étaient elles aussi figées dans leur stupeur.   

Immobilité du temps. Je vivais le drame sans pour autant en prendre toute la mesure. Ebranlement intérieur, sourd…

Au bout d’une heure, deux ou trois personnes sorties de nulle part accourent vers nous; quelques instants plus tard, une camionnette de marque Peugeot arrive sur les lieux suivie d’une ambulance. Ensuite, direction hôpital d’El Eulma où Djamel et MA (ma mère) venus de Batna, nous rejoignent en début de soirée.

Tata Lola avait rendu l’âme. Elle avait 28 ans. Lorsqu’il nous arrive de parler d’elle, c’est souvent pour dire qu’elle était belle et généreuse, qu’elle aimait la vie…

Lamine Bey Chikhi 

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Soliloques

Posté par imsat le 20 mars 2010

Lorsque, dans certaines circonstances, on s’exprime sans prendre de gants, on le fait en général maladroitement, ce qui génère un malaise, une susceptibilité, une incompréhension. L’autre jour, quelqu’un m’a parlé de fardeau en rapport avec certaines disparitions. Sur le coup, je n’ai pas prêté attention à l’indélicatesse du propos. Je n’y ai songé qu’en rentrant chez moi, en fin d’après-midi. J’ai essayé de comprendre. Un moment, j’ai pensé qu’on ne faisait preuve au fond d’aucune originalité en parlant de la sorte et que la plupart des gens réagiraient de la même façon dans un contexte similaire. Ensuite, je me suis demandé si en l’occurrence on ne faisait que dire une vérité, une évidence. En moi-même, je donnais souvent raison à ceux qui faisaient ce constat froidement mais je ne voulais pas qu’ils le disent ou plutôt je refusais de les entendre l’exprimer. En somme, j’étais pour que la chose (la contrainte que représente pour son entourage immédiat un être se trouvant à l’article de la mort) puisse être pensée mais pas dite.

Un de mes cousins s’était lui aussi exprimé crûment lors des funérailles en 2007 de Djeff; il m’avait dit : « c’est mieux ainsi, pour lui et pour sa famille ».  Cet avis formulé sans états d’âme m’avait un peu choqué même si je savais que Djeff était dans un processus irréversible.

S à qui j’en ai parlé dernièrement m’a dit cautionner ces sentences post mortem, ajoutant que ce type de formule était consacré dans toutes les sociétés.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » . Cet aphorisme de Camus prend tout son sens, toute son importance par rapport au sujet que je soulève. Je le comprends comme une exhortation à ne rien dire si on ne sait pas dire.

Pendant longtemps, je me suis demandé si mon refus d’abonder dans le sens de ceux qui ne font pas dans la nuance n’était pas dû à la peur que je pouvais avoir de l’événement relaté. Je reste indécis sur ce point. En revanche, je suis sûr d’une chose : je ne perçois plus les citations d’auteurs comme je le faisais en terminale ou à l’université. Autrefois, elles me permettaient, comme à bien d’autres camarades, de frimer, de conforter un argument, d’épater;  je m’abstenais d’en approfondir la signification, la portée; je ne savais pas qu’elles pouvaient aussi déstabiliser, susciter la crainte, créer un stress, donner à réfléchir non pas seulement théoriquement mais concrètement, dans le faits, au présent, faire prendre conscience du réel, de la fragilité de l’homme.

Lamine Bey Chikhi

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Ecole Jules Ferry (1961-1962)

Posté par imsat le 17 mars 2010

Qu’elle soit ponctuelle ou systématique, qu’elle résulte d’un effort de volonté ou qu’elle soit spontanée, l’évocation de l’enfance ne renvoie pas seulement à des images gaies, joyeuses. Elle s’adosse aussi à des moments plus ou moins désagréables.

En le disant, je pense notamment aux coups que le directeur de l’école, monsieur Arouas, m’a donnés sur les doigts à l’aide d’une règle en fer parce que j’avais importuné, sans raison particulière je le confesse, mon camarade de classe Martin en tapant du pied la chaise sur laquelle il était assis.

J’avais d’abord opposé une résistance quasi héroïque face à cette règle qui me faisait d’autant plus mal que mes mains souffraient déjà terriblement du rigoureux hiver batnéen, avant de céder au 7ème coup et de commencer à verser quelques larmes. Monsieur A n’attendait que cela pour mettre un terme à mon calvaire.

Après quoi, il crut devoir me consoler en me tenant des propos quelque peu équivoques sur le courage des kabyles ( ???) et subséquemment sur le mien.

Il prit peur; enfin, c’était mon impression; peur que j’en parle autour de moi, à mes parents (il savait que mon père était décédé), à mes oncles ou aux autres Chikhi à l’époque fort nombreux à Batna.

Mais personne dans la famille n’a jamais rien su de la punition disproportionnée qu’il m’avait infligée ni de son appréciation ambiguë et implicitement discriminatoire de la diversité ethnique algérienne.

Lamine Bey Chikhi

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Jours de fête

Posté par imsat le 14 mars 2010

Nombre de mes souvenirs retentissants sont liés à des jours de chaleur, aux moments chatoyants de certaines saisons. Je ne songe pas exclusivement au printemps ou à l’été, bien que les images visées s’y concentrent, mais à des périodes intercalaires, porteuses d’espérances par quelques-uns de leurs signes. Ainsi, en plein hiver, des éclaircies ont pu s’insérer dans ce que ma mémoire a enregistré de façon indélébile.

Toutes les saisons donnent à méditer sur le bonheur, sur ce qui pourrait le sublimer ou, au contraire, le relativiser, mais jamais uniformément.

Cela dit, il m’arrive de trouver insensé (suis-je dans l’exagération en le soutenant ?) que le temps de la fête puisse être maussade, couvert, gris.  Les jours de fête devraient être programmés de telle sorte qu’ils tombent entre mai et juillet !

Quand, dans cette optique, je pense à l’hiver, c’est inévitablement un certain Aid El Fitr qui émerge, celui, pluvieux, de l’année 1966; j’étais irrité parce qu’il faisait un temps épouvantable, ce qui m’avait dissuadé de sortir et de montrer mes habits neufs. J’étais adolescent mais j’avais conservé de l’enfance quelque envie de paraître, au moins les jours de fête.

Le lendemain, ma frustration s’était estompée mais l’atmosphère n’avait pas vraiment changé, elle était restée glaciale en dépit de l’apparition de quelques rayons de soleil. Ce fut un Aid presque totalement gâché.

Je dis « presque » parce que,  la veille, quelques minutes à peine après leur cuisson chez le boulanger du quartier, j’avais été le premier à goûter aux délicieux makrouds et baklawa de MA.

Lamine Bey Chikhi

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