Osmose (Batna 1983)

Posté par imsat le 14 novembre 2009

Le ciel était intégralement bleu.

Sereine et rayonnante, un foulard marron-clair sur la tête, elle se recueillait devant la tombe de mon père. Je ne pensais pas à lui à ce moment-là, je prêtais plutôt attention au silence des lieux tout en la regardant psalmodier des versets du Coran.

Je la sentais bien dans sa peau; j’étais heureux de la voir ainsi; sa méditation était apaisante; une sorte de pureté émanait de son visage; cela lui conférait comme une prééminence sur ce qui nous environnait; elle semblait trôner sur tout le reste. L’impression que j’en avais alors dura peut-être une demi-heure, mais je crois aujourd’hui que tout était intemporel.

Elle était belle.

Autour des sépultures voisines, quelques femmes voilées conversaient à voix basse; c’était une ambiance reposante en dépit de ce que je percevais comme des clameurs provenant de la périphérie de la ville.

C’était une tranche horaire où la lumière du jour était excellente.

Les éléments étaient en osmose. Je le ressentis dans mon corps.

Lamine Bey Chikhi

 

 

PS : Merci à Francine pour ses encouragements et pour la justesse de son propos.

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Une inconnue, un matin pluvieux

Posté par imsat le 11 novembre 2009

Croisée ce matin. Il pleuvait. Elle paraissait mélancolique, le regard évasif évitant avec tact le sien lui-même à peine esquissé. Il s’est d’abord dit qu’il finirait par ne plus parler d’elle. Ensuite, il s’est demandé s’il allait pouvoir maintenir intacte la place qu’elle avait dans ses pensées. La veille, il était tiraillé entre le désir de continuer à s’en « servir » comme un peintre de son modèle et l’envie de lui parler, de provoquer la rencontre et de prendre ainsi le risque de tout casser, tout rompre, tout gâcher.

La perspective de tout laisser tomber, elle, les textes en cours et tout ce qu’il s’est fabriqué à propos de certains souvenirs, sans but précis, lui a traversé l’esprit, provoquant en lui une sensation désagréable. Quelques secondes durant, il a eu l’impression d’être déconnecté de tout, sans espoir, sans stratégie et déprimé à l’idée de ne plus vouloir penser au passé ni surtout d’en relater les moments intenses.

Il restait sûr d’une chose: elle et sa ville-référence étaient devenues indissociables dans sa tête.

Silencieuse, discrète dans l’élégance, insondable, zen…

Elle continuera probablement de l’inspirer, mais pour combien de temps encore ?

Lamine Bey Chikhi

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L’épicier de la rue Beauséjour (Batna, 1961-1965)

Posté par imsat le 8 novembre 2009

L’épicerie était toujours bien approvisionnée; on y trouvait tous les produits consommables dont on pouvait avoir besoin. Elle était agencée avec goût et bien éclairée. Elle restait ouverte jusqu’à 22 heures, toutes saisons confondues. M.Méziane tenait son commerce dans la bonne humeur; il était courtois et affable, il mettait un point d’honneur à satisfaire les demandes de ses clients.

Alors que je n’étais pas encore tout à fait sorti de l’enfance, il m’accueillait systématiquement par un : « Jeune homme, qu’est-ce que ce sera pour vous ? ».

Il respectait grands et petits. Il me demandait des nouvelles de la famille et m’informait des derniers arrivages dont il vantait les qualités avec professionnalisme.

Son comptoir frigorifique suscitait ma curiosité; parmi les produits en vente, les yaourts « nature » dans leurs pots en verre et le fromage Primula avaient ma préférence. Je m’arrangeais d’ailleurs souvent pour les inclure dans les commissions que Mà me demandait de faire.

On pouvait également trouver dans l’épicerie toutes sortes d’agrumes auxquels un rayon était réservé.

Quand, certains jours, entre 9 heures et 10 heures du matin, je voyais Méziane revenir du marché, transportant fruits et légumes frais dans sa vieille brouette et toussant par moments sèchement, il me paraissait fragile, surtout en hiver.

Pourtant, je ne prenais pas vraiment toute la mesure de la peine qu’il se donnait ainsi ni des conséquences éventuelles de cette débauche d’énergie sur sa santé, je constatais seulement sa détermination à répondre à tout moment aux besoins des habitants du quartier.

L’épicier de la rue Beauséjour, on l’appréciait aussi pour cela, autrement dit pour son labeur, sa ténacité, son abnégation.

Lamine Bey Chikhi

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La fille aux yeux océaniques

Posté par imsat le 4 novembre 2009

Il séchait souvent les cours, leur préférant la grasse matinée.

Il ne me demandait pas si j’avais pris les notes du cours qu’il avait raté, ce que je faisais du reste toujours, il tenait plutôt à savoir si la fille aux yeux océaniques (ainsi qu’il l’avait surnommée) était venue, comment elle était habillée et à côté de qui elle était assise.

Elle me rappelait les batnéennes des années 1960.  Elle ressemblait à ces jeunes filles dont le charme romantique évoquait quelque nostalgie perdue, certaines absences liées à la transition post indépendance.

Ersatz de continuïté…

Pour lui, elle était un peu ce que Nush fut pour Eluard ou Elsa pour Aragon; il faisait d’ailleurs fréquemment ce parallèle, le ponctuant de quelques vers des deux poètes qu’il déclamait avec entrain.

Notre plaisir était de parler d’elle, simplement: cela passait par toutes sortes de qualificatifs sur son physique, par des interrogations, des étonnements sur la profondeur de ses yeux.

Nous étions attentifs aux jupes et aux chemisiers souvent clairs qu’elle portait et qui accentuaient sa blondeur; nous accordions aussi de l’intérêt à sa façon de réagir à notre manière de l’observer; nous aimions les faux-semblants agréables de son attitude car sous-tendus par la même timidité que celle que nous ressentions lorsque, de temps à autre, elle consentait à répondre à nos regards.

Nous épiloguions tantôt sur la limpidité de sa voix, quand, avec certaines de ses camarades, elle riait aux éclats juste avant d’entrer dans l’amphi, tantôt sur sa peau presque diaphane ou sur la délicatesse de sa façon de marcher.

Rien de ce qu’elle faisait ne nous laissait indifférents.

Lamine Bey Chikhi

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Escapade (Batna, 1964)

Posté par imsat le 31 octobre 2009

Les affiches et les photos exposées à l’entrée ou dans le hall des cinémas de la ville, annonçant les films de la semaine, me fascinaient. Je les percevais comme une invitation au rêve. Je ne me lassais jamais de les regarder.

L’affiche du film Escapade interprété par Dany Carrel et Louis Jourdan avait particulièrement retenu mon attention.

Le film, en noir et blanc, passait au Régent;  je crois que c’était un peu plus d’un an après l’indépendance; je l’ai vu en deuxième séance, à partir de 17 heures; c’était un dimanche, l’année scolaire venait de s’achever.

Mon cousin Chérif qui avait l’habitude de me faire entrer gratuitement au cinéma, ne travaillait plus au Régent. Je me suis quand même débrouillé pour acheter un billet mezzanine.

A l’entracte, je me suis payé une limonade à la cafétéria. Je me rappelle y avoir croisé F et MS; je savais d’ailleurs qu’ils allaient au cinéma les dimanches après-midi.

Les mots mezzanine, balcon, orchestre, stalle m’étaient déjà familiers; pour moi, ils évoquaient un endroit magique, et puis leur sonorité me plaisait beaucoup. A mes yeux, ils reflétaient aussi à l’échelle microcosmique une organisation cohérente, une stratification harmonieuse de la société.

Configuration unanimement acceptée.

J’appréciais cette espèce de consensus qui faisait que chacun dans la salle était bien à sa place et avait payé pour.

Du balcon du Régent, je me sentais privilégié, oubliant, le temps d’une projection, que j’étais dans le même cinéma que 100 à 150 autres spectateurs.

En mezzanine, il n’y avait guère plus d’une quinzaine de fauteuils positionnés dans un espace confortable et assez éloigné des autres parties de la salle, ce qui donnait l’impresssion à leurs occupants d’être un peu isolés.

Ma première au balcon et en mezzanine : un bonheur total !

Quant au film proprement dit, je l’ai suivi avec grand intérêt, la présence dans la distribution de l’immense vedette qu’était alors Louis Jourdan ayant évidemment largement contribué à mon plaisir.

Lamine Bey Chikhi

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Se souvenir, imaginer, créer

Posté par imsat le 27 octobre 2009

Comment se souvenir pour se mettre en capacité de réinventer (recréer) ce qui n’est plus ?

La mémoire trie les images mais l’émergence de tel ou tel souvenir reste aussi tributaire de la volonté de se rappeler; la volonté couplée à la mémoire, donc au recul, permet de faire « revivre » l’essentiel.

Peut-être le présent conduit-il par moments à regarder derrière soi et facilite t-il l’introspection.

En tout cas, cette marche à reculons s’impose d’elle même dans certaines circonstances, en particulier quand le présent se révèle être une voie sans issue.

La notion de voie recouvre la projection de ce qui est, c’est-à-dire les perspectives.

Les perspectives algériennes sont-elles fiables (viables) ?  Et peut-on les appréhender en termes d’espérance, de valeurs, de convivialité sociale, de progrès culturel, de conscience collective ?

Pour l’heure, très peu de choses incitent à l’optimisme.

Face à cette incertitude, reste le passé;  lui au moins est visible et on en connait bien des pans; en parler ouvertement, c’est notamment s’interroger sur la manière de le thématiser compte tenu de l’histoire.

Et c’est parce que l’histoire en question a débouché sur une impasse qu’il faut s’accrocher aux images les plus saillantes du passé; c’est une exigence à laquelle il convient de satisfaire pour pouvoir vivre ou survivre, selon l’optique considérée.

« La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient » (Gabriel Garcia Marquez).

Cet aphorisme résume parfaitement ce que je veux dire du souvenir, de sa puissance, de sa profitabilité, de son rapport au réel, à la vie.

Lamine Bey Chikhi

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Marie-France (Batna, 1961)

Posté par imsat le 25 octobre 2009

Marie-France, un été 1961; course poursuite entre son copain et moi. Il me rattrape à l’entrée des allées Bocca, me bouscule, me fait un croche-pied puis me met à terre; soudain quelqu’un surgit et s’interpose entre nous; il injurie le jeune homme en français et en arabe avant de lui crier :  » allez, dégage d’ici ! « .

Mon « sauveur », c’était mon cousin Kamel; je venais ainsi de faire sa connaissance; lui me connaissait déjà.

Marie-France, je la regardais par rapport à ce qu’elle était : une française. Je la sentais différente des algériennes. Je crois même que je cherchais à la voir ainsi.

Je l’imaginais dans sa vie quotidienne. Le siège de la Garde mobile prenait pour moi une signification particulière à partir du moment où elle y résidait.

Les amies algériennes de B avaient une pondération, une retenue; ses copines françaises semblaient extraverties et gaies.

Marie-France passait devant notre maison peu avant 8 heures du matin. Je l’observais discrètement de la fenêtre de notre salle de bains. Je le faisais surtout en hiver tout en me chauffant les mains près de la chaudière.

Cheveux noirs, sourires parcimonieux mais charmeurs…

Elle se démarquait totalement des autres jeunes filles. Je la trouvais sophistiquée et, par certains côtés, artificielle (positivement s’entend) pour ne pas dire irréelle.

Me remémorer Marie-France, c’est tenter de me réapproprier pour la réinterpréter la portée suggestive de sa façon de manger les petits pains au chocolat sur le chemin du lycée qu’elle faisait parfois avec B.

Lamine Bey Chikhi

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Kad B (Batna, 1963)

Posté par imsat le 22 octobre 2009

Kad B, c’était le bagarreur prêt à tous les affrontements, le champion du blasphème et de l’imprécation.

Il était toujours dégingandé même quand il portait des habits neufs lors des fêtes de l’Aïd.

Un jour, un détail attira mon attention : les chaussures en daim marron que Kad B mit précisément à l’occasion d’une de ces fêtes ; eh bien, c’était le seul élément qu’il me semblait porter à peu-près correctement à ce moment-là.

Plus généralement, je trouvais que Kad B vivait dangereusement, que sa témérité était excessive et qu’il n’était pas du tout conscient des risques dont il était porteur; je n’étais d’ailleurs pas le seul à le penser dans le quartier.

Il était dans la provocation permanente.

Notre sentiment par rapport à son comportement était ambivalent.

Nous craignions Kad B mais sa désinvolture et son irrévérence ne nous laissaient pas indifférents.

En vérité, nous jubilions quand il se mettait à injurier le monde entier avec les mots les plus crus de l’époque en joignant le geste à la parole.

Nous jubilions car il osait dire tout haut ce que nous pensions tout bas.

Et puis, ça nous changeait radicalement du mode de communication plutôt conventionnel qui était alors celui du plus grand nombre.

15 ans plus tard, rencontre à Alger: Kad B s’était engagé dans la marine marchande; il avait complètement changé; ce n’était plus du tout le même; il me parut transformé, détendu, courtois même; nulle trace de son agressivité originelle.

Que s’était-il passé entre Batna (Beauséjour) et les ports de Rotterdam, Anvers, Hambourg où il faisait escale ?

Lamine Bey Chikhi

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L’écrivain public (Batna, 1968)

Posté par imsat le 19 octobre 2009

Derradji portait toujours un béret noir. Je ne me rappelle pas l’avoir jamais vu tête nue.

Quand j’allais à Batna pour encaisser les loyers des magasins, nous nous rencontrions, mon cousin Chérif, lui et moi à l’hôtel de l’Aurès, propriété de mon grand oncle Kaddour.

L’hôtel situé face au souk El Asr était un peu vétuste et disposait du strict minimum en matière de commodités.

Nous nous installions dans les fauteuils brinquebalants de la réception à partir de 21 heures, parfois autour d’un thé à la menthe.

Nous passions en revue de façon conviviale les questions de l’existence.

Pour moi, à l’époque, la philosophie dans son acception élémentaire, c’était cela, autrement dit l’art de parler dans la sérénité des problèmes de la vie.

Derradji aimait nous épater, au besoin en citant certains des auteurs qu’il avait lus (Dostoïevski, Maupassant ou encore Proust…), mais il savait aussi écouter.

Pour ma part, j’étais impressionné autant par sa grande culture que par sa dialectique.

Quant à son métier d’écrivain public, je le trouvais original, valorisant et, dans une certaine mesure, influent.

A mes yeux, être écrivain public signifiait plein de choses et d’abord avoir la possibilité de tout faire ou presque grâce à l’écriture.

Derradji sortait souvent de la poche de sa veste un stylo quand il voulait nous expliquer son raisonnement et nous faire partager sa conviction.

Sur des feuilles que Chérif ôtait du registre de l’hôtel et qu’il s’empressait de lui remettre pour ne pas lui faire perdre le fil de ses idées, Derradji écrivait des mots qu’il soulignait ensuite de deux traits comme pour capter davantage notre attention et conforter son argumentaire. Je comprenais aussi qu’il tenait par là à conférer à chacun de ses propos l’importance qu’il méritait.

Derradji était autonome; en tout cas, il se présentait comme tel et ne manquait pas de nous le rappeler lorsqu’il nous arrivait d’aborder les aspects liés à la gouvernance du pays qu’il jugeait alors sévèrement.

 » Moi, je n’ai pas besoin du salaire de l’Etat ni de celui des sociétés nationales, nous disait-il non sans quelque fierté, je ne suis pas comme les autres, je travaille quand je veux et comme je veux, je ne suis pas un fonctionnaire, je suis un homme libre !  » .

Ecrire des lettres pour les autres, remplir des formulaires administratifs, réclamer des droits, stigmatiser les carences du service public, écrire mais suggérer en même temps, voire conseiller dans le vrai sens du terme, transcrire des émotions, relater des faits, ajouter, s’il y a lieu, son grain de sel, soigner la ponctuation, voilà ce que faisait Derradji pour quelques sous et toujours avec la satisfaction d’avoir servi les humbles et les sans-grade.

Lamine Bey Chikhi

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Thella

Posté par imsat le 17 octobre 2009

Sa voix n’a pas changé, il l’a tout de suite reconnue.

Quelques mots introductifs, hésitants, à peine audibles.

Puis échange de propos sur la vie en général, sur l’Algérie, l’Europe, le monde, comme si de rien n’était, alors que, de son côté à elle, tout n’est pas resté comme avant. Et il le savait.

Aucune allusion cependant à ce qui a pu évoluer, se métamorphoser pour elle…

Le hasard ou autre chose a voulu que le lien se renoue entre eux mais sans que cela donne nécessairement lieu à des confidences sur ce qui a marqué l’itinéraire de chacun, depuis leur dernière conversation, en octobre 1981, la veille de son départ pour Bruxelles.

Une image émerge périodiquement à son sujet :  celle la montrant souriante, assise sous la véranda de sa maison, un matin de juillet, tandis que radio Alger diffusait  »Thella » de Djamel Allam.

Depuis, à chaque fois qu’il écoute « Thella » c’est elle qu’il voit. C’est incontournable !

Lamine Bey Chikhi

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