Anagramme

Posté par imsat le 7 mars 2010

J’ai d’abord évoqué avec Yabb, quoique superficiellement, certains problèmes majeurs de notre pays avant de bifurquer vers des interrogations sur le temps qui passe. Je lui ai parlé d’un texte que je préparais et que je voulais intituler : « parler entre nous ». Il n’en a pas tout de suite saisi le sens. J’ai dû me montrer plus explicite pour qu’il comprenne mon propos. Je lui ai ainsi demandé s’il estimait avoir suffisamment conversé avec D avant que celui-ci ne décède. Il semblait comme soudainement intéressé par la question, par sa nouveauté, son caractère inattendu.

J’avais en face de moi un nomade, un extraverti intégral, un communicant tous azimuts. Cet aspect de sa personnalité m’intéresse, j’aimerais en dire un peu plus un jour. Je n’ai jamais  imaginé Yabb rentrant en lui-même, vivant dans le silence, la solitude, le repli sur soi, l’écoute intérieure.

Je ne lui ai pas livré le fond de ma pensée; j’aurais voulu lui parler de certaines intrusions, de celles précisément qui faussent ou dénaturent une conversation, un moment de partage privilégié. Je me suis gardé de le faire car il aurait cherché à comprendre, et je ne tenais pas à personnaliser les choses ni à céder à la stigmatisation.

Je lui ai dit qu’il devenait difficile de nos jours non pas de débattre ou de convaincre mais de converser dans la sérénité, la détente.

Le téléphone portable de Yabb sonne; Selma, à l’autre bout du fil, lui annonce le décès de tante M. Je me suis rappelé mon rêve de la veille; je l’avais senti annonciateur d’un éloignement, d’une perte. Je n’en ai parlé à personne; au reste, je ne raconte jamais ce genre de rêves, par superstition. Ces dernières années, j’ai la hantise des mauvaises nouvelles.

Après avoir pris congé de Yabb, je me suis demandé si la question que je lui avais posée au sujet de son frère était vraiment utile. Ensuite, je suis allé au cyber non sans m’être interrogé au préalable sur l’opportunité de le faire alors qu’un proche venait de disparaître. J’ai pensé que la vie devait continuer malgré tout, qu’en insérant un texte nostalgique sur mon blog  je restais dans la méditation sur le passé, dans l’hommage mérité aux êtres chers, voire dans une résilience créatrice.

Faut-il à cet égard dire l’essentiel ou se contenter du minimum? Qu’est-ce qui importe le plus ?

Se poser, respirer, s’entendre respirer, peser les mots, les décrypter. Les autres prétendent le faire mais ils donnent l’impression d’être dans la contrariété, la fébrilité la contradiction.

C’est cela que je voulais dire à Yabb ce matin. Je sais que lui-même est dans cette configuration du tout express, dans la mouvance, le mouvement continu, autrement dit dans le contraire de la pause, à l’opposé de cette réflexion qui ne me paraît décisive qu’articulée non pas autour de considérations matérielles mais de ce à côté de quoi on risque de passer d’un point de vue philosophique.

Lamine Bey Chikhi

 

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L’excellence (année 1960)

Posté par imsat le 27 février 2010

Je la regardais souvent faire la cuisine. Ses gestes étaient raffinés, captivants, apaisants. Les mets qu’elle préparait étaient exquis. Au surplus, jamais personne ne laissait de restes après avoir goûté à ses plats (chorba frik, el yahni, erfiss ezziraoui, tajine ezzitoune, chbeh essafra, mloukhia, dholma…).

Au-delà, ce que je percevais, et je le lui ai dit dernièrement, c’était l’assurance qu’elle savait communiquer autour d’elle (y compris à mon père) quand nous recevions à déjeuner des membres de la famille ou des amis.

Je me souviens aussi de la façon élégante que mon  père avait de déplier sa serviette avant de la poser sur ses genoux. Il entamait ainsi un processus de convivialité qui s’annonçait toujours intéressant, avec la certitude que pour le reste, autrement dit pour la qualité, la quantité de nourriture, le service, tout était maîtrisé. Il le savait, il savait que Mà ne dérogerait pas à ce rituel et qu’elle assumerait sa tâche avec le souci de tout faire dans l’excellence. Quant à Mà, je ne l’ai jamais vue contrariée, lassée ou fatiguée par les efforts qu’elle s’imposait à cet effet.

La symbiose qui marquait la préparation du repas et la prise en charge de ce qui allait avec, était totale. Je le voyais; les invités aussi; ils mangeaient d’ailleurs avec appêtit, ne tarissant jamais d’éloges autant sur ce qu’ils dégustaient que sur le bien-être que l’ambiance du moment leur procurait.

Outre cette communion collective, ce qui retenait mon attention, c’étaient les conversations des convives dont je présumais, à partir de l’écoute que les interventions de chacun suscitaient, qu’elles avaient de la consistance, de la profondeur même quand elles portaient sur les choses simples de la vie.

Il y avait aussi de la bonne humeur autour de la table.

Lamine Bey Chikhi

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Apprivoiser l’absence

Posté par imsat le 21 février 2010

MA à qui j’ai fait part de ma crainte de voir mon inspiration se tarir m’a répondu : ” je pense que tu as tout dit, enfin l’essentiel; que pourrais-tu encore raconter ?”. Je ne suis pourtant pas sûr d’avoir fait remonter à la surface tout ce que je voulais, loin s’en faut.

Sur mon père, peut-être ai-je relaté non pas le principal (appréhendable objectivement) mais ce qui m’a le plus marqué chez lui. J’aimerais quand même aller au-delà des premières images, je veux dire au-delà de celles qui émergèrent au moment où se structurait dans ma tête la reconquête du bonheur d’autrefois.

L’évocation dont il s’agit, entamée à travers mes souvenirs les plus singuliers, ne pouvait s’articuler que de manière fragmentée en dépit de l’apparente continuité de la narration et des corrélations qui la fondent. C’est précisément cette fragmentation, hier levier judicieux pour une introspection féconde et salutaire, qui me laisse aujourd’hui sur ma faim. C’est elle aussi qui suscite en moi la tentation (mais rien que la tentation) de fermer la parenthèse sur ce que je sais de mon père via ce que j’ai vécu avec lui, pour aller prospecter ce qui lui appartenait en propre.

Je me suis certes demandé ici même ce que la vraie vie aurait été pour moi s’il n’avait pas disparu prématurément, mais je crois avoir été approximatif dans mes conjectures même si, en arrière-plan, j’avais la vague idée d’en dire un peu plus ultérieurement.

Il me reste à visualiser ce que fut mon père à des époques que le destin ne lui a pas permis de me (de nous) raconter de vive voix. J’aimerais donc imaginer ce que je n’ai pu connaitre de lui.

Comment était mon père dans son enfance, son adolescence, sa jeunesse ?

Comment rêver tout cela à partir de bribes, d’appréciations éparses, parcellaires, peut-être incertaines et brouillées par le temps, que je pourrais recueillir ici et là ?

La méditation générée par  ces questions, comme celle liée aux interrogations précédentes, est censée me permettre de dépasser l’absence de mon père, d’apprivoiser sa disparition, de la déconstruire.

En attendant, lorsqu’il m’arrive de me remémorer l’état dans lequel il était ce soir-là (21 février 1961), juste avant l’appel du muezzin à la prière, quelques minutes avant la rupture du jeûne, c’est une révolte indicible qui me saisit mais que je sais totalement inutile face à l’impossible, à l’irrémédiable. Il n’y a pas de révolte rétroactive.

Lamine Bey Chikhi

 

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Evanescence

Posté par imsat le 16 février 2010

Pour moi, le mot évanescence évoque la fille aux yeux océaniques. Il y avait chez elle quelque chose d’improbable, d’éphémère, de délicat. Je me demande parfois si nous  ne voulions pas nous-mêmes la voir ainsi de façon délibérée, pour diverses raisons, alors que, peut-être, ce qu’elle représentait au fond ne pouvait pas, ne devait pas être réduit à cela.  En tout cas, personnellement, je la regardais par ce biais sans pouvoir cependant définir ce qu’elle m’inspirait au juste.

La batnéenne aussi paraissait, à sa manière, fuyante, insaisissable, mystérieuse.

Entre les deux, entre la tlemcénienne et la fille de ma ville natale, il y avait donc cela en partage, mais il y avait également de leur part une certaine propension à n ‘offrir au regard des autres que des apparences elles-mêmes distanciées, discrètement balisées, incitant les observateurs intéressés à faire l’effort de deviner le reste, de supputer, d’imaginer, de fantasmer…

Lamine Bey Chikhi

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Chikhi Abdallah (Constantine 1962)

Posté par imsat le 2 février 2010

Dada Abdallah nous attendait à l’entrée du garage de la Stab dont il était le cogérant. Il faisait chaud. La chaleur était encore plus intense place de la Brèche où nous nous sommes retrouvés coincés dans un embouteillage qui allait durer près d’une demi-heure. « C’est normal, nous dit dada Abdallah, c’est toujours ainsi à la mi-journée, j’y suis habitué, et puis Constantine c’est une grande ville, ça n’a rien à voir avec Batna ».

Il portait des lunettes de soleil. Il était élégant et distingué. Je l’avais déjà vu deux ou trois fois à Batna. Il avait des traits physiques de type européen. Je crois d’ailleurs que je n’étais pas le seul dans la famille à le penser. J’avais même quelquefois entendu dire autour de moi qu’il était le plus stylé de mes oncles.

Assis à l’arrière de sa 203 bleu-pétrole, je le regardais manoeuvrer comme il pouvait pour sortir rapidement de « l’enfer » de la Brèche. A ce moment-là, ce qui me paraissait caractériser fondamentalement Constantine, c’était une certaine promiscuité. Il est probable que la chaleur ambiante ait contribué à forger ou plutôt à figer ma perception de la ville des ponts, de sorte que, lorsqu’il m’arrive d’y songer, aujourd’hui encore, eh bien, c’est toujours en référence au temps qu’il faisait alors que nous étions bloqués devant le garage Citroën. Je n’allais en tout cas plus jamais appréhender cette ville que sous le prisme de l’enserrement, de l’étroitesse de sa partie centrale.

Je consentis tout de même à mettre entre parenthèses mon impression originelle dès notre arrivée à Bellevue.

Bellevue, enfin ! Le calme retrouvé ! oubliés, provisoirement, le tintamarre, le goulet d’étranglement du centre-ville, la canicule…

Je parvins ainsi à dissocier du cadre spatial de la cité d’autres images, d’autres sensations : ambiance détendue dans l’appartement, rafraîchissements, déjeuner, échange de propos aimables et de sourires avec Mady, Nanou et Lydia. Atmosphère tout aussi légère le reste de la journée.

Tata Raymonde me paraissait avoir bien des affinités avec Beida qui venait d’obtenir son baccalauréat; elle la considérait comme une grande personne, montrant à son égard une réelle réceptivité.

Je me rappelle aussi avoir dormi dans la salle de séjour. On avait laissé la lampe du couloir allumée; on l’avait fait pour moi, pour me permettre de tomber paisiblement dans les bras de Morphée.

Retour à Batna le lendemain en fin d’après-midi après un crochet par l’hôpital pour une visite médicale. Dans le car de la Stab, je songeais notamment au stade Turpin sur lequel on avait une vue imprenable depuis le balcon de l’appartement de mon oncle.

Hier 5 novembre 1998, après une journée de travail ordinaire, j’ai pensé à dada Abdallah. La veille, une chaîne de télé française avait diffusé un reportage sur un artisan qui continuait de fabriquer de la limonade à l’ancienne, réussissant même à la commercialiser aux Etats-Unis. La bouteille avait un bouchon en porcelaine. Je connaissais cette boisson succulente, j’en avais déjà bu; la première fois, c’était justement à Constantine en 1962. Elle fait donc pleinement partie de mes réminiscences gustatives.

Lamine Bey Chikhi

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Le souvenir, objet de rêve

Posté par imsat le 20 janvier 2010

La photo montrant MA en compagnie de Mme B dans le salon de notre villa en 1959, fait partie de celles qui évoquent un bonheur tranquille et une douceur de vivre que je veux conserver comme tels dans ma mémoire.  La charge émotionnelle de cette image et de toutes celles qui lui ressemblent reste une et indivisible; elle est aussi autonome; elle ne saurait donc être relativisée par des souvenirs concurrents.

Je veux également dire ici que si les photos ne me laissent jamais indifférent, c’est parce qu’elles sont le réceptacle indélébile de visages, sourires, regards, tenues vestimentaires, gestes furtifs, poses travaillées ou spontanées, postures mises en scènes, poses prises par surprise, expressions étonnées, regards profonds, yeux clairs ou noirs, yeux noisette, élans, méditations…

Vouloir se souvenir par ce truchement, c’est tenter de reconstituer mentalement ce qui fut mais qui n’est plus en réalité. L’impossibilité de revivre concrètement le passé fait du souvenir un objet de rêve, entretient le rêve au présent, quels qu’en soient la forme et le vecteur.

Lamine Bey Chikhi

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Le passé, c’est d’abord mon père

Posté par imsat le 17 janvier 2010

Pour moi, le passé c’est presque toujours et avant tout mon père. C’est lui qui apparaît en premier, c’est son image qui surgit de diverses façons : le sourire, la carrure, de nouveau le sourire, certains de ses vêtements, sa jolie veste d’hiver, son manteau, sa chevalière, et puis le reste…

Le reste, c’était sa façon de marcher, celle de tous les jours naturellement, mais aussi celle qu’il avait un jour, en revenant de Constantine. Cet après-midi là, sa démarche me parut inhabituelle, laborieuse; j’avais mis cela sur le compte du voyage; je crois, si ma mémoire est bonne, que c’était deux mois avant le ramadhan 1961, donc peu avant sa disparition. 

Je songe également aux moments passés avec lui : j’en ai parlé dans nombre de mes textes; ce n’est pas suffisant; de toute manière, ils remontent périodiquement à la surface. Je revois aussi mon père dans sa rigueur, celle dont il faisait preuve dans la gestion de ses affaires courantes. Il agissait avec une régularité de métronome, c’était saillant.

Sur le plan relationnel, il était convivial, c’était une constante chez lui; dans son bureau de la rue Saint Germain, je le vis maintes fois commander une limonade ou un café pour les  clients qu’il recevait et avec lesquels il conversait chaleureusement.

Lamine Bey Chikhi

 

PS: Pour Mady, les termes du message du 16 janvier (renvoyant au texte sur Nanna) ont retenu toute mon attention. Merci.

 

 

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Un automne finissant (1962-1963)

Posté par imsat le 14 janvier 2010

Ma première école coranique (du moins ce qui en tenait lieu) se trouvait au premier étage de la boulangerie du quartier Beauséjour, en face de la maison de dada Smain. Je la fréquentai assidûment, certes, mais cela ne dura pas longtemps. Trois mois, guère plus. Nous n’étions pas nombreux à assister aux leçons (eddourouss). Notre maître, un cousin du boulanger, prenait sa tâche très au sérieux; il n’avait rien à voir avec mon décrochage prématuré de l’école. Il y avait un problème d’ambiance, d’environnement. Il manquait en tout cas quelque chose, peut-être des couleurs, à cet endroit impersonnel et aux murs tristes et vides. Le sol de la chambre qui nous servait de salle de cours et sur lequel nous nous asseyions en tailleur était glacial. Le ciel que j’observais par moments d’une fenêtre sans persiennes était constamment gris. Cette fenêtre, c’était la seule perspective, le seul angle de vue qui me donnait l’impression de rompre un peu avec l’automaticité et la redondance particulières du cycle lecture-récitation de sourates. Une odeur de pain frais nous parvenait parfois du rez-de-chaussée, mais cela ne suffisait pas à atténuer l’inconfort de notre position. J’associe souvent les images liées à cette période précise à celles d’un automne finissant et morose. Ma perception est donc  d’abord visuelle mais la sensation physique correspondante vient aussitôt en accentuer d’une certaine manière le côté mélancolique.

Ma seconde « école » coranique (hébergée dans le garage Madani) était située à 50 mètres de la maison. Nous étions près d’une quinzaine d’élèves à suivre l’enseignement de Si El Ouanès. Parfois, nous faisions les pitres, enfin quelques uns d’entre nous, ce qui incitait le maître à nous infliger la falaqa (coups de bâton sur la plante des pieds).

En définitive, ce qui devait être mon apprentissage du Coran ne dura pas plus d’une année.

Quant à mon expérience de la médersa, elle fut expéditive. Le jour de la rentrée, le professeur décida de procéder à l’évaluation de notre niveau en langue arabe. Il me fit passer au tableau; j’étais le premier à subir le test. « Pourquoi moi ? » me demandai-je, extrêmement contrarié par ce coup du sort.  Le maître me dicta une phrase que je fus incapable d’écrire correctement;  il m’invita à regagner ma place, sans commentaire;  je me sentis diminué, mal dans ma peau. Je ne remis plus jamais les pieds à la médersa. Quels arguments avais-je présentés à mes proches pour les convaincre de l’impossibilité pour moi de poursuivre les cours ? Je ne m’en souviens plus. C’était juste après l’indépendance.

Je renouai avec la lecture du Coran, en juin 1982, au lendemain de la victoire de notre équipe nationale de football contre l’Allemagne en coupe du monde.

Lamine Bey Chikhi

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Dans la lueur de ses yeux

Posté par imsat le 9 janvier 2010

Fin Août 1960, retour de Quérigut où Ferid et moi venions de passer tout un mois dans un centre de colonie de vacances.

J’étais heureux de revoir les miens. J’étais aussi dans mon élément parce qu’il restait encore deux semaines entières avant la rentrée scolaire.

Mon père avait chargé mon cousin Mouloud, venu de Bougie passer quelques jours à Batna, de nous accompagner à la maison. Mouloud me dit que j’avais pris de l’embonpoint; sa remarque me sembla exagérée; je crois qu’il voulait simplement dire quelque chose pour nous souhaiter la bienvenue; je déduisis quand même de son observation que mon séjour dans les Pyrénées orientales avait été globalement bénéfique.

Quant à mon père, il me paraissait surtout rassuré de nous voir rentrés à bon port; il nous embrassa puis il réintégra son bureau. Un camion de la Sian (Société industrielle de l’Afrique du Nord) était stationné devant l’agence commerciale; H’ssen déchargeait des futs d’huile dans le couloir du dépôt.

Il devait être 14h30 et il faisait très chaud. Il y avait comme une odeur d’essence dans l’air. Sous l’effet de la canicule, l’asphalte s’était ramolli à certains endroits de la rue Saint Germain.

Mon père, disais-je, était souriant et surtout rasséréné. Il contrôlait parfaitement ses émotions. Je le constatai précisément à ma descente de l’autocar de la Stab (Société des transports automobiles batnéens); son accueil était circonspect, sobre. Cela ne m’étonna guère.

Finalement, chez lui, beaucoup de choses passaient par le regard, une économie de mots, un choix des mots essentiels, des non-dits, le primat de l’action, l’élimination du superflu…

Cet après-midi là, il s’était contenté de demander à Mouloud de nous conduire à la maison. Son bonheur de nous voir rentrés de vacances en bonne santé était tout entier contenu dans cette lueur particulière qu’il avait dans les yeux et que je perçus quelques secondes durant. Je compris à nouveau que c’était sa façon à lui d’exprimer ce qu’il éprouvait pour nous.

A peine remis de la fatigue du voyage et à la demande de MA, j’allai rendre visite à Nanna. J’étais ravi de le faire mais je l’étais aussi parce que je portais les vêtements neufs que j’avais achetés à Quérigut.

Lamine Bey Chikhi

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On ne guérit pas de son enfance

Posté par imsat le 2 janvier 2010

Les époques sur lesquelles la focalisation me semble incontournable font partie de celles qui illuminent tout ce sur quoi le regard se pose. Elles suscitent l’émerveillement et donnent à l’enfance ses couleurs, ses lumières.

Chacun sait que les mots sont associés à des idées, à des pensées qui en prolongent le sens, le démultiplient, le photographient dans ses ramifications diverses et variées.

Lorsque je dis « illuminer », ce qui émerge des profondeurs de ma mémoire, ce sont les couleurs bariolées des chemisettes portées par des estivants joyeux attablés sur les terrasses effervescentes du cours Bertagna, à Bône, un soir de juillet 1961. C’est d’abord de cela que je me souviens à la moindre évocation de la ville. Je n’y peux rien !

Aujourd’hui  (Alger, 2 janvier 2010), les souvenirs se bousculent dans ma tête, mais je n’éprouve pas l’envie ni le besoin de les ordonner. J’ai pu le faire par moments parce qu’il y avait à la fois une motivation, un plaisir et, sans doute aussi, une urgence à en relater les plus poignants dans un ordre relativement chronologique. Je ne sais d’ailleurs pas si le mot poignant est approprié; je crois même qu’il ne renseigne pas complètement sur ce que je veux dire de la typologie des souvenirs. En revanche, je peux dire qu’il m’a été assez facile de rassembler puis de restituer à peu-près comme je le souhaitais les images liées à ce que j’ai retenu de mon père et d’autres membres de la famille.

Je perçois souvent les nombreux souvenirs qui défilent devant moi comme on percevrait un générique de film. Certains d’entre eux captent mon attention parce qu’ils apparaissent clairement, d’autres passent inaperçus parce que la mémoire décide pour ainsi dire de les élaguer.

Les séances hebdomadaires de cinéma à l’école Jules Ferry (Batna 1959-1962) font partie de la première catégorie de souvenirs. J’y pense en ce moment mais sans états d’âme. Je me demande quand même si, dans le substrat de ma « culture » cinématographique, certains éléments ne réfèrent pas indirectement aux films (Laurel et Hardy, Charlie Chaplin…), qu’on nous projetait sous le préau de l’école. Rires collectifs, obscurité suggestive du lieu, plaisir ineffable des sens, magie du cinéma…

Comment, dans ce rappel, ne pas se souvenir du chant du coq qui annonçait les actualités de l’époque ?

Les filles du quartier Beauséjour (Batna, 1963-1965) : je pense en particulier à celles dont on disait qu’elles étaient modernes; il y avait Naziha, Nafissa, Rachida, Salima ainsi que la soeur, longiligne, du gars aux cheveux gominés et au regard sombre, et qu’on surnommait Tarzan. Il y avait aussi Zozo qui passait parfois non loin de la villa. Elles étaient toutes sympathiques et charmantes. Elles s’habillaient à la mode et faisaient l’événement rien qu’en allant faire leurs courses chez l’épicier du quartier. On commentait leur physique, on s’étonnait de leur façon de marcher, détendue et déterminée en toutes circonstances. C’était peu après l’indépendance.

Avant l’indépendance (Batna 1960-1961), le spectacle était différent: je regardais de jeunes françaises danser sur leurs patins à roulettes; je les voyais venir, zigzaguant gracieusement jusqu’à la préfecture puis revenant avec le même entrain, les mêmes éclats de rire. Faiza, aussi, chaussait souvent ses patins à roulettes. Elle se souvient surtout de l’avoir fait le 19 mars 1962 (cessez-le-feu) lors d’une course improvisée qu’elle remporta face à une de ses concurrentes françaises. Le policier en faction à l’entrée de la préfecture la complimenta; c’était un algérien.

L’indépendance (Batna, 5 juillet 1962) : déambulations sur les allées Bocca toute la journée et une partie de la nuit avec Zakia et Faïza. Musiques et chants patriotiques diffusés via de puissants hauts parleurs, embouteillages, concert de klaxons, flots ininterrompus de promeneurs venus de tous les coins de la ville.  Même ma mère et Ma Zohra étaient sorties, oubliant de fermer la porte de la maison.  Vers 20 h, je fis une incursion dans le quartier.  Le désert !  Ils étaient tous en ville. Je retournai aux Allées.  Zakia tenait à savoir combien d’hommes la regardaient; elle se mit à compter les regards qu’elle parvenait à accrocher. Elle me disait que c’était un jeu et que ça l’amusait. Faiza prenait des photos. Je portais des mocassins marron; j’étais soucieux de ne pas en abimer la semelle de crêpe; je m’arrêtais par moments pour m’assurer que leur état était toujours intact. Je n’étais pas tout à fait conscient de l’indépendance ni de ce qu’elle représentait; j’étais loin de comprendre ce qu’elle symbolisait. Pour tout dire, dans l’ambiance du moment,  je ne me rendais pas compte que j’entrais dans une ère qui allait finir par effacer la réalité de la veille et en transformer profondément bien des sensations qu’elle avait suscitées en moi des années durant.

L’euphorie des autres, la liesse populaire, la foule, le bruit, tout cela était transcendant. Ma tête était vide. Ce jour-là, pour moi, Jean-Paul, Joseph et Patrick n’existaient pas. On aurait même dit qu’ils n’avaient jamais existé. Où étaient-ils, à quoi pensaient-ils ?

Lamine Bey Chikhi

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