Bribes d’histoire -42-

Posté par imsat le 12 novembre 2019

« Contrairement à ce qu’on croit souvent, il est périlleux d’écrire l’histoire d’une époque dont on n’est pas encore sorti. C’est une règle pour l’ethnologue et c’en devrait être aussi pour l’historien que l’objet d’une étude est d’autant plus compréhensible qu’il est plus éloigné de nous » (Jean-Marie Domenach, Approches de la modernité, 1986). J’ai immédiatement pensé à cette phrase en prenant connaissance du propos de Mohammed Harbi sur le Hirak qu’il considère comme « une réaction contre la dépossession et l’oppression ». Confrontée à la pertinente recommandation de JM Domenach qui cible explicitement et exclusivement l’ethnologue et l’historien, l’appréciation de Harbi me semble hâtive, expéditive. Ce qu’il dit serait compréhensible venant d’un journaliste dont le travail est de rendre compte de l’actualité, de relater dans l’urgence les faits qu’il observe, et, dans certains cas, d’émettre un commentaire, des impressions. La réaction sommaire est aussi compréhensible lorsqu’elle provient d’un citoyen lambda. Mais là, on a affaire à un historien consacré doublé d’un acteur du mouvement national. Harbi n’est d’ailleurs pas le seul universitaire algérien à décrypter à chaud le mouvement populaire. J’ai dû voir défiler des dizaines de politologues, sociologues, historiens algériens sur des plateaux de télévision (France 24, TV5Monde, CNews…): leur discours consensuel, unanimiste, étriqué est sidérant. Son contenu rejoint la déclaration faite par Harbi à l’occasion du 65ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale. Rien en définitive ne semble distinguer ces universitaires des algériens ordinaires à qui on pourrait pardonner des opinions tendancieuses, erronées parce qu’ils réagissent à chaud et avec les mêmes pré-supposés par rapport à la nature du pouvoir algérien. La pierre d’achoppement des analyses faites dans la précipitation, s’agissant de l’Algérie, semble être systématiquement connectée à la notion de pouvoir, à l’image que le pouvoir renvoie. Dans l’esprit de la plupart des intellectuels algériens, le pouvoir ou le système ne représente rien de positif; il ne peut qu’être critiqué, dénoncé, stigmatisé, vilipendé. Harbi est précisément dans cette posture. Il est dans le déni d’une certaine histoire, celle des acquis engrangés depuis l’indépendance dans de très nombreux domaines. l’Algérie est bel et bien indépendante, et les algériens aussi ! Les algériens circulent, voyagent librement, étudient, travaillent, investissent, font du sport, construisent… La presse algérienne est l’une des plus libres du monde arabo africain. Je pourrais conforter mon propos par moult autres arguments mais je ne le ferais pas parce qu’ils sont connus de tous les algériens de bonne foi. En réalité, les acquis dont il s’agit sont le fruit du labeur de générations entières de cadres qui se sont engagés, investis sans complexes ni idées préconçues dans la bataille de l’édification du pays. Ces cadres, ces travailleurs se sont donnés pleinement pour donner un sens, une tangibilité à la souveraineté, à l’indépendance de l’Algérie. Harbi occulte tout cela, préférant, comme souvent, se pencher sur les révolutions de palais et autres luttes intestines qui ont marqué la guerre de libération et la gouvernance post indépendance. Quoi qu’il en soit, sur le Hirak, son diagnostic n’est pas du tout à la hauteur de ce qu’on pouvait espérer de lui. Harbi est dans des affirmations à brûle-pourpoint, ex cathedra; il ne s’interroge pas, ne se questionne pas, passe carrément à côté de la complexité du Hirak, de ses soubassements et ramifications, de ses zones d’ombre, et des multiples interrogations qu’il soulève pourtant dans la société. Son regard n’est pas un regard objectif, distancié, nuancé. En ce sens, il n’apporte rien de constructif au débat…

Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -41-

Posté par imsat le 30 octobre 2019

Tout ce qui se passe aujourd’hui en Algérie en lien avec la poursuite du mouvement de contestation populaire est intéressant non seulement d’un point de vue politique mais aussi au regard de l’histoire. Les protestataires stigmatisent le système mais ne le font pas de façon homogène, cohérente et vraiment argumentée. Leur critique acerbe, souvent vulgaire et insultante, porte tantôt sur les 20 dernières années (les années Bouteflika) tantôt sur toute la période 1962-2019. Je ne me retrouve pas du tout dans les commentaires ciblant ces deux périodes; je les trouve excessifs, tendancieux et en contradiction avec ce que l’on pouvait entendre en général dans l’espace public avant le Hirak. Combien de fois n’ai-je pas entendu des algériens dire regretter le bon vieux temps, les années 60-70, le retour au pouvoir en 1999 de Bouteflika considéré alors, à juste titre d’ailleurs, comme l’homme providentiel. Le bon vieux temps, c’était tout cela globalement perçu ou appréhendé via des séquences, des arrêts sur image. « La belle époque », c’est aussi plein de souvenirs, de rencontres, une ambiance, des perspectives, un espoir. C’est vrai, la mise en exergue de ces moments, fabuleux pour nombre d’algériens, se fait souvent à titre individuel ou à un niveau familial, et c’est justement d’abord sous ce prisme qu’il me parait important d’entamer l’observation puis l’analyse des faits historiques. Si on est sincère, si on est de bonne foi, on doit faire la part des choses, séparer le bon grain de l’ivraie. Rien n’est parfait mais tout n’est pas à rejeter en bloc. C’est pourquoi, il me parait impensable d’aborder la macro histoire sans passer d’abord par ce qui relève de l’individu, de son parcours, de sa propre perception des faits sociaux et politiques. « Et puis, n’oubliez pas la remarque de Hannah Arendt: Aucune réflexion théorique n’aura jamais la richesse de sens d’une histoire bien racontée » (Jorge Semprun)

 Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -40-

Posté par imsat le 14 octobre 2019

Deux jours avant son décès, je regardais un film en noir et blanc sur Arte, et j’ai pensé à elle, à son interprétation dans l’éducation sentimentale, et dans la vie conjugale. Elle, c’est l’actrice Marie-José Nat dont l’annonce de la disparition, le 10 octobre, m’a beaucoup attristé. En France, les médias se sont contentés de rapporter l’information. Brigitte Bardot est la seule personnalité à avoir dénoncé la marginalisation médiatique de l’événement. Mais moi, je n’ai pas oublié. Mon rapport au cinéma, c’est plein de films, d’acteurs et d’actrices français, italiens, algériens, américains. Marie-José Nat fait évidemment partie de ma culture, de ma mémoire cinématographique. Pour moi, ses films-référence ont un lien avec la guerre de libération nationale. Il y a bien sûr Elise ou la vraie vie qu’elle a tourné sous la direction de son mari de l’époque Michel Drach et dans lequel Mohamed Chouikh fut un excellent partenaire. Mais il y a aussi L’opium et le bâton d’Ahmed Rachedi, adapté du roman éponyme de Mouloud Mammeri; elle y campe superbement le personnage de Faroudja. Je n’oublie pas non plus nombre de ses films des années 60 que j’ai vus au cinéma Le Français, à Alger. Cette salle dont les fauteuils étaient de couleur rouge, a été malheureusement désaffectée et livrée aux quatre vents depuis près de 30 ans; on y projetait surtout des films d’auteur. Lorsque je repense à cette période durant laquelle aller voir un film était pour « nous » une vraie sortie, je m’interroge sur ce qui s’est passé pour tenter de comprendre la terrible régression qui avait commencé à frapper le secteur du cinéma en Algérie, dès la fin des années 70. On ne peut pas tout imputer à la décennie noire ! L’explication est également culturelle, intellectuelle, sans doute aussi généalogique. Le rapport à la culture a complètement été dénaturé, faussé. On a tout déglingué, la production, la distribution, les salles de cinéma ! Cela me fait dire que l’Algérie a besoin, aujourd’hui plus que jamais, de dirigeants non seulement instruits et compétents mais aussi et surtout éclairés, cultivés.

Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -39-

Posté par imsat le 6 octobre 2019

Au début des années 50, notre oncle paternel Abdelaziz a notamment été pion dans un lycée parisien alors fréquenté par Jean Paul Belmondo. Cette séquence qui nous avait été vaguement rapportée quand nous étions adolescents était passée plutôt inaperçue, comme du reste nombre d’autres histoires individuelles par rapport auxquelles il nous a fallu prendre de la distance pour en saisir la singularité, l’intérêt, la portée. Beida se souvient de la photo qu’Abdelaziz leur avait exhibée, le montrant précisément dans un lycée avec le groupe d’élèves qu’il surveillait. A la faveur de cette évocation, il racontait que lorsqu’il se présentait à ses interlocuteurs, il leur disait: « Je suis Chikhi De Batna… » Le « De » était mis en avant par ses soins comme une particule nobiliaire, un élément de rattachement à l’aristocratie. C’était sans doute une plaisanterie de sa part, mais qui pouvait néanmoins faire mouche dans les milieux mondains ou simplement dans un système relationnel ordinaire. Une plaisanterie sans doute mais que je ne trouve pas tout à fait déconnectée des réalités ni sans quelque fondement. Je veux dire par là que l’on peut invoquer ou revendiquer un titre de noblesse ou ce qui pourrait s’y apparenter à partir du moment où la famille à laquelle on appartient dispose d’une assise patrimoniale, financière conséquente, d’un parcours historique, d’une influence sociale. C’était bien encore le cas de notre famille à l’époque considérée. Cette anecdote concernant Abdelaziz, je crois bien en avoir extrapolé des éléments pour justifier que l’on puisse en effet se sentir appartenir à un groupe social spécifique, minoritaire, économiquement privilégié à un moment de l’histoire, mais pas seulement. Je pense ainsi à l’aristocratie au sens large, celle qui englobe les élites, mais aussi des notables ou des riches, une sorte  de nomenklatura. Pendant longtemps, cette dimension de notre famille a été considérée comme une quasi évidence sur laquelle il n’y avait pas lieu de s’appesantir. Avec le recul, j’ai trouvé que cette « marginalisation », cette mise en sourdine n’était pas justifiée et qu’il fallait au contraire en parler, en approfondir l’exploration. J’ignore si Abdelaziz se présentait à ses interlocuteurs comme il le faisait en songeant à la place singulière, importante  et digne d’intérêt de notre famille, historiquement parlant. Peut-être y pensait-il d’une façon ou d’une autre.

Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -38-

Posté par imsat le 18 septembre 2019

Je pourrais continuer à évoquer Mà (ma mère) abstraction faite de sa disparition, il y a 9 ans, le 19 septembre 2010. Oui, je le pourrais comme je l’ai d’ailleurs fait abondamment depuis nombre d’années. Mais rappeler en même temps opportunément la date de sa disparition, fait partie du devoir de mémoire.
Il y a les évocations dans lesquelles je la cite nommément car elles la concernent exclusivement. Et il y a tout le reste, tout ce que je dis et qui, en vérité, renvoie en filigrane à Mà. A Soraya, à mon père également plus ou moins fréquemment. A Fayçal aussi. Mais systématiquement, inéluctablement à Mà. Allah yerhamhoum ainsi qu’à tous les autres proches disparus. Mà est donc toujours là, soit directement soit dans l’implicite, entre les lignes, en pointillé. Elle est omniprésente, y compris lorsque ce que j’écris n’a pas grand-chose à voir avec notre vie d’autrefois. Aujourd’hui, je me demande ce qu’elle aurait pensé de la contestation populaire qui agite le pays. En réalité, je devine ses réflexions, ses interrogations probables…Je crois qu’elle aurait été d’accord avec mon propos sur ce mouvement. Je suis à peu près sûr qu’elle m’aurait posé des questions simples, réalistes, logiques: « Que cherchent-ils au juste, ces gens du Hirak ? » ou encore: « Pourquoi manifestent-ils le vendredi, jour de repos mais surtout de prière et de recueillement pour les pratiquants ? » Le bruit des hélicoptères de la police nationale qui survolent le centre d’Alger chaque vendredi et mardi à cause des manifestants l’aurait fortement indisposé. Elle m’aurait aussi dit: « Que Dieu préserve l’Algérie » Elle aurait été préoccupée par l’état de santé de Bouteflika, par le sort de certains de ses proches incarcérés (Ouyahia, Sellal…) Elle aurait évoqué Louisa Hanoune, elle aussi placée en détention provisoire. Je pense qu’elle aurait été choquée, sidérée, comme moi, par ce qui est arrivé aux personnalités en question, par la fulgurance de certaines situations, l’accélération de l’histoire, ainsi que par les causes à l’origine des dérives du « système ». Oui, elle aurait adhéré à ma vision des choses car elle avait le sens, la mesure des choses. Je lui aurais rendu compte quotidiennement de l’évolution de cette nouvelle crise algérienne. Sa question récurrente aurait été: « Oui, mais que veulent-ils alors, ces gens, puisqu’ils refusent de dialoguer avec le pouvoir, rejettent toutes ses propositions et ne veulent pas aller aux élections présidentielles? » Je crois aussi qu’elle aurait abondé dans mon sens si je lui avais dit que Bouteflika a été trahi par tout le monde ou presque, pas seulement par sa garde rapprochée, mais par la majorité des algériens…je lui aurais expliqué par petites touches, elle aurait compris, nous serions même tombés d’accord sur les connexions de la crise algérienne avec l’histoire telle que nous en avons toujours parlé…
Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -37-

Posté par imsat le 14 septembre 2019

Brève rencontre avec Abderrezak cousin maternel de ma mère, en marge des obsèques de son frère Abdesselam (97 ans) qui rejoint ainsi Khali Mahieddine décédé, lui, quinze jours plus tôt à l’âge de 99 ans. Echange express avec Abderrezak que je n’avais pas revu depuis 34 ans ! Il se souvient du dépôt de la rue St Germain à Batna, de la machine à écrire de mon père. Cette machine à écrire, Abderrezak mais aussi d’autres éléments de soutien à la cause nationale y avaient recours pour écrire divers courriers. En fait, ils relevaient tous de la même cellule locale de soutien. Il se rappelle aussi avoir été invité par mon père à remplir des boîtes de toutes sortes de produits (savonnettes, gâteaux, produits sanitaires et autres…) sachant pertinemment que cela entrait dans le cadre de l’appui protéiforme à la cause nationale. Abderrezak s’interroge : Ma mère était-elle au courant de ce soutien? En avait-elle été informée par sa tante maternelle ? Je me suis renseigné récemment : Oui, elle était au courant, mais on n’en parlait pas.; c’était implicite; il fallait agir, il suffisait d’agir mais en toute discrétion, c’était ce qui comptait. La veille de l’enterrement de Abdesselam, Abderrezak a évoqué plein d’autres anecdotes avec Anis, notamment un déjeuner auquel il avait été convié par mon père au début des années 50, « en même temps qu’un pied noir et un franco musulman de Batna »; il ne se souvient pas de leur nom. J’aurais aimé conversé un peu plus avec lui. La dernière fois qu’on s’était vus, c’était à la maison, au printemps de l’année 1985 (ou peut-être 1982). Lui soutient que c’était en 1985. Quoi qu’il en soit, je venais d’échouer à un concours d’accès aux Affaires Etrangères. On en avait parlé. Il connaissait bien le système pour avoir été diplomate des années durant. Je lui ai dit que j’avais même écrit à l’ONU pour un poste à l’étranger, on m’avait répondu que cela n’était pas possible parce que l’Algérie était sur-représentée au sein cette institution. Finalement, c’était bien ainsi : je me suis très vite rendu compte que cette idée de bosser pour les AE, ce n’était pas du tout une ambition de ma part. Au fond, j’étais plutôt un voyageur immobile et cette histoire de diplomatie, c’était une fiction, une simple projection, une tentative de voir comment ça serait dans ma tête. Parmi les sujets donnés au concours, il y avait une résolution du « Front du refus » à commenter en arabe. J’avais trouvé le sujet stupide et démagogique. Franchement on pouvait trouver mieux. Je ne regrette vraiment pas d’avoir été éliminé du concours à cause de ce sujet détestable que j’avais complètement bâclé.
Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -36-

Posté par imsat le 4 septembre 2019

Je crois que la convivialité d’autrefois, en tout cas celle que j’ai tenté de faire revivre à travers des mots, des questionnements, des fragments de souvenirs n’existe plus ou plutôt n’est plus répandue comme elle l’était. Je la retrouve quand même un peu virtuellement dans le groupe littéraire auquel j’ai adhéré sur facebook il y a un peu plus d’une année. C’est comme un sanctuaire, un espace d’échange serein, élégant, interactif. Ce groupe est sélectif; mais il s’agit d’une auto sélection pour ainsi dire; on y adhère si l’on aime vraiment la littérature, l’écriture. On y évoque et partage des souvenirs, des lectures, des rencontres, des lieux. Lorsque je me « réfugie » dans ce groupe, je le fais aussi pour échapper « au bruit et à la fureur » du Mouvement populaire qui en est à son 7ème mois de contestation. Je me suis amusé à tenter un parallèle entre ce que j’écris sur la page FB du groupe en question et mes commentaires sur la situation politique algérienne. Je me suis retrouvé à naviguer entre deux mondes complètement, fondamentalement, radicalement différents.
Avec les fans de littérature, les mots sont pesés, réfléchis, subtilement utilisés, toujours à leur place. On n’écrit pas n’importe quoi ni n’importe comment. On est dans l’exercice de style, pas pour frimer ou épater, mais pour se mettre au diapason de l’auteur dont on parle, de son oeuvre. L’exigence est là !
Le Hirak, lui, suscite, inspire, véhicule de l’agressivité, des invectives, de la tension, de l’exclusion, des violences verbales. On parle de révolution du sourire mais le discours des manifestants est plutôt agressif, sectaire, dogmatique, truffé de contradictions et pas du tout convivial.
En ce sens, oui, le Hirak constitue une rupture (mais ce n’est pas la première dans l’histoire du pays) avec un certain art de vivre, de parler, d’échanger. Il vient en fait s’ajouter aux pratiques, discours, postures qui ont graduellement mis fin aux belles choses encore en vigueur jusqu’à la fin des années 60.
Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -35-

Posté par imsat le 24 août 2019

J’entends encore mon père me dire d’un ton ferme : « Regarde devant toi quand tu marches ! » ou encore: « Tiens-toi droit quand tu manges ! » Il m’a sermonné ainsi deux ou trois fois, guère plus. J’entends aussi ma mère me recommander fréquemment mais toujours très diplomatiquement, la prudence, la pondération, la sagesse. Ce n’est pas par hasard que j’en parle aujourd’hui. Non, je le fais parce que les conseils, les mises en garde d’autrefois ont immédiatement et naturellement émergé de ma mémoire lorsque j’ai tenté de trouver des explications normales, sensées, je veux dire des explications relevant de la morale, de la philosophie, de la culture, aux nombreux scandales politico financiers mis à nu par les autorités depuis un peu plus de six mois en Algérie dans un contexte marqué par une forte mobilisation populaire pour le changement. Un intellectuel a évoqué la nécessité de moraliser la société algérienne, condition sine qua non, selon lui, d’une vraie refondation de l’Etat. Je suis d’accord avec lui. Je l’ai écrit sur Twitter. Un intervenant m’a rétorqué que la moralisation ne se décrétait pas; je lui ai répondu que j’approuvais son propos, mais j’ai conclu mon commentaire en citant Camus: « Un homme, ça s’empêche ».
Et cette phrase de l’auteur de l’Etranger m’a paru indissociable des « remontrances » et conseils précités de mon père et de ma mère. Evidemment, j’ai établi la connexité en question après les avoirs actualisés, réinterprétés, passés au peigne fin, sortis de leur contexte originel, celui de l’enfance ou de l’adolescence. En général, les gens se polarisent autour du délit lui-même, rarement sur les causes profondes à l’origine du délit, sur la genèse d’une situation. Personnellement, ce qui m’intéresse c’est d’abord le pourquoi des choses, pas la matérialité des faits….Il y a donc les mises en garde des parents, mais il y a aussi des renvois à d’autres concepts qui me paraissent aujourd’hui tout aussi importants. Quand il m’arrivait de lui demander comment elle pouvait expliquer nombre de situations, de postures, de réactions que je trouvais étranges, curieuses, incompréhensibles au regard de ce que nous considérions comme des conventions sociales, ma mère me disait: « C’est lié au milieu… », elle me disait aussi: « C’est une affaire de savoir-vivre, de siyassa, de hikma… ». Eh bien, elle avait parfaitement raison ! Et c’est d’ailleurs largement à l’aune de ses éclairages que j’ai appris à décrypter tout ce qui, dans les pratiques, les relations sociales, les dérives individuelles, pouvait m’interpeller, me choquer, me sidérer…
Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -34-

Posté par imsat le 18 août 2019

Moi, avant de lire Proust, je vivais comme lui, je veux dire dans ma tête. Enfin, je m’en suis rendu compte après l’avoir lu.

Aujourd’hui, quand il m’arrive de boire une limonade, je me remémore immédiatement les sodas de mon enfance.
Le plaisir dure deux ou trois minutes mais il est intense.

Le souvenir et le plaisir sont intimement liés.

J’en ai parlé autour de moi; on m’a mis en garde contre les boissons sucrées; j’ai répondu: « S’il vous plaît, ne me gâchez pas ce rarissime moment de bonheur… »

Lamine Bey Chikhi

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Bribes d’histoire -33-

Posté par imsat le 3 août 2019

Pourquoi la question de l’appréciation de la langue française est, pour moi, éminemment subjective, personnelle ? Parce que ses soubassements ne renvoient pas qu’à une histoire nationale. Ils ont aussi une dimension familiale indéniable, consistante elle-même connectée à une histoire plus globale. Beida a été la première enseignante algérienne de français au Lycée Ben Boulaid de Batna dont il faut préciser que c’était un établissement mixte. Elle y a dispensé ses cours au début des années 60, préférant reporter de quelques années l’entame de ses études supérieures, à la demande des responsables du secteur. Elle y donnait également des cours de latin. En classe de cinquième, outre les leçons de grammaire qu’elle nous donnait et divers textes qu’elle nous demandait de résumer, elle nous faisait lire notamment des extraits du Malade imaginaire, de l’Avare et d’autres oeuvres. En interprétant les personnages de Molière, il arrivait aux élèves que nous étions de rire sous cape; c’était nouveau pour nous mais nous étions ravis de goûter ne fut-ce que de façon rudimentaire aux délices du théâtre classique. Un autre souvenir découle de cet épisode, celui de PA, ex camarade de classe à l’école Jules Ferry, qui venait prendre des cours de latin à la maison une fois par semaine, avant de quitter définitivement Batna pour la France. J’avais bien tenté moi aussi de m’intéresser au latin mais j’ai très vite décroché. En rappelant cela, je voulais en profiter pour souligner que Beida a contribué au niveau qui était le sien, c’est-à-dire dans l’enseignement secondaire, à la transition post-indépendance, non seulement à Batna mais également au lycée Frantz Fanon à Alger. Je saisis cette occasion pour indiquer que notre cousine maternelle Fadila professa les mathématiques au lycée de Batna à la même période. Nombre d’anciens élèves du lycée n’ont pas manqué de le rappeler et de leur rendre hommage sur internet. Mais la transition post indépendance, mon oncle Brahim y a, lui aussi, participé en enseignant les mathématiques au CEG de la route de Biskra jusqu’à la fin des années 60. Quant à ma cousine Malika, elle était déjà institutrice à l’école Jules Ferry avant l’indépendance et y a poursuivi sa mission au delà de 1962. La langue française « butin de guerre » était ainsi positivement exploitée au profit du pays. Cette démarche était d’autant plus pertinente qu’elle s’engageait à un moment crucial de l’histoire de l’Algérie, à savoir l’indépendance nationale et, dans son sillage, les nombreux défis à relever, à commencer par l’éducation nationale et la nécessité absolue de pallier le départ des cadres français, en dépit de la rareté des ressources humaines disponibles. Les premiers coopérants français commencèrent à arriver à Batna à partir de 1965-1966. Toutes ces données ont une portée historique fondamentale même si je les restitue modestement et de façon parcellaire. Il est donc évident que je ne pouvais disserter sur mon rapport au français sans évoquer ces réalités qui allaient d’ailleurs consolider progressivement et durablement mon intérêt pour cette langue.

Lamine Bey Chikhi

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